> La procédure en bref
> L'arrêt de la chambre d'accusation
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L'instruction a établi que Maurice PAPON avait une connaissance précise de la politique anti juive menée par le gouvernement de VICHY depuis la signature de l'armistice. En effet, il a occupé à partir d'octobre 1940, le poste de Directeur de Cabinet du Secrétaire Général pour l'administration au Ministère de l'intérieur, au moment où étaient prises les premières lois discriminatoires contre les Juifs. Quand il va rejoindre son poste de secrétaire général à BORDEAUX, la quasi totalité des textes législatifs organisant l'exclusion, le fichage et la persécution des Juifs était déjà en vigueur. Trois grandes rafles de Juifs avaient été faites à PARIS les 14 MARS, 20 AOUT et 12 DECEMBRE 1941. La rafle du 20 AOUT 1941 concerna 4232 hommes Juifs dont 1500 Français parmi lesquels 6 avocats réputés du barreau de PARIS dont l'arrestation fut largement diffusée dans la presse à des fins de propagande.
Les internements de Juifs étaient devenus de plus en plus nombreux au cours de cette période tant en zone libre qu'en zone occupée. Les camps de PITHIVIERS et de BEAUNE-LA-ROLANDE (Loiret) et le camp de DRANCY ouverts en 1941 étaient affectés exclusivement aux internés juifs de zone occupée comme le confirme la circulaire du Ministère de l'Intérieur du 31 JANVIER 1942.
Les affirmations de Maurice PAPON selon lesquelles il aurait du quitter VICHY en raison de ses sentiments bien connus pour être défavorables au gouvernement de l'époque et selon lesquelles il n'aurait pas eu le choix d'avoir le Service des Questions Juives de la Préfecture dans ses attributions sont contredites par les faits. Il est en effet inconcevable qu'un fonctionnaire dont la loyauté au gouvernement de VICHY pouvait passer pour douteuse soit nommé Secrétaire Général d'une des plus importantes préfectures de FRANCE et de zone occupée, se trouvant de surcroît en zone interdite où l'occupation allemande était particulièrement présente et où les rapports avec l'occupant étaient spécialement délicats. En outre Maurice SABATIER connaissait Maurice PAPON de longue date et c'est lui qui l'avait pressenti pour devenir Secrétaire Général de la Gironde. Il avait une confiance particulière en Maurice PAPON comme en témoigne l'étendue des délégations qu'il lui a consenties dans des domaines aussi sensibles que les affaires nées de l'occupation et le Service des Questions Juives. Il est encore inconcevable que Maurice SABATIER n'ait pas informé Maurice PAPON des attributions qui seraient les siennes à BORDEAUX avant qu'il accepte le poste de secrétaire général. C'est donc en pleine connaissance de ce que le Service des Questions Juives de la préfecture serait placé sous son autorité et aurait à pratiquer une politique anti juive, que Maurice PAPON a accepté son affectation à BORDEAUX.
Maurice PAPON ne saurait être fondé à invoquer les instructions données le 8 janvier 1942 à la BBC, par le Lieutenant Colonel TISSIER aux fonctionnaires et magistrats demeurés en France, dans la mesure où elles avaient un caractère purement incitatoire en conseillant d'entraver au maximum les instructions des occupants et de recueillir le maximum de renseignements et ne sauraient en aucun cas justifier des opérations tendant à la livraison de personnes en vue de leur déportation.
La sentence du jury d'honneur réuni à la demande de Maurice PAPON par le Comité d'action de la résistance rendue le 15 décembre 1981, relève à l'unanimité : - "au nom même des principes qu'il croyait défendre et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance française, pour demeurer à son poste, Monsieur Maurice PAPON aurait dû démissionner de ses fonctions au mois de Juillet 1942"-.
Dès son arrivée en Gironde, Maurice PAPON a eu connaissance de la mise en place au plan local, comme au plan national, d'une politique d'arrestations et de déportations massives à l'instigation des autorités allemandes. L'ensemble des événements ne pouvait lui laisser aucune incertitude sur la suite des événements.
Ainsi : le rapport de GARAT du 2 JUILLET 1942 sur "l'évacuation des juifs" ; la demande par les Allemands de la liste de Juifs français détenus à MERIGNAC faisant l'objet du rapport signé par Maurice PAPON le 14 JUILLET 1942 au Préfet délégué auprès du Ministre de l'Intérieur ; les informations recueillies par Maurice SABATIER lors de la réunion des Préfets Régionaux, organisée le 6 JUILLET 1942 par BOUSQUET pour les aviser de la politique d'arrestation et de déportation massive des Juifs conclue avec les autorités allemandes - dont il est improbable que Maurice SABATIER ne les ait pas communiquées à un collaborateur aussi proche que Maurice PAPON tant en raison de ses attributions que des liens de confiance qui les unissaient - ; La réunion du 11 JUILLET 1942 par Maurice SABATIER de ses plus proches collaborateurs ayant trait entre autres à la déportation de 40.000 Juifs de zone occupée et de 10.000 Juifs de zone non occupée. Il convient de noter que ce terme de "déportation" est d'ailleurs repris par Maurice PAPON dans le rapport précité du 14 JUILLET 1942.
Les craintes qu'on pouvait avoir quant au sort des Juifs n'ont pu qu'être renforcées lorsque le 8 AOUT 1942 OBERG exposa au cours d'une conférence aux Kommandeurs des SS et aux Préfets régionaux de Zone occupée réunis à PARIS - à laquelle Maurice SABATIER a participé et dont Maurice PAPON reconnaît avoir par la suite été informé - les modalités de l'action coordonnée des polices allemande et française contre les terroristes et les "ennemis de l'Allemagne".
BOUSQUET reprendra d'ailleurs ces instructions dans une note circulaire adressée aux préfets de région de la zone occupée le 13 AOUT 1942. Là encore Maurice PAPON a nécessairement eu connaissance de ce document.
Les renseignements recueillis par Pierre GARAT lors de son entretien avec DOBERSCHUTZ le 21 AOUT 1942 et le rapport de Pierre GARAT au Préfet régional du 29 AOUT 1942 à la suite de son voyage à DRANCY et de son entretien avec Jean LEGUAY confortaient encore les craintes qu'on pouvait avoir sur le déclenchement du plan de persécution de la communauté juive annoncé par les Allemands.
Maurice PAPON a pu aussi constater dès le 21 AOUT 1942 lorsque les autorités allemandes ont refusé de libérer les vieillards et les enfants juifs arrêtés et ont ordonné au contraire que les 18 enfants qui avaient été interpellés lors de l'arrestation de leurs parents les 16 et 17 JUILLET 1942 puis placés auprès de personnes de confiance, soient transférés à DRANCY que les Allemands n'entendaient nullement respecter les "accords" OBERG-BOUSQUET.
La réalité d'une déportation à l'Est hors du territoire allemand, a été portée à la connaissance de Pierre GARAT lorsque Marie REILLE a réussi à revenir d'AUSCHWITZ après une intervention parisienne en septembre 1942 et qu'elle s'est présentée au Service des Questions Juives de la Préfecture pour faire régulariser sa situation. La politique d'aryanisation des biens des juifs impliquait aussi le départ sans retour de ceux-ci. Ainsi, figure au dossier un article de presse du 20 juillet 1941 publié sous la signature de Louis THOMAS intitulé "l'Aryanisation = expropriation" et se terminant par la remarque - "L'intérêt général est d'ailleurs évident: il s'agit d'aider un certain nombre de Français à devenir propriétaires au moment où les Juifs campés sur la terre de France vont quitter ce pays" - .
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