La procédure

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Le contexte national

A la suite de l'armistice signé entre la France et l'Allemagne le 22 JUIN 1940, le territoire national a été coupé en deux zones matérialisées par une ligne de démarcation traversant notamment les départements des Basses Pyrénées, des Landes et de la Gironde qui dépendaient du Préfet Régional de BORDEAUX. Cette ligne séparait la "Zone non occupée" dans laquelle le "Gouvernement de VICHY" avait son siège et la zone occupée par les troupes allemandes. BORDEAUX a été occupé du 28 JUIN 1940 au 19 AOUT 1944. En NOVEMBRE 1942, la "zone non occupée" fut envahie par les troupes allemandes.
Pierre LAVAL a exercé à partir du 18 AVRIL 1942 les fonctions de chef du gouvernement, de Ministre Secrétaire d'Etat des Affaires Etrangères, de l'Intérieur et de l'Information.
René BOUSQUET s'est vu confier le Secrétariat Général de la Police au Ministère de l'Intérieur au début du mois de mai 1942 jusqu'à la fin 1943. En JANVIER 1944, il fut remplacé par DARNAND avec le nouveau titre de Secrétaire général au maintien de l'ordre.
René BOUSQUET était représenté à PARIS et pour la zone occupée par son délégué, Jean LEGUAY.
Fernand de BRINON a occupé à PARIS les fonctions de Délégué Général du Gouvernement en Territoire Occupé.
Au plan régional, l'armée d'occupation était placée sous l'autorité de la Felkommandantur 529 qui avait sous ses ordres notamment la Feldgendarmerie et de la Geheime Feldpolizei (G.F.P.) pour assurer l'ordre.
Par ailleurs, dès l'été 1940, la Reichsicherneitshauptamt (R.S.H.A.), direction de la sécurité du Reich, dont le 4ème bureau avait absorbé la Gestapo créa une antenne à BORDEAUX qui disparut en MAI 1942 quand fut créé un détachement de police de sûreté et de sécurité (Kommando der Sicherpolizei und der Sichereitz Dientz) ou KDS.
L'organisation des services de Police Allemande et les rapports qu'ils entretenaient avec les autorités françaises seront étudiés plus loin à propos de la mise en oeuvre de la politique de persécution anti-juive.

Organisation de la préfecture de bordeaux
Pouvoir de Maurice Papon

Maurice PAPON a été nommé Préfet Régional de la Gironde le 1er MAI 1942. Il a exercé ces fonctions jusqu'en AOUT 1944, date à laquelle il a été remis à la disposition du Ministère de l'Intérieur. Après avoir occupé les fonctions de Directeur de l'Administration Départementale et Communale au Ministère de l'intérieur depuis AOUT 1940, Maurice SABATIER avait été nommé en AVRIL 1942, Secrétaire Général pour l'Administration au Ministère de l'Intérieur.
Maurice PAPON a été nommé Secrétaire Général de la préfecture de la Gironde le 26 MAI 1941. Il avait été à partir du 26 MARS 1941, directeur du cabinet du Secrétaire Général pour l'Administration au Ministère de l'Intérieur, Maurice SABATIER.
Maurice PAPON indiquera que Maurice SABATIER ayant connu sa prochaine nomination comme Préfet Régional de BORDEAUX l'avait pressenti pour devenir Secrétaire Général de cette Préfecture. Après des hésitations il avait fini par accepter cette affectation car sa situation à VICHY devenait "délicate voire menacée" en raison de son "franc parler et sans doute d'imprudences verbales : critiques du gouvernement de VICHY soupçons d'avoir des sentiments gaullistes".
Maurice PAPON précisera que Maurice SABATIER avait rejoint son poste au mois de MAI 1942, tandis que pour sa part il avait été installé en qualité de secrétaire général le 1er JUIN 1942, sa prise de fonction effective n'étant intervenue selon lui que fin JUIN 1942 en raison du décès de son père. Il occupera ces fonctions jusqu'à la Libération de BORDEAUX où il sera nommé Préfet des Landes, poste qu'il n'occupera pas effectivement puisqu'il deviendra, immédiatement Directeur du Cabinet de Gaston CUSIN, Commissaire de la République du Gouvernement Provisoire de la République Française.

