Repères

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KDS la Gestapo

Personne n'a oublié la Gestapo

Le quartier général de la Gestapo au Bouscat (Crédit DR)

Au Bouscat, la police allemande que tout le monde appelait Gestapo avait réquisitionné plusieurs immeubles. La mémoire de cette époque demeure encore vivace même si le temps a quelque peu brouillé les souvenirs.

Eté 40. Les premiers SS qui arrivent à Bordeaux pour surveiller la côte Atlantique installent d'abord leurs bureaux dans le yacht appartenant au roi des Belges. Mais ils n'ont pas vocation à s'éterniser sur ce navire amarré dans le port. Quelques semaines plus tard, ils emménagent dans deux bâtisses du Bouscat situées de part et d'autre de l'avenue qui porte depuis peu le nom du Maréchal Pétain. (1)
Alors que les principales administrations allemandes ont réquisitionné des bâtiments dans le centre de Bordeaux, l'embryon de la police nazie préfère s'écarter du coeur historique de la cité. Volonté de discrétion, souci d'installer un dispositif répressif sur la route jugée stratégique du Médoc, opportunité du moment ? On ignore quelles raisons ont présidé à ce choix.
Il ne sera jamais remis en cause pendant l'Occupation. Bien au contraire. En 42, lorsque les SS se voient confier la totalité des missions de sécurité et de sûreté par Hitler, ils jettent leur dévolu sur plusieurs autres maisons proches de celles où ils avaient élu domicile deux ans plus tôt (2). 196, 197, 220, 222, 224... C'est une véritable colonie qui s'accapare ce morceau d'avenue.
Le siège administratif se situe dans le Château des Tours. On le contacte en composant le 74-24. De ce monument à l'architecture un peu curieuse partiront les ordres de déportation des juifs. En face, de l'autre côté de la rue, une belle demeure bourgeoise devient le QG de la Section IV chargée de démanteler les réseaux résistants. Un peu plus haut, à l'angle de l'actuelle rue Jules Ferry, un édifice aujourd'hui démoli héberge le mess.

Défoulement en 44

Aucune barrière, pas de chevaux de frises, encore moins de guérites. Même s'il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans ses services, la police allemande ne se protège pas outre mesure. " J'entrais par derrière sans aucune difficulté, raconte une commerçante du quartier qui approvisionnait les cuisines. