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Convoi du 12 janvier 1944

Le 10 JANVIER 1944, il était procédé dans le département de la Gironde à de nouvelles arrestations de Juifs.
Selon le compte-rendu des événements signé par Maurice SABATIER, Maurice PAPON, Jean CHAPEL, Directeur de Cabinet, l'Intendant Régional de Police DUCHON et le Commissaire FREDOU le déroulement des événements a été le suivant :
- le 10 JANVIER 1944 à 12 heures 30 l'Intendant de police DUCHON était invité à se rendre au siège de la SIPO pour prendre des instructions "importantes et urgentes" Une note très précise en allemand lui était remise.
Les instructions relatives à cette action contre les Juifs étaient consignées dans une note annexée au compte-rendu susvisé. Il y était notamment spécifié que l'action devrait commencer "ce soir 10 JANVIER 1944 en un seul coup à 20 heures et sera poursuivie jusqu'à l'achèvement des arrestations". Cette mesure devait concerner tous les juifs, sauf les malades intransportables. L'attention était d'ailleurs attirée sur le cas de ceux qui "joueraient les malades et ne le sont certainement pas, ces derniers devant être transportés dans une couverture et placés dans une voiture. Toute unité participant à l'action devait établir une liste contenant les noms de tous les Juifs arrêtés avec l'indication de la nationalité, date et lieu de naissance, domicile et situation de famille. L'arrestation du Grand Rabbin COHEN, en fuite depuis le 17 DECEMBRE 1943 dont le signalement était fourni, était demandée. Pour les français vivant en mariage mixte (femme ou homme juif) l'arrestation n'était prévue que si l'intéressé était apte à travailler. Après l'arrestation, les incarcérations devraient avoir lieu à la caserne BOUDET ou à la synagogue selon le domicile de la personne appréhendée et ce pour éviter des pertes de temps.
Dès qu'il était averti Maurice SABATIER convoquait l'Intendant de police et lui donnait pour instruction de se rendre auprès des services allemands pour leur demander de surseoir à l'opération projetée jusqu'à réception des instructions du Gouvernement Français. Cette démarche s'avérait infructueuse, les Allemands s'étant bornés à attirer l'attention de l'Intendant DUCHON sur sa responsabilité au cas où l'opération ne serait pas déclenchée à l'heure prévue.
Dans le même temps il était demandé à :
- l'Intendant régional de Police de contacter le Délégué du Ministère de l'Intérieur à PARIS. II lui était répondu du Cabinet de DARNAND "qu'on va examiner la question et rappeler".
- Maurice PAPON de joindre le Directeur de la Police Nationale à VICHY. A 17 heures 15 celui-ci faisait savoir qu'il donnerait une réponse "quand il serait couvert".

Le Préfet Régional quant à lui se mettait en rapport avec Monsieur LEMOINE, Secrétaire d'Etat à 1'intérieur, afin qu'il intervienne pour éviter l'opération prévue. I1 lui était répondu qu'il allait saisir le Président LAVAL.
- à 18 heures 30 le Préfet Régional, accompagné du Directeur de Cabinet se rendait au siège de la SIPO où il retrouvait le Contrôleur général de la Police FREDOU. Ils reprenaient l'argumentation selon laquelle les arrestations projetées seraient contraires aux accords passés entre les autorités françaises et allemandes. Le Préfet Régional indiquait qu'il refusait le concours de la police française.
- à 19 heures le Directeur de Cabinet de DARNAND puis à 19 heures 15 Monsieur LEMOINE rappelaient pour dire qu'il convenait de surseoir aux arrestations jusqu'à ce que le chef du groupement se soit mis en relation avec OBERG.
- MACHULLE au nom de la SIPO acceptait de différer les opérations jusqu'à 21 heures pour attendre les instructions du Gouvernement Français.
- à 20 heures 25, le Chef du Gouvernement téléphonait et indiquait que "la question est importante mais que l'opération a déjà été effectuée ailleurs". A 21 heures 05 DARNAND téléphonait de la part du Chef du Gouvernement pour dire que les démarches effectuées auprès des autorités supérieures allemandes n'avaient pas abouti; qu'il s'agissait d'un ordre formel de celles-ci et qu'il convenait de n'en pas différer davantage l'exécution étant donné que l'opération devrait être exécutée en tout état de cause.
- Messieurs DUCHON et FREDOU prenaient acte des ordres reçus pour en assurer l'exécution.