Les pouvoirs des Préfets et des Préfets régionaux avaient été définis par les lois du 23 DECEMBRE 1940 et du 19 AVRIL 1941, qui disposaient que :
- le Préfet est dans le département le seul représentant du Chef de l'Etat, Président du Conseil, devant qui il est responsable. Il est le représentant de toutes les administrations publiques civiles de l'Etat. Tous les fonctionnaires qui sont placés à la tête d'un service technique civil de l'Etat organisé dans le département ou la région à l'exception des magistrats de l'ordre judiciaire sont placés sous son autorité personnelle, les chefs de service sont tenus de lui fournir tous les renseignements utiles à l'accomplissement de sa mission. Les rapports des autorités civiles et militaires restent régis par les textes en vigueur.
- des pouvoirs spéciaux de police et des pouvoirs spéciaux en matière économique sont confiés aux préfets régionaux. Dans l'exercice de ses pouvoirs, le Préfet régional est assisté d'un Intendant de police et d'un Intendant des affaires économiques.

La région de BORDEAUX comprenait les départements de la Gironde et des Landes et des Basses Pyrénées.
Un arrêté ministériel du 28 FEVRIER 1942 prévoyait que le département du siège de la région était administré par un préfet délégué, par délégation du préfet régional et sous l'autorité directe de celui-ci. L'étendue des attributions administratives et de pouvoirs de tutelle conférés au Préfet délégué était déterminée par arrêté du Préfet régional.
Par arrêté du 20 JUIN 1942, le Préfet Régional a chargé le Préfet Délégué BOUCOUIRAN de l'administration du Département, à l'exception des affaires réservées, et a placé sous sa direction les services de la Préfecture , à l'exception du service de l'occupation et des réquisitions allemandes, du service de la circulation et du carburant, du Service des Questions Juives et du personnel des administrations publiques du Département, tous services pour lesquels Maurice PAPON a reçu délégation de signature par un autre arrêté du même jour.
Par notes des 30 JUIN , 3 et 4 JUILLET 1942, faisant expressément référence aux arrêtés du 20 juin 1942 et adressées aux chefs de Divisions et de Subdivisions de la Préfecture, Maurice SABATIER précisait que les affaires réservées par le Préfet Régional étaient mises à sa signature sous le double visa du Préfet Délégué et du Secrétaire Général, que le Secrétaire Général signait par délégation du Préfet Délégué pour l'ensemble des services et par délégation du Préfet Régional pour les affaires de l'occupation et des réquisitions allemandes, les affaires juives, les services de la circulation et du carburant et que le Préfet délégué signait les arrêtés et le courrier concernant les affaires importantes.
Par note de service du 18 JUIN 1943, le Préfet Régional indiquait aux chefs de Division et de Service qu'ils ne devraient point consulter directement le Cabinet du Préfet Régional, même s'agissant d'affaires politiques, mais qu'ils devraient soumettre les dossiers au préfet Délégué ou au Secrétaire Général qui en assureraient la transmission au Cabinet avec leurs propositions ou leurs avis motivés.
Par arrêté du 16 MAI 1944, Maurice SABATIER, rapportait l'arrêté du 20 JUIN 1942 fixant les attributions du Préfet Délégué de la Gironde, chargeait celui-ci, à l'exception des affaires réservées par le Préfet Régional, de l'administration du Département et lui donnait délégation de signature pour tout ce qui concerne les services de la Préfecture et ses annexes à l'exception du personnel des administrations publiques du Département.
Le 25 MAI suivant, Maurice PAPON rédigeait une note de service se référant à l'arrêté du 16 MAI et indiquait :
- "Délégation de signature est donc donnée à Monsieur le Préfet Délégué pour tout ce qui concerne les services de la Préfecture et de ses annexes et notamment le service des Israélites. Rien n'est, en principe, changé aux modalités de signatures actuellement en vigueur. La discrimination de l'autorité signataire étant assurée par le Secrétaire Général, vous voudrez bien placer dans le carton de celui-ci une chemise spéciale destinée à contenir la signature pour Monsieur le Préfet Délégué" -. Ce qui démontre que Maurice PAPON avait bien la totale maîtrise du Service des Questions Juives de la Préfecture. Une note de service du 1er février 1943, signée Maurice SABATIER, se réfèrant encore aux arrêtés du 20 JUIN 1942 et à la note de service du 4 JUILLET 1942 précise notamment :
- que le Directeur de Cabinet et le chef de Cabinet traitent les affaires courantes du Cabinet Régional et du Cabinet Départemental n'engageant pas la responsabilité du Préfet Régional.
- que l'Intendant de Police traite toutes les affaires courantes non réservées par le Préfet Régional et n'engageant pas sa responsabilité.

