> La procédure en bref
> L'arrêt de la chambre d'accusation
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Une part importante de l'argumentation de fait de Maurice PAPON se fonde sur le contenu du rapport d'expertise de Messieurs Roger BELLION, André GOURON et Jacques DELARUE, ce dernier ayant d'ailleurs été entendu comme "sachant" par le Jury d'Honneur avant sa désignation comme expert par le juge d'instruction, rapport qui a été annulé par arrêt de la Chambre Criminelle du 11 février 1987. Cette annulation prohibe son utilisation, conformément aux dispositions de l'article 174 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale. En toute hypothèse, l'ensemble des documents recueillis au cours de l'information permettent à la Chambre d'Accusation d'apprécier les charges pesant sur Maurice PAPON.
Maurice PAPON ne saurait soutenir qu'il n'était qu'un fonctionnaire subalterne n'agissant que par délégation et dépourvu de pouvoir sur les camps de MERIGNAC. L'étendue des délégations que lui avait consenties le Préfet régional Maurice SABATIER dans le domaine des "affaires juives", les rapports particuliers de confiance existant entre le Préfet Régional et lui-même, de même que l'exercice réel des pouvoirs au sein de la Préfecture de JUIN 1942 à MAI 1944 viennent contredire cette thèse. Ainsi Maurice PAPON a signé plusieurs arrêtés d'expulsion d'étrangers qui auraient dû être signés par le Préfet délégué. De fait, il avait une compétence régionale pour tout ce qui concernait le Service des Questions Juives.
L'instruction montre qu'il intervenait auprès des services de police et de gendarmerie en donnant :
- des ordres d'arrestation et d'internement (comme ceux du 6 NOVEMBRE 1943 concernant les Juifs de nationalité grecque ; du 23 MAI 1943 concernant 5 Juifs de nationalité hongroise),
- des ordres de transfert à DRANCY (comme ceux du 23 MARS 1943 concernant les 5 juifs de nationalité hongroise déjà cités ou encore celui du 6 JUILLET 1942 concernant les Juifs GOLLDENBERG, BRAUN et Léon LIBRACH),
- des ordres de transfert de détenus du Fort du Hâ au camp de MERIGNAC alors qu'il a été vu à propos du convoi du 26 OCTOBRE 1942 quand il fut demandé au Service des Questions Juives de la Préfecture de transférer du Fort du Ha au camp de MERIGNAC des Juifs détenus pour qu'ils soient joints au convoi prévu pour DRANCY, que l'internement au Camp de MERIGNAC constituait un prélude à la déportation.
- des demandes d'internement au camp de MERIGNAC,
- des ordres de conduite devant les Tribunaux de la Feldkommandantur,
- des réquisitions à la gendarmerie pour procéder à l'escorte de convois. Contrairement à ce qui est soutenu par Maurice PAPON la réquisition a posteriori du 28 AOUT 1942 démontre qu'il avait compétence pour réquisitionner la gendarmerie ce qui est confirmé par la réquisition signée par lui le 1er FEVRIER 1943 pour le convoi du lendemain,
- des instructions concernant la marche des services de police, certaines ayant trait aux persécutions antijuives (instructions du Commissaire de Police de LESPARRE le 31DECEMBRE 1942 au sujet de l'apposition de la mention "juif. sur les cartes d'identité ou encore celles données à l'Intendant régional de Police le 16 SEPTEMBRE 1943 concernant les adresses des Juifs ne s'étant pas présentés aux convocations en vue de leur transfert à l'organisation TODT).
Il a été vu plus haut et dans le cadre de l'instruction que Maurice PAPON, pouvait ordonner des internements au camp de MERIGNAC. I1 est intervenu à plusieurs reprises pour donner des instructions au Directeur de ce Camp quant à la destination à donner aux fonds en possession des internés. I1 faisait attribuer du carburant au directeur du camp par le service compétent à la suite des opérations menées contre les Juifs. Maurice PAPON écrivait le 16SEPTEMBRE 1942 au Directeur du camp d'internement de MERIGNAC pour lui confirmer que les Juifs précédemment et actuellement internés à MERIGNAC ont été arrêtés soit sur ordre des autorités allemandes soit pour tentative de franchissement de la ligne de démarcation soit par suite d'une mesure générale de police.
L'étendue des pouvoirs qui étaient les siens et les éléments recueillis au cours de l'instruction démentent l'affirmation de Maurice PAPON selon laquelle, il ne serait intervenu que "dans un but d'information, de transmission, de redressement de situation, de régularisation administrative voire de libération exclusif de toute initiative personnelle".
Au contraire, il apparaît que sous son autorité, le Service des Questions Juives a toujours cherché à assurer le maximum d'efficacité aux mesures antijuives qui lui étaient de sa compétence, tant en ce qui concerne la tenue et la mise à jour du fichier des Juifs indispensables aux opérations d'arrestation, ainsi que la communication régulière de renseignements qu'il contenait tant à la SIPO qu'à la SEC, Maurice PAPON ayant lui-même signé des lettres en ce sens (lettre au Commissaire de police de LESPARRE du 31DECEMBRE 1942, lettre à 1' Intendant régional de Police déjà citées, instructions du 9FEVRIER 1944 à Madame EYCHENNE du Service des Questions Juives en vue du recensement des Juifs hospitalisés).
Bien plus il apparaît qu'au lieu de redresser, de régulariser les situations voire d'opérer des libérations, le Service des Questions Juives dont Maurice PAPON avait la responsabilité a négligé d'exécuter dans les délais rapides qu'exigeaient les menaces graves qui pesaient sur les intéressés, les mesures d'exemption dont ils auraient pu bénéficier même au vu de la législation raciale en vigueur : ainsi, Sabatino SCHINAZI, de nationalité française, maintenu au camp de MERIGNAC bien que l'enquête effectuée par la SEC le 10 AVRIL 1943 ait conclu que son épouse devait être considérée comme non juive et que la police allemande ait donné son accord pour la radiation du registre des israélites de ses enfants. Malgré les multiples démarches tentées par son épouse auprès du Service des Questions Juives de la Préfecture et du Cabinet du Préfet, il fut cependant déporté le 23 NOVEMBRE 1943. Tout comme son fils Daniel SCHINAZI qui fut versé dans le convoi du 30 DECEMBRE 1943 et réussit à s'échapper pendant le trajet. Ou encore les 4 enfants de la famille GRIFF, dont le Directeur du Camp de MERIGNAC avait signalé l'arrivée au camp le 19 AOUT 1942 en précisant l'adresse des personnes susceptibles de les accueillir qui furent pourtant déportés par le convoi du 26 AOUT1942. Ou encore les 4 enfants de la famille DRAI, Jeannine et Monique HADDAD qui avaient été autorisés à quitter BORDEAUX après accord des autorités allemandes et qui furent pourtant déportés par le convoi du 30 DECEMBRE 1943. On doit souligner l'absence de signalement spécifique de ces cas dans les rapports adressés aux autorités centrales de VICHY après les convois les concernant qui contredit le souci humanitaire qui aurait animé le Service des Questions Juives et ses chefs.
Plus vite que Vichy
On peut aussi s'interroger sur la finalité réelle des rapports adressés aux autorités du gouvernement de VICHY dans la mesure où ils n'ont jamais abouti à l'annulation ou même l'infléchissement des opérations projetées par les autorités allemandes et qu'invariablement, les instructions reçues sont allées dans le sens voire au devant des exigences allemandes (ainsi, à titre d'exemple parmi plusieurs autres, les instructions de LEGUAY du 6 JUILLET 1942 autorisant la communication aux autorités allemandes de la liste des Juifs étrangers ou encore les instructions du 14 JUILLET 1942 du même LEGUAY autorisant la communication aux autorités allemandes de la liste des juifs français internés ou détenus ou encore les instructions données par Pierre LAVAL puis par DARNAND d'exécuter les ordres allemands lors de la rafle du 12 JANVIER 1944).
Par ailleurs même lorsque les instructions des autorités centrales du Gouvernement de VICHY étaient sollicitées, cela n'empêchait pas Maurice PAPON et le Service des Questions Juives placé sous ses ordres d'anticiper leur réponse et d'exécuter sans attendre les instructions de l'occupant (ainsi, malgré les instructions de Monsieur INGRAND du 2 JUILLET 1942 "de ne rien permettre", Pierre GARAT avait rédigé le 3 JUILLET 1942 une note indiquant les mesures à prendre en vue de la déportation ordonnée par les allemands et précisant que l'établissement des listes de Juifs à déporter était en cours et Maurice PAPON signait à celui-ci une habilitation propre à faciliter sa tâche dans l'exécution de l'opération projetée par les autorités allemandes et cela alors même que LEGUAY demandait encore "de ne rien faire", le6 JUILLET 1942. Ou encore lors de la préparation du convoi du 30 DECEMBRE 1943, où sans attendre la réponse du Secrétaire Général pour la police à VICHY sollicitée le 17DECEMBRE 1943, Maurice PAPON demandait par téléphone puis par lettre aux sous-Préfets de BAYONNE et de MONT DE MARSAN la liste de tous les Juifs résidant dans leur arrondissement. Ou encore lorsque Maurice PAPON donnait instruction le 9 FEVRIER 1944 à Jacques DUBARRY de recenser les Juifs hospitalisés sans attendre la réponse du Commissariat Général aux Questions Juives qu'il avait saisi le 7 FEVRIER 1944 sur instructions de Jean CHAPEL). Il convient d'ailleurs de noter qu'en toute hypothèse les interventions tentées en faveur de Juifs déportés par l'intermédiaire des autorités centrales du gouvernement de VICHY se sont invariablement avérées infructueuses comme le confirme d'ailleurs la lettre du général, directeur des Services de l'armistice du 20 février 1944.
Enfin, le 24 NOVEMBRE 1942 Maurice PAPON sollicitait l'avis du Commissaire Général aux Questions Juives pour savoir sur quel budget devaient être imputées les dépenses se rapportant aux transferts de Juifs. Le 27 NOVEMBRE 1942 DARQUIER de PELLEPOIX répondait que "bien qu'il s'agisse de frais consécutifs à une mesure de sûreté générale, lesquels en principe doivent rester à la charge du budget de l'Etat, je ne fais pas obstacle, à titre exceptionnel à leur remboursement par l'intermédiaire de l'Union Générale des Israélites de France". Il demandait donc de saisir l'agent comptable de l'UGIF d'un ordre de paiement ou d'un arrêté de paiement des sommes réclamées par les fournisseurs. Dans ces conditions, le Conseiller de la Préfecture adressait au comptable de l'UGIF les factures de ravitaillement qui seront réglées le 16 DECEMBRE 1942. De la même façon le paiement des frais concernant leurs propres arrestations et leurs transferts seront mis à la charge des Juifs, ainsi qu'il résulte de documents saisis signés par Monsieur BOUCOIRAN ou par Maurice PAPON lui-même (opérations de juillet 1942).
Il apparaît que dans le domaine des persécutions anti juives Maurice PAPON a réagi en technicien, cherchant à faire preuve en toutes circonstances de son incontestable compétence et de son efficacité.
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