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Tout le monde le savait

Mais, mieux encore, il ressort de très nombreux éléments du dossier que Maurice PAPON, dès les premières opérations menées contre les Juifs, a acquis la conviction que leur arrestation, leur séquestration et leur déportation vers l'Est les conduisaient inéluctablement à la mort.
Le compte-rendu d'audience devant le Tribunal Militaire de NUREMBERG en date du 8 AVRIL 1948 résume la politique de persécution menée par HITLER en Allemagne dès 1933, sous le regard des autres Nations, telle qu'elle avait été clairement annoncée par "Mein Kampf", puis concrétisée par la prise des premières ordonnances anti-juives :

"Lorsque les nazis prirent le pouvoir en 1933, la persécution des Juifs devint la politique officielle du Gouvernement... Mein Kampf n'était pas une publication privée... Le Parti Nazi a sans cesse crié sa haine des Juifs aux oreilles du monde... Partout les dirigeants nazis insultaient les Juifs et les livraient à la risée et au mépris de l'opinion publique. En novembre 1938, une bande de voyous inspirée et organisée par les SS se rua sur les Juifs d'Allemagne. Des synagogues furent détruites, des Juifs éminents furent arrêtés et jetés en prison, une amende collective d'un milliard de marks fut imposée, des ghettos furent créés et les Juifs furent dès lors obligés sur ordre de la Police de Sûreté de porter une étoile jaune sur la poitrine et dans le dos".

En France, il n'en ira pas différemment.
Les premiers éléments de sa conviction sur le sort réservé aux Juifs, Maurice PAPON les a puisés dans le contenu des études qu'il a suivies.
En 1936, après avoir obtenu Licence en Droit, Certificats d'Etudes Supérieures d'Economie Politique et de Droit Public, de Psychologie et de Sociologie, il est diplômé de l'Ecole des Sciences Politiques, berceau de l'enseignement des formes et techniques comparées de Gouvernement ainsi que des principes juridiques fondateurs de l'Etat de Droit et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, venus du Siècle des Lumières. Maurice PAPON, qui, comme 1'a relevé, parmi d'autres, Jacques SOUSTELLE, Commissaire de la République à BORDEAUX à la Libération, connaît la langue allemande et la langue anglaise, pouvait alimenter sa culture de toutes sortes de lectures lui révélant au jour le jour l'accélération de l'Histoire de son temps.
Jean LISBONNE, qui a rencontré Maurice PAPON en 1932 alors qu'il était Elève Officier de Réserve à SAINT CYR, disait déjà :

"J'ai eu l'occasion de me trouver avec Maurice PAPON du fait, notamment, que nous avions une formation juridique commune... Nous conversions très souvent et échangions nos points de vue. A cette époque où se profilait la doctrine National-Socialiste, notre opinion à l'un et à l'autre a toujours été la crainte de voir HITLER gagner de plus en plus de terrain. Pratiquant les langues étrangères, nous avons eu par les journaux et par les camarades qui s'étaient rendus en Allemagne des échos des tendances national-socialistes".

Le rappel, ensuite, des fonctions qu'a occupées Maurice PAPON au début de sa carrière d'administrateur, montre qu'il était amplement informé, par voie professionnelle, des desseins formés contre les Juifs.
En 1936, il est attaché au Cabinet du Sous-Secrétariat d'Etat à la Présidence du Conseil, puis, en 1937, au Cabinet du Sous-Secrétariat d'Etat aux Affaires Etrangères, d'où il assiste, en témoin privilégié et renseigné, à la mise en oeuvre de la politique nazie en Allemagne qui provoque aussitôt une importante vague d'immigration en France de toute une population juive fuyant la persécution.
Il rejoint ensuite le Secrétaire Général pour l'Administration au Ministère de l'Intérieur dont il dirigera le Cabinet jusqu'au mois de mai 1942. Sous la responsabilité de son ministre de tutelle sont alors prises, après l'Armistice dont la Convention ne contient aucune disposition relative aux Juifs, les premières lois portant statut des Juifs et autorisant l'internement des étrangers parmi eux sur simple décision préfectorale. Puis il assiste à la prise des lois et ordonnances aggravant ce statut en prescrivant le recensement des Juifs, en créant le Commissariat aux Questions Juives, en institutionnalisant l'étoile jaune dont le port sera rendu obligatoire au moment où il arrive à BORDEAUX, toutes mesures signant de leurs dénominations mêmes leur caractère discriminatoire à l'encontre d'une importante fraction de la population sans cesse grossie des nouveaux flux d'immigrés fuyant les camps de concentration, après les massacres perpétrés par les EINZATZGRUPPEN suivant la course des armées allemandes vers l'Est.
Sa connaissance de cette politique dévastatrice est encore renforcée, avant même sa nomination à BORDEAUX, par l'exercice de ses fonctions au Cabinet du Directeur Adjoint des Affaires Départementales et Communales, Maurice SABATIER, qui lui confèrent, notamment, le contrôle de la Sous-Direction de l'Algérie, laquelle est intéressée par l'abondante législation visant la communauté juive d'Algérie, circonstance de nature à combattre son affirmation devant le Conseiller Instructeur à qui il déclarait le 31 MAI 1989 :