Cette note, diffusée auprès des commandants de la Compagnie de gendarmerie de la Gironde, rappelle les attributions du Secrétaire Général et les délégations de signature qui lui ont été confiées et prévoit que :
- "les chemises contenant les courriers "ministériels" et "Départemental signalé" sont adressées au Secrétaire Général qui les fait parvenir aux chefs de Division et de service, avec ses instructions écrites ou verbales, par l'intermédiaire du Préfet Délégué" - La même note, sous une rubrique "Responsabilité" prévoit l'organisation de la permanence ainsi qu'il suit :
- "Du lundi 9 heures au lundi suivant même heure, le Préfet Délégué, le Secrétaire Général, l'Intendant des Affaires Economiques et le Sous-Préfet Directeur du Cabinet assument, à tour de rôle, la responsabilité générale des services et des Cabinets, en dehors des heures de travail, ainsi que les missions, qui leur sont spécialement confiées par le Préfet, à charge pour eux de rendre compte, immédiatement, s'il est besoin, à celui-ci, des initiatives et décisions qu'ils auront été amenés à prendre" -

Enfin , cette note indique que :
- "nonobstant toute délégation de signature, l'autorité déléguée peut, si elle le juge utile, soumettre à la signature de l'autorité délégante un document qu'elle est habilitée à signer" -
Maurice PAPON a cependant insisté sur le fait que ses attributions à la Préfecture de la Gironde étaient purement départementales et qu'il n'avait aucun rôle à jouer dans l'organisation régionale, sauf intervention ponctuelle. Selon lui, en sa qualité de Secrétaire Général, il était le numéro trois de la hiérarchie préfectorale de la Gironde, le numéro un étant Maurice SABATIER, Préfet de la Gironde, le numéro deux étant Monsieur BOUCOIRAN, Préfet Délégué de la Gironde. De fait il avait des rapports directs aussi bien avec Maurice SABATIER qu'avec Monsieur BOUCOIRAN. Il avait la responsabilité, comme dans l'ensemble des départements de tous les bureaux de la Préfecture au plan de la gestion et pratiquement les fonctions de sous-préfet de l'arrondissement de la Gironde. Selon lui, il était de par ses fonctions, chargé de veiller à ce que les bureaux, sur lesquels il disposait d'un pouvoir hiérarchique exécutent les instructions et les décisions du Préfet et s'assurent dans tous les actes administratifs du respect de la loi. Il avait donc sous sa responsabilité les divisions classiques notamment : Administration Générale et Police Administrative ainsi que les services nés de la guerre au nombre desquels le Service des Questions Juives.
Maurice PAPON indiquera encore que Maurice SABATIER avait voulu établir un organigramme conforme à l'idée qu'il se faisait des hommes et des problèmes et avait voulu confier à son Secrétaire Général qui travaillait avec lui dès avant la guerre les questions particulièrement difficiles posées par la guerre et ses conséquences. Selon lui Maurice SABATIER voulait assurer sa complète autorité sur les services et aucune décision importante n'était prise sans son accord donné soit par note de service soit verbalement.
Maurice PAPON indiquera encore qu'il avait pris l'habitude de travailler avec Maurice SABATIER depuis 1935 et de se comprendre facilement avec lui; Il ajoutera - "sans doute a-t-il trouvé en moi les qualités qu'il souhaitait en dehors des défauts que je tairai et des sentiments de confiance nous unissaient jusqu'à d'ailleurs un certain degré d'affectivité peu commune dans la froide administration".
Néanmoins les affirmations de Maurice PAPON quant au rôle d'exécution qu'il aurait joué sont contredites par les déclarations de témoins entendus au cours de l'instruction qui ont exercé leurs fonctions à la Préfecture de BORDEAUX au moment des faits et qui ont insisté sur le rôle particulièrement important joué par Maurice PAPON. Ils ont indiqué que M. BOUCOIRAN, Préfet délégué était tenu à l'écart par Maurice SABATIER. Leurs déclarations sont corroborées par les appréciations données par les services allemands pour qui M. BOUCOIRAN est "de peu d'initiative, laissant les choses suivre leur libre cours" certains d'entre eux affirment même que Maurice PAPON se serait montré assez habile pour ne pas signer certaines réquisitions et les faire signer par M. BOUCOIRAN.
Ce rôle important est confirmé par les délégations étendues qui avait été consenties à Maurice PAPON par le Préfet Régional dans des secteurs aussi sensibles que ceux nés de l'occupation et notamment celui du Service des Questions Juives pour lequel Maurice PAPON exerçait de fait une compétence régionale, dans la mesure où il ressort du dossier qu'il donnait des instructions aux Préfectures et sous Préfectures de la région. Ainsi, le 27 DECEMBRE 1943, il adressait aux sous-préfets de BAYONNE et de MONT DE MARSAN une note leur réclamant la liste de tous les Juifs en résidence dans leur arrondissement. Il a d'ailleurs indiqué que les allemands avaient une conception régionale en matière de politique antijuive.
La loi du 23 AVRIL 1941 et le décret du 7 JUILLET 1941 conféraient au Préfet Régional un rôle de direction et de coordination de tous les personnels de police. Dans l'exercice de ces pouvoirs le Préfet régional était assisté par l'Intendant régional de Police qui avait le contrôle du fonctionnement, de l'organisation, des moyens matériels, du recrutement de l'entraînement, de l'armement et de la discipline générale de la police. En résumé, l'Intendant régional de Police était le représentant du Préfet Régional pour toutes les questions de police relevant de son autorité dans le cadre de la région. L'Intendance de police devait réaliser l'unité de direction des trois branches de la police : police judiciaire, sécurité publique, renseignements généraux.