Au vu des différents rapports figurant au dossier et notamment du rapport du 11 JANVIER 1944 de l'Intendant régional de Police au Préfet Régional (cabinet) les chiffres de la rafle sont les suivants :
- agglomération bordelaise = 135 arrestations,
- Arcachon = 12 arrestations - 2 personnes conduites à l'hôpital
- Gendarmerie : 81 arrestations

Toutes les personnes arrêtées ont été conduites à la Synagogue de BORDEAUX où le service de garde est exclusivement assuré par la police allemande.
Au pied du rapport rédigé par le Chef d'Escadron JOLIOT commandant la Gendarmerie de la Gironde concernant la rafle du 10 JANVIER 1944 figure une annotation manuscrite indiquant que l'opération n'a pas été ordonnée dans la Compagnie des Landes et que les arrestations de Juifs ont été opérées par les troupes d'occupation dans le département des Landes et des Basses-Pyrénées sans que la Gendarmerie ait eu à intervenir.
Maurice SABATIER a adressé le 11 JANVIER 1944 aux autorités de VICHY et à ses représentants un rapport reprenant pour l'essentiel les éléments contenus dans le rapport de l'intendant régional de Police du même jour.
L'action du Service des Questions Juives de la Préfecture pendant les journées des 10, 11, 12 JANVIER est décrite dans deux notes rédigées par Jacques DUBARRY le 12 JANVIER à l'attention du Secrétaire Général :
- dans la soirée du 10 JANVIER : mise en place de mesures de ravitaillement, de couchage, d'hygiène et d'assistance.
- dans la journée du 11 : contrôle des arrestations effectuées avec l'inspecteur DEHAN de la SEC et l'inspecteur MAYER de la SIPO en présence de Jacques DUBARRY et avec la participation de Madame EYCHENNE. Selon le rédacteur du rapport ce contrôle a été complet et a amené la libération immédiate de 15 personnes.
- dans la journée du 12 " contrôle médical de circoncision" pratiqué non par un médecin mais par deux agents de la SIPO qui a amené la libération de trois autres personnes. 5 autres personnes étaient encore libérées.

Les personnes dont le cas était litigieux étaient maintenues au camp de MERIGNAC "jusqu'à ce que leur appartenance raciale soit déterminée".
Des démarches furent tentées pour obtenir le maintien à BORDEAUX de certaines catégories : femmes de prisonniers, mutilés et pensionnés de guerre, vieillards, femmes enceintes etc.... Sur intervention de l'Intendant régional de police 3 femmes de prisonniers de guerre et un mutilé de guerre furent maintenus à MERIGNAC.
Ce principe ayant été connu des internés toutes les situations semblables furent d'autorité placées dans la catégorie des personnes exemptées du convoi (ainsi : 6 femmes de prisonniers, le mutilé de guerre, 1 vieillard et 1 femme enceinte). Au total 19 libérations et 23 exemptions de départ étaient obtenues dont la liste était jointe au rapport.
Le 29 JANVIER 1944 le Commandant MACHULE de la SIPO avisait le Secrétaire général de la Préfecture de la libération de 7 des personnes maintenues au camp et devant être considérées comme non juives.
Le 12 JANVIER 1944 Maurice PAPON rédigeait une note à l'attention du Préfet Régional reprenant les indications contenues dans la note de Jacques DUBARRY. I1 soulignait la situation précaire des personnes maintenues à MERIGNAC, un transfert à DRANCY étant à craindre si leur libération n'est pas obtenue, cette dernière n'étant susceptible d'intervenir qu'en vertu d'un accord entre les autorités supérieures allemandes et françaises à PARIS. Il se félicitait de la façon remarquable dont Jacques DUBARRY a assumé le rôle qui lui était dévolu.
Maurice PAPON rédigeait en outre pour Jacques DUBARRY les instructions suivantes " la discrimination entre Juifs et aryens étant faite et ayant donné toute satisfaction - et les cas douteux étant, je pense, en voie de règlement- il faut aborder maintenant les interventions "intuite personne"- je veux dire qu'il faut essayer de libérer ou à défaut de laisser à MERIGNAC, les Juifs intéressants titulaires, Légions (sic) d'honneur à titre militaire, croix de guerre, Mutilés, femmes de prisonniers (par exemple Madame BIBAL). Faire ces interventions au nom personnel de Maurice SABATIER, Préfet Régional et tachez de me rendre compte des résultats dès que possible pour me permettre de faire appel le cas échéant auprès de Monsieur NAHRICH. A cette fin vous me communiquerez la liste des cas intéressants".
Maurice PAPON soumettait à l'appréciation de Maurice SABATIER un projet de rapport au Ministère complétant le premier rapport adressé le 11 JANVIER 1994. Ces rapports des 11 et 13 JANVIER 1944 ainsi que l'extrait d'un rapport du 2 FEVRIER 1944 sur les relations avec les autorités allemandes sont un résumé des éléments contenus dans les rapports de Jacques DUBARRY, des services de police et ses précédents rapports.
Le 12 JANVIER Maurice PAPON confirmait par écrit au Directeur des TEOB une demande de mise à la disposition du Commissariat Central de 2 cars de voyageurs pour un transport de la Synagogue à la Gare St Jean.
La SIPO adressait le 21 JANVIER 1944 à l'Intendant régional de police, selon le désir exprimé par ce dernier, "une demande écrite d'avoir à assurer le contrôle du transport des Juifs par des forces de police française en quantité suffisante".
Le 12 JANVIER 1944 un convoi de 317 Juifs partait de la Gare Saint Jean pour DRANCY. Le rapport journalier du commissariat civil de la Gare Saint Jean relate les conditions matérielles épouvantables dans lesquelles ce transport de femmes et d'enfants en majorité a eu lieu dans des wagons couverts "complètement nus, ni bancs, ni paille (seuls 2 seaux hygiéniques placés par le service des évacués)". Le rapport de Monsieur GOMILA du GMR Guyenne confirme les conditions particulièrement, abominables dans lesquelles s'est déroulé ce transfert qui dura 25 heures et qui comprenait de jeunes enfants. Chaque wagon était placé sous le contrôle d'un policier français et d'un policier allemand.
Parmi les personnes comprises dans ce transport et visées par les parties civiles, on compte :
* Estreja TORRES
* Louis TORRES
- leurs huit enfants mineurs dont 5 étaient mineurs de quinze ans :
Georges TORRES né le 15 AOUT 1940
Simone TORRES né le 25 AVRIL 1938
Rachel TORRES né le 9 MARS 1936
Raymond TORRES né le 26 AVRIL 1935
Louise TORRES né le 16 DECEMBRE 1930
Marcel TORRES né le 6 NOVEMBRE 1929
Ernest TORRES né le 15 NOVEMBRE 1927
Esther TORRES, né le 16 DECEMBRE 1926

Louise, Raymond, Marcel et Rachel TORRES avaient été autorisés par la SIPO à quitter BORDEAUX pour le Lot et Garonne en juin 1943.
* Erika LOEL épouse JACOB
* Max JACOB
* Selma JACOB
* Sarah JACOB