"Mes activités, comme celles d'ailleurs de Maurice SABATIER, au sein du Ministère de l'Intérieur du Gouvernement de VICHY n'avaient rien à voir avec les Questions Juives puisqu'il s'agissait des problèmes de l'Administration Départementale et Communale, voire même Régionale".

La persécution, qui s'est entre temps étendue à une grande partie de l'Europe Continentale dans le sillage de la guerre, illustre dès lors les propos tenus publiquement par HITLER dans son discours au Reichstag du 30 JANVIER 1939 qui annonçait que si l'on devait en arriver à la guerre, cela signifierait l'extermination de la race juive en Europe, propos repris dans un article Presse allemand en 1941 sous la signature de GOEBBELS qui confirmait :
"Nous vivons précisément l'accomplissement de cette prophétie",
enfin, propos rappelés dans le "Rapport final sur la déportation des Juifs d'Europe avec le concours des Affaires Etrangères" présenté lors du procès de NUREMBERG.
Toujours en poste à VICHY, Maurice PAPON ne peut non plus avoir ignoré les premières vagues d'arrestations massives de Juifs qui se sont publiquement déroulées à PARIS les 14 MAI, 20 AOUT et 12 DECEMBRE 1941, au cours d'opérations dont la Presse a spectaculairement rendu compte, réalisées sur plusieurs journées dans les différents arrondissements de la Capitale occupée et visant des milliers de Juifs tant étrangers que Français, dont une partie des notables parisiens de cette communauté.
Le Commissariat aux Questions Juives, s'adressant à 1'Amiral DARLAN, Vice-Président du Conseil, commente les opérations qui ont débuté le 20 AOUT et en révèle le climat :

"Les Autorités Allemandes viennent de procéder à l'arrestation de 3.000 Juifs français et étrangers, principalement dans le XIème arrondissement, qu'ils ont transportés au Camp de DRANCY. Les Allemands ont fait ces arrestations massives sans aucune discrimination mais ils ont déclaré qu'ils envisageaient volontiers des mesures de faveur à l'égard des Juifs anciens combattants. Ce sont les Autorités Allemandes de l'Ambassade qui ont pris l'initiative de ces arrestations, ce dont la Préfecture de Police ne peut que se féliciter, car cette mesure a été très opportune au moment où les Juifs, grisés par la résistance russe, relèvent la tête et escomptent déjà la défaite allemande et la victoire britannique".

Mais l'attention du public sera aussi attirée sur "les mesures de faveur envisagées" par les Allemands à l'égard des victimes qui lui sont ainsi désignées. Un rapport du Commissaire de Police de la ville de COMPIEGNE à propos du transfèrement, à la demande des Autorités Allemandes, le 20 MARS 1942, de 178 juifs du camp Royallieu à PARIS, pour être dirigés sur le camp de DRANCY, et assuré par 100 gendarmes français, relate les conditions de l'opération réalisée sur un parcours de plus de deux kilomètres séparant le camp de la Gare alors que les détenus marchent enchaînés deux par deux, beaucoup d'entre eux arborant à la boutonnière les insignes d'Officier et de Chevalier de la Légion d'Honneur, de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre, donnant l'impression de gens affamés.
Ainsi, un Haut Fonctionnaire du Gouvernement de VICHY, successivement en poste auprès d'organes très agissants, d'abord Présidence du Conseil, puis Ministères des Affaires Etrangères et de l'Intérieur, organes disposant au surplus de moyens d'information - et de contrôle de cette information - sûrs, fiables et protégés, permettant d'exploiter toutes les sources, y compris les productions clandestines, et d'apprécier la concordance des renseignements recueillis par leur capacité d'en isoler les éléments de propagande perturbateurs, ne pouvait d'ores et déjà avoir de doutes sur la finalité des rafles qu'il allait contribuer à organiser à BORDEAUX à la demande des Nazis et dont les Juifs allaient être victimes comme leurs corréligionnaires allemands persécutés avant la guerre.
D'ailleurs sur place, alors qu'au Printemps a été présentée au public bordelais l'exposition itinérante "le Juif et la France", le Capitaine SEZILLE, Directeur de l'Institut d'Etudes des Questions Juives, l'avait lui-même annoncé lors d'une conférence à l'Alhambra en termes péremptoires :

"Le Juif doit disparaître pour le bien des générations futures".

La connaissance qu'a Maurice PAPON de cette volonté déjà ancienne et affirmée d'élimination des Juifs qui guide sans répit l'action des nazis va s'enrichir encore de sa propre expérience alors que, Secrétaire Général de l'une des plus importantes Préfectures de France, il va se trouver au centre du dispositif territorial de persécution.
En effet, les regroupements et transferts vers DRANCY s'intensifient et se succèdent très vite sans discrimination, visant tout aussi bien les enfants qui seront déportés dès le mois d'Août 1942, pour finir par atteindre massivement les vieillards même âgés de plus de 70 ans, y compris ceux qui sont en traitement dans les hôpitaux, hospices et maisons de retraite dans lesquels ont ne les laissera pas finir leurs jours, et dont la liste sera remise par la Préfecture en réponse à la demande allemande du 16 FEVRIER 1944.
Ces opérations donnent lieu, dès le début de l'année 1942, à la multiplication des instructions du Ministère de l'Intérieur, dont les Services tiennent des statistiques, à l'effet de respecter les quota et cadences imposés par les Autorités Allemandes, d'éviter toute fuite des intéressés, de prendre toutes mesures pour rechercher ceux qui se soustrairaient à leur appréhension, y compris ceux qui se blessent en s'évadant ou ceux dont l'arrestation a été oubliée, tel le ménage WEISS comprenant le père, la mère et une fillette de 7 ans résidant au BOUSCAT.
Le 8 SEPTEMBRE 1942, le Chef de la Kommandantur 529 à BORDEAUX écrit à la Préfecture de la Gironde sous le couvert de GARAT en termes explicites :

"Vous êtes prié de vous présenter Lundi 14 SEPTEMBRE 1942 .... pour faire votre rapport sur la situation de l'élimination juive. Prière d'apporter les documents et statistiques".

Est ainsi, très tôt, nécessairement mise à néant dans l'esprit de Maurice PAPON, la légende colportée d'une déportation massive en vue de la confiscation, au profit de l'Allemagne, d'un important réservoir de main-d'oeuvre nécessité par la poursuite de l'effort de guerre.
D'ailleurs, à la différence du processus d'enrôlement des jeunes travailleurs astreints au Service du Travail obligatoire, les regroupements de Juifs qui ont suivi les grandes rafles parisiennes conduites au grand jour, s'exécutent désormais dans la clandestinité de la nuit à l'effet, certes, de réduire tout risque d'évasion et de dispersion de la communauté dont les membres ont l'interdiction de déplacer leur résidence, mais aussi dans le souci de prévenir les réactions du reste de la population dont les rapports des Préfets ont traduit la vive émotion.
En outre, les conditions dégradantes du traitement imposé aux Juifs de tous âges, entassés dans des wagons à bestiaux, dépourvus d'hygiène, enchaînés si nécessaire - ainsi que le rappellent les rapports d'escorte-, puis regroupés au camp de DRANCY dont des documents de Septembre 1941, Décembre 1941 et Mars 1942 révèlent l'inhumanité, ne s'expliquent pas autrement que par l'intensité du mépris dans lequel ils sont tenus et qui n'annonce pas autre chose que leur prochaine élimination physique, une fois qu'ils ont été dépossédés de leurs biens aryanisés et vendus à l'encan, des outils de travail indispensables à leur simple survie, du viatique qui leur est confisqué dès leur arrivée dans les camps et soigneusement consigné sur les "Etats nominatifs des Juifs ayant déposé une somme lors de leur déportation", significatifs, comme d'ailleurs le renvoi à leurs expéditeurs du courrier adressé aux internés de MERIGNAC, du peu d'espoir que l'on pouvait concevoir de leur retour, tout étant fait comme si, d'ores et déjà, les Juifs n'existaient plus.
Mais, malgré la clandestinité dans laquelle s'efforcent d'agir maîtres d'oeuvre et exécutants de ce sinistre programme, sa poursuite elle-même va provoquer des réactions et retentissements dont le Haut Fonctionnaire qu'est Maurice PAPON, déjà au fait de l'idéologie qui le sous-tend, de l'appareil législatif et policier qui le précipite et du dispositif logistique qui le rationalise, ne peut ignorer l'ampleur.
Secrétaire Général de la Préfecture de la Gironde, il est affecté à un nouveau poste de responsabilité qu'il a accepté en connaissance de son importance en zone dite interdite pour y administrer les populations sinistrées par la guerre, sous l'autorité de Maurice SABATIER qui lui délègue aussitôt la partie capitale de ses pouvoirs réservés intéressant l'Occupation Allemande, poste qui le met en relation, aussi, avec les autorités civiles et religieuses, avec l'Occupant, enfin avec sa propre hiérarchie jusqu'au niveau le plus élevé de l'Etat.
Il va d'abord être le témoin de la terreur éprouvée par la communauté juive elle-même, dont des milliers de sujets refusent de porter l'étoile jaune et tentent de franchir la ligne de démarcation qui traverse la région en vue de fuir la zone occupée et au mépris des graves sanctions encourues alors que les suicides se multiplient au camp de MERIGNAC et qu'au risque de leur vie des Juifs désespérés tentent de s'évader des trains les convoyant à DRANCY.
Samuel SCHINAZI, arrêté en Octobre 1941 pour faits de résistance, incarcéré au Fort du Hâ puis interné au Camp de MERIGNAC où il restera jusqu'en MARS 1943 déclare :

"Nous avions tous conscience dans le Camp de MERIGNAC que d'être incorporé à un convoi pour DRANCY signifiait que nous allions trouver la mort dans un camp de déportation pour l'Allemagne.
"Pendant mon incarcération au Fort du Hâ, je pensais que les gens déportés en Allemagne partaient dans des camps de travail ou étaient internés jusqu'à la fin de la guerre.
"Mais quand je suis arrivé au Camp de MERIGNAC, petit à petit, j'ai appris au cours de conversations l'existence de chambres à gaz et de l'extermination systématique des Juifs déportés. Nous avions su cela, je pense, vraisemblablement par des réfugiés juifs allemands qui avaient fui leur pays et qui avaient été repris en France."
"Au début, les gens pensaient que ce n'était peut être pas tout à fait vrai, mais rapidement nous avons été parfaitement conscients du sort qui nous était réservé. Nous vivions dans une angoisse permanente".

Diverses émissions radiophoniques étrangères, captées par les Services Français, révèlent aussi dès le mois d'Août 1942 le terrible sort qui attend les Juifs. Toutes ces informations sont confirmées par de nombreuses dépêches d'agences de Presse du monde entier qui dénoncent de manière répétitive et tout au long de la guerre le massacre des Juifs et en précisent les conditions d'extermination.
Au mois de Décembre 1942, Anthony EDEN, Secrétaire d'Etat britannique aux Affaires Etrangères fait une déclaration à la Chambre des Communes sur la politique allemande d'extermination des juifs pour confirmer les informations venant du Gouvernement Polonais et communiquées aux Gouvernements Alliés quant au traitement et au sort réservés aux Juifs. Cette déclaration est également diffusée par les Agences de Presse.
Le 17 DECEMBRE 1942, l'Agence TASS transmet une déclaration conjointe des Gouvernements de Belgique, des Etats-Unis d'Amérique, de Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, de Grèce, du Luxembourg, de Norvège, de Pologne, des Pays-Bas, de Tchécoslovaquie, de l'URSS, de Yougoslavie et du Comité National Français sur l'extermination de la population juive en Europe par ordre des Autorités Hitlériennes, qui indique, notamment, que la Pologne a été convertie en "abattoir nazi n° 1" pour les Juifs et que le nombre des victimes des massacres s'élève à plusieurs centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.
Sur le territoire français, malgré la censure et les risques encourus, plusieurs dignitaires de l'Eglise se sont élevés, dans des lettres pastorales lues en chaire et dont la distribution a été largement assurée, contre le traitement réservé aux Juifs en se référant expressément aux droits imprescriptibles de la personne humaine et en manifestant leur angoisse sur le devenir de ces victimes.
Le premier d'entre-eux, Jules-Gérard SALIEGE, Archevêque de TOULOUSE :

"Que des enfants, des femmes et des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d'une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle".

Puis, Pierre-Marie THEAS, Evêque de MONTAUBAN, ville natale de René BOUSQUET :
"A PARIS, par dizaines de milliers, des Juifs ont été traités avec la plus barbare sauvagerie. Et voici que dans nos régions on assiste à des spectacles navrants : des familles sont disloquées, des hommes et des femmes sont traités comme un vil troupeau et envoyés vers une destination inconnue avec la perspective des plus grands dangers".

Et encore, Jean DELAY, Evêque de MARSEILLE :

"Arrêter en masse, uniquement parce qu'ils sont juifs et étrangers, des hommes, des femmes, des enfants, qui n'ont commis aucune faute personnelle, dissocier les membres d'une même famille et les envoyer peut-être à la mort, n'est-ce pas violer les lois sacrées de la morale et les droits essentiels de la personne humaine et de la famille, droits qui viennent de Dieu ?"

Enfin, le Cardinal GERLIER, Archevêque de LYON :

"Nous assistons à une dispersion cruelle des familles où rien n'est épargné, ni l'âge, ni la faiblesse, ni la maladie. Le coeur se serre à la pensée des traitements subis par des milliers d'êtres humains et plus encore en songeant à ceux qu'on peut prévoir".

Toujours à LYON en cette même période au cours de laquelle Maurice PAPON fait remettre aux autorités allemandes, en les vouant ainsi à la mort, des enfants placés dans des familles d'accueil ou confiés au Grand Rabbin après l'arrestation de leurs parents, le Révérend Père CHAILLET, animateur, sous l'égide du cardinal GERLIER, de l'Association "Les Amitiés Chrétiennes", soustrait aux Allemands 84 enfants juifs dont les parents ont été internés au Camp de VENISSIEUX. Dans son rapport au Gouvernement de VICHY, le Préfet Régional de LYON relate le 1er SEPTEMBRE 1942, en évoquant le Révérend Père CHAILLET:

"Il réitéra devant moi ses déclarations invoquant sa conscience de prêtre catholique qui l'invitait à considérer comme un dépôt sacré les enfants des malheureux Juifs partis en exil et sans doute à la mort", maintint son refus de nous rendre les enfants",
Et, évoquant le Cardinal GERLIER :
"Le Cardinal... me déclara que le geste des Amitiés Chrétiennes avait la signification d'une protestation de l'Eglise contre la remise des Israélites étrangers aux autorités occupantes, que c'était pour lui une obligation morale impérieuse que de les protéger, ayant reçu dépôt de ces enfants des mains de leurs parents, que son attitude enfin n'était point dirigée contre le Gouvernement mais contre le Gouvernement Allemand- Ma protestation, ajouta-t-il, est même de nature à renforcer le Gouvernement Français dans ses rapports avec les autorités occupantes car elle montre ainsi à l'Allemagne les difficultés intérieures que crée en France la remise des Juifs".

En répression, par arrêté du 1er SEPTEMBRE 1942, le Préfet du Rhône assignait le Révérend Père CHAILLET à résidence. Sur ordre donné à BERLIN, cette mesure était transformée en arrestation.
Le Comité National de l'Eglise Réformée exprime aussi son angoisse dans un communiqué du 22 SEPTEMBRE 1942 destiné à être lu en chaire le 4 OCTOBRE :

"... La loi divine n'admet pas que des familles voulues par Dieu soient brisées, des enfants séparés des mères, le droit d'asile et sa pitié méconnus, le respect de la personne humaine transgressé et des êtres sans défense livrés à un sort tragique..."

Ce communiqué relayait la lettre que le Pasteur Marc BOEGNER écrivait au Maréchal PETAIN le 20 AOUT 1942 et qui révèle la connaissance acquise par les Juifs et les Eglises du destin des déportés :

"La vérité est que viennent d'être livrés à l'Allemagne des hommes et des femmes réfugiés en France pour des motifs politiques ou religieux, dont plusieurs savent d'avance le sort terrible qui les attend".
Cette livraison a eu lieu..." dans des conditions d'inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies". Vice-Président du Conseil Oecuménique des Eglises Chrétiennes qui groupe toutes les grandes Eglises en dehors de l'Eglise Catholique romaine, je ne puis pas ne pas vous faire part de l'émotion profonde éprouvée par les Eglises de Suisse, de Suède, des Etats-Unis, à la nouvelle connue déjà dans le monde entier, de ce qui s'accomplit en ce moment même en France".


Le 28 AOUT 1942, la protestation adressée à VICHY par le Consistoire Central Israélite traduisait en termes plus précis encore l'analyse faite par les dirigeants de la Communauté juive du programme d'extermination élaboré par les nazis :

"Le Consistoire Central ne peut avoir aucun doute sur le sort final qui attend les déportés, après qu'ils auront subi un affreux martyre. Le Chancelier du Reich n'a-t-il pas déclaré dans son message du 24 FEVRIER 1942 : "ma prophétie, suivant laquelle au cours de cette guerre, ce ne sera pas l'humanité aryenne qui sera anéantie, mais les Juifs qui seront exterminés, s'accomplira. Quoique nous apporte la bataille et quelle qu'en soit la durée, tel sera son résultat final".
"Ce programme d'extermination a été méthodiquement appliqué en Allemagne et dans les pays occupés par elle, puisqu'il a été établi par des informations précises et concordantes que plusieurs centaines de milliers d'Israélites ont été massacrés en Europe Orientale, ou y sont morts, après d'atroces souffrances à la suite des mauvais traitements subis. Enfin, le fait que les personnes livrées par le Gouvernement Français ont été rassemblées sans aucune discrimination, quant à leurs aptitudes physiques, que parmi elles figurent des malades, des vieillards, des femmes enceintes, des enfants, confirme que ce n'est pas en vue d'utiliser les déportés comme main-d'oeuvre que le Gouvernement Allemand les réclame, mais dans l'intention bien arrêtée de les exterminer impitoyablement et méthodiquement".


C'est la peur inavouée d'intervenir dans l'accomplissement de l'atroce destin des Juifs qui, après le mois d'octobre 1942, pousse le Commissaire TECHOUEYRES dans son refus de participer à toute nouvelle opération contre eux après, dit-il, s'être entretenu avec le Grand Rabbin COHEN qui lui avait fait part de son inquiétude sur le sort des enfants transférés à DRANCY.
Maurice PAPON lui, qui a choisi de s'interroger à maintes reprises au cours de l'instruction sur le sort judiciaire réservé aux Juifs internés à DRANCY et contraints d'y procéder à la sélection de leurs corréligionnaires en vue de la constitution des convois vers l'Est, n'était pas non plus un Français ordinaire. Homme de culture raffinée et administrateur de valeur reconnue, dont Yvette CHASSAGNE dira, en un propos qu'il qualifiera d'"élucubrations", qu'il en savait "sans doute plus que l'homme de la rue", Maurice PAPON a préféré demeurer à son poste. Cela, le Jury d'Honneur, réuni à sa demande, le lui a unanimement reproché dans "la sentence rendue à son encontre", ainsi que l'a définie le Révérend Père Riquet, laquelle, sans même pouvoir se fonder sur l'ensemble des pièces de la procédure pénale, concluait cependant le 15 DECEMBRE 1981 qu'il aurait dû démissionner de ses fonctions au mois de Juillet 1942.
Ainsi Maurice PAPON, par son parcours personnel et socio-professionnel, qui l'a mis au contact médiat et immédiat de sources d'informations privilégiées, multiples et concordantes sur le déroulement en Europe, et spécialement en FRANCE et à BORDEAUX, du programme hitlérien d'extermination des Juifs au service duquel il a placé la logistique des bureaux de la Préfecture, rouage indispensable du processus de destruction, a eu, dès avant sa prise de fonctions, une connaissance claire, raisonnée, circonstanciée et continue du dessein formé par les nazis d'attenter à la vie de ces personnes, constitutif de préméditation même s'il a pu demeurer dans l'ignorance des conditions exactes de leurs souffrances ultimes et des moyens techniques utilisés pour leur donner la mort.
Il existe dès lors des charges suffisantes contre lui de s'être rendu coupable de complicité d'assassinats.

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