Sous ses ordres étaient placés :
- un Commissaire Divisionnaire Chef de la Police de la Sécurité Publique de la Région, Monsieur FREDOU,
- un Commissaire Divisionnaire Chef de la Police des Renseignements Généraux de toute la région,
- un Commissaire Divisionnaire Chef de la Police Judiciaire de toute la région. Ce service comprenait en outre la section de Police Economique et la Section des Affaires Politiques (SAP) placée sous les ordres du Commissaire POINSOT, condamné à mort et exécuté à la Libération.


Maurice PAPON a affirmé qu'en dehors du Préfet Régional, seul son Directeur de Cabinet Jean CHAPEL était susceptible d'intervenir dans les questions de police. Il a néanmoins admis que le Bureau des Questions Juives était amené à entretenir des relations avec les services de police pour recueillir des renseignements sur le recensement des juifs et qu'il s'agissait de "relations dans les deux sens". Il précisera cependant que comme l'a noté Jean MORIN "le Service des Questions Juives en relation par la force des choses avec l'intendance de police aurait dû effectivement être attaché au cabinet du Préfet régional", les questions de police échappant totalement au Secrétaire Général. Selon lui les documents adressés aux services de police et de gendarmerie, signés de lui et saisis au cours de l'instruction, n'impliquent pas l'existence de rapports hiérarchiques.
Néanmoins l'instruction a permis de retrouver de nombreux documents établissant que Maurice PAPON donnait des directives soit à l'Intendant régional de police soit aux Commissaires de police ou à la gendarmerie.
Ces instructions concernaient non seulement les questions entrant dans la compétence du Service des Questions Juives mais aussi dans celle du Service des étrangers. Il s'agissait aussi d'ordres d'internement au camp de MERIGNAC, d'instructions concernant des transferts et des escortes et même la marche générale des services de police.

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