Tous étaient de nationalité française et avaient été arrêtés dans la nuit du 10 au 11 JANVIER 1944.
Dans le même convoi figuraient encore MOUYAL Maklouf ainsi que Robert LEON qui, après un internement à DRANCY du 12 JANVIER au 15 MAI 1944, fut ramené à BORDEAUX et intégré à 1' organisation TODT où il resta jusqu'à la Libération.
Estreja TORRES, Louis TORRES, leurs huit enfants dont 5 étaient mineurs de 15 ans, Georges TORRES, Simone TORRES, Rachel TORRES, Raymond TORRES, Louise TORRES, Marcel TORRES, Ernest TORRES, Esther TORRES, et MOUYAL Maklouf furent transférés à AUSCHWITZ le 20 JANVIER 1944 où ils furent exterminés.
Erika LOEL épouse JACOB, Max JACOB, Selma JACOB et Sarah JACOB furent transférés à AUSCHWITZ le 3 FEVRIER 1944 où ils subirent le même sort.
Le 13 JANVIER 1944 le Préfet Régional adressait à nouveau sous la signature de Maurice PAPON, aux autorités gouvernementales de Vichy et à leurs représentants à PARIS un rapport concernant les conditions dans lesquelles les opérations ont été suivies par les services de la Préfecture. Il sollicitait une intervention auprès des autorités allemandes en vue de la libération de 3 personnes (Georges NEVEU, HERAULT Lucien, LAMENARDIE Paul).
Maurice PAPON rédigeait une note de rappel le 3 FEVRIER 1944 ayant trait au sort de ces trois personnes ainsi que des femmes de prisonniers, anciens combattants décorés et mutilés maintenus à MERIGNAC.
La délégation régionale de la SEC adressait le 1er FEVRIER 1944 un rapport indiquant qu'à l'occasion de ces arrestations, ses inspecteurs ont agi en liaison directe avec les services de la Préfecture de BORDEAUX représentés par Monsieur DUBARRY et Madame EYCHENNE pour régler dans les plus brefs délais les cas litigieux. Selon le rédacteur, grâce à la compréhension mutuelle des autorités allemandes et françaises, beaucoup de cas douteux ont été examinés et tranchés.
Il ressort du rapport rédigé le 2 FEVRIER 1944 par le Préfet délégué Monsieur BOUCOIRAN que la rafle du 12 JANVIER 1944 "a soulevé dans le département une émotion d'autant plus vive qu'aucune raison particulière ne l'a expliquée et que la police française y a participé dans des conditions que la population ignore mais interprète défavorablement à son égard".
Dans un rapport du 15 JANVIER 1944 le Service des renseignements généraux note que "la nouvelle des arrestations s'est répandue rapidement dans toute la ville et qu'une foule de curieux est venue stationner devant la synagogue, attirée semble-t-il par la sympathie pour les israélites qui cependant n'étaient pas très aimés à BORDEAUX. Cette opération est critiquée dans tous les milieux de la population. On la réprouve surtout parce qu'elle était dirigée contre des citoyens français, également en raison de l'état de santé et de la situation de certains israélites arrêtés (vieillards, enfants de tous âges, femmes enceintes, mutilés ...) La coopération de la police Française à l'exécution de ces mesures est condamnée même par les éléments pondérés..; L'opinion publique s'étonne ainsi que de semblables opérations soient faites à BORDEAUX, pour la première fois en zone Nord, alors que le calme le plus complet règne depuis plusieurs années dans la région... De pareilles opérations ne peuvent qu'engendrer l'hostilité contre les troupes d'occupation et provoquer des attentats contre elles".
Dans une note du 20 FEVRIER 1944, adressée au Préfet régional, le général, Directeur des services de l'armistice faisait connaître que ses interventions concernant les juifs arrêtés n'étaient pas parvenues à la Direction des services de l'armistice et que "toutefois, s'agissant d'Israélites, fusent-ils considérés comme non Juifs aux termes des lois française et des ordonnances allemandes en vigueur... toutes les démarches tentées en faveur de telles personnes se sont toujours heurtées jusqu'ici à une fin de non recevoir de la part des autorités allemandes".
Les affirmations de Maurice PAPON selon lesquelles il n'est intervenu que pour téléphoner au Directeur de la police nationale et selon lesquelles Jacques DUBARRY s'est borné à soustraire le maximum de personnes aux arrestations et à humaniser leurs conditions de transfert sont contredites par les faits. Maurice PAPON a été étroitement associé autour de Maurice SABATIER, avec les responsables de la Préfecture, à la phase ayant précédé les arrestations. I1 a fait mettre à la disposition du Commissariat Central deux cars pour le transport des internés jusqu'à la gare Saint-Jean. Le Service des Questions Juives est intervenu au moment des arrestations en fournissant une aide matérielle (ravitaillement, couchage) mais surtout en participant avec la SIPO et la SEC au contrôle des arrestations et dans un deuxième temps en tentant des interventions "intuitu personnae".

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