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IV - Le camp d'internement de MERIGNAC
Le décret loi du 18 NOVEMBRE 1939 avait prévu des cas d'internement administratif. L'article 1er de la loi du 3 SEPTEMBRE 1940 modifié par l'article 2 de la loi du 15 OCTOBRE 1941 disposait que, jusqu'à la date de la cessation légale des hostilités, le Secrétaire d'Etat à l'Intérieur ou le Préfet, conformément aux instructions du Gouvernement, pourraient interner administrativement dans un établissement désigné à cet effet les individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 SEPTEMBRE 1940, les étrangers du sexe masculin âgés de plus de 18 ans et de moins de 55 ans pouvaient, aussi longtemps que les circonstances l'exigeaient , être rassemblés dans des groupements d'étrangers s'ils étaient en surnombre dans l'économie française, et si, ayant cherché refuge en France, ils se trouvaient dans l'impossibilité de regagner leur pays d'origine ; d'après l'article 3 de la loi, c'était le Ministre de l'Intérieur ou le Préfet qui devait procéder à la désignation de ces étrangers. Enfin et surtout aux termes de l'article 1er de la loi du 4 OCTOBRE 1940, les ressortissants étrangers de race juive pouvaient être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence.
Les personnes internées de la région de BORDEAUX étaient regroupées au camp de MERIGNAC-BEAUDESERT, d'une capacité de plus de 500 personnes ou à son annexe de BACALAN ouverte courant 1942.
Les circulaires du 31 JANVIER 1942, 20 OCTOBRE et 11 NOVEMBRE 1943 prévoyaient que 1'entière responsabilité du camp était attribuée au chef de camp sous l'autorité du Préfet délégué ; le Préfet Régional devait veiller quant à lui au dispositif de protection du camp.
Il apparaît néanmoins que ce n'est qu'à partir du 20 AVRIL 1944 que le Préfet délégué a exercé "dans leur plénitude les attributions qui lui incombent en ce qui concerne les camps d'internement" ainsi qu'il est indiqué par une note signée Maurice SABATIER. Cette même note précise que le Préfet délégué est invité à faire "retirer au Cabinet les dossiers intéressant le camp de MERIGNAC".
En ce qui concerne les internements aucune délégation formelle n'avait été donnée au Préfet délégué bien que les notes du 30 JUIN et du 3 JUILLET 1942 prévoyaient que le Préfet délégué signait les arrêtés. Par contre le Préfet Régional, selon une note de service du 1er FEVRIER 1943 s'était réservé la signature des "arrêtés préfectoraux importants - nominations, ravitaillement, taxations, internements, etc..."
Maurice PAPON a soutenu qu'il n'avait aucun pouvoir hiérarchique sur le Directeur du camp de MERIGNAC, néanmoins il apparaît qu'il recevait directement du Commissariat aux Questions Juives les demandes d'internement. Il écrivait au Directeur du Camp le 16 SEPTEMBRE 1942 pour lui confirmer que les Juifs précédemment internés à MERIGNAC avaient alors été arrêtés soit sur ordre des autorités allemandes soit pour tentative de franchissement de la ligne de démarcation soit par suite d'une mesure générale de police.
Le 25 JUIN 1942 Maurice PAPON écrivait au Directeur du Camp pour lui signaler que les fonds laissés au départ par un Juif évadé doivent être déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations et l'autorisant à disposer des autres objets appartenant à l'intéressé. Après avoir interrogé le Commissariat Général aux questions juives, Maurice PAPON signait un arrêté du 9 NOVEMBRE 1943 selon lequel les sommes détenues par les Juifs déportés doivent être déposées à la Caisse des Dépôts et Consignations à un compte ouvert à leur nom.
Le Service des Questions Juives qui était sous l'autorité de Maurice PAPON de même que le Service des carburants et de la circulation a fait attribuer du carburant au Directeur du Camp de MERIGNAC pour les opérations menées contre les Juifs notamment le 7 août 1942 sous la signature de Pierre GARAT.
Des documents figurant au dossier, il ressort qu'il avait aussi compétence pour ordonner la mise en liberté de personnes internées, comme ce fut le cas pour Alice SLITINSKY.
L'ensemble de ces éléments démontre que Maurice PAPON exerçait en réalité les pouvoirs qui auraient dû être dévolus au Préfet délégué.
Maurice PAPON intervenait aussi dans les affaires pénitentiaires. Ainsi, un état des détenus transférés du quartier allemand au quartier français du Fort du Hâ en date du 25 SEPTEMBRE 1943 mentionne qu'il a été établi après la visite du Secrétaire général du 23 SEPTEMBRE 1943. Figure au dossier un document manuscrit établi sur des feuilles à en-tête du Secrétaire général de la Préfecture contenant des renseignements sur l'état et le fonctionnement des camps et des prisons, notamment du Fort du Hâ. Maurice PAPON a encore donné des directives à l'Intendant Régional de police pour la création d'un hôpital prison au groupe PELLEGRIN ainsi que pour la marche de ce service. Maurice PAPON exerçait les pouvoirs dévolus au Préfet en matière d'administration pénitentiaire telles qu'elles étaient définies par une note établie par la 1° Division de la Préfecture. D'ailleurs, dans son interrogatoire du 5 juillet l995, Maurice PAPON a indiqué que "le Fort du Hâ intéressait très étroitement la Préfecture car on se souvenait que les détenus avaient été le vivier des Allemands pour désigner les otages". Il sera vu que les Allemands ont fait transférer à plusieurs reprises des détenus juifs du Fort du Hâ au camp de MERIGNAC afin qu'ils soient inclus dans les convois de déportés à destination de DRANCY.
V - Les services de Police Allemands - Leurs rapports avec la Préfecture
Dès l'été 1940 la REICHSICHEREITSAUPTAMT (R.S.H.A.), direction de la sécurité du Reich, dont le 4ème Bureau avait absorbé la Gestapo, s'était implanté en France où avaient été créés quatre antennes dont une à BORDEAUX.
Le 2 MARS 1942 le Général Karl OBERG fut nommé chef supérieur des S.S. et de la police. L'antenne de police du R.S.H.A. disparut en mai 1942 et fut remplacée par un détachement de la police de sûreté et de sécurité (Kommando der Sicherpolizei und der Sichereits Dieutz) ou KDS.
Du KDS de BORDEAUX, créé en mai 1942, dépendaient les antennes de RENNES, ANGERS, NANTES, POITIERS, LA ROCHELLE et BIARRITZ. Ce service déposséda la Feldkommandantur de ses attributions de police. Le lieutenant Franz LUTHER remplaça le lieutenant HAGEN à la tête de ce nouvel organisme jusqu'au 19 OCTOBRE 1943. De cette date à la Libération, le KDS de BORDEAUX fut commandé par Walter MACHULE.
Le KDS étendait sa compétence aux départements de la Gironde, des Landes et des Basses Pyrénées. Il avait des postes détachés à BAYONNE, DAX, MONT DE MARSAN, HENDAYE, ORTHEZ et LANGON (ces deux derniers furent supprimés en 1943).
Le KDS de BORDEAUX comprenait six sections et notamment :
- La section II : Police administrative, associations diverses, associations sportives et culturelles qui s'occupait à BORDEAUX des questions juives contrairement à l'organigramme habituel qui confiait ce secteur à la section IV J.
Cette section a été commandée de Juin 1942 à Mars 1943 par le sous-lieutenant PRAUSE et d'avril 1943 à la Libération par le capitaine NAHRICH, adjoint de LUTHER.
Maurice PAPON a indiqué que Maurice SABATIER avait en tant que responsable régional des rapports tant avec la Feldkommandantur émanation de la WEHRMACHT qu'avec la SIPO composée de nazis et que quant à lui ses rapports se limitaient à la FELDKOMMANDANTUR 529 pour les problèmes nés de l'occupation, sauf les questions juives : c'est Pierre GARAT, chef du bureau des Questions Juives qui assurait la liaison avec la SIPO pour les questions de son service. Il était, selon lui, convoqué par la SIPO pour "recueillir les ordres qu'il essayait de discuter mais sa marge de négociation était très réduite et qu'il lui rapportait". Maurice PAPON a déclaré qu'il rendait compte ensuite au Préfet Régional qui donnait les instructions qui convenaient. Pierre GARAT était selon l'expression de Maurice PAPON "un agent de transmission entre le service de sûreté allemand chargé des questions juives et l'administration française". Il dira ailleurs que GARAT jouait un rôle de "facteur" mais aussi de négociateur.
Selon Maurice PAPON, outre Pierre GARAT, les membres du cabinet du Préfet Régional, le Préfet délégué et même parfois en cas d'urgence, l'Intendant régional de police entretenaient des rapports avec la SIPO. Néanmoins plusieurs courriers signés "le Secrétaire Général Maurice PAPON" ont été échangés avec la SIPO S.D au point que le 12 JANVIER 1944 Maurice PAPON demandait à Jacques DUBARRY d'entreprendre des démarches en faveur des "juifs intéressants" au nom de Maurice SABATIER et en cas d'échec de lui rendre compte dès que possible afin qu'il puisse faire appel auprès du Capitaine NAHRICH.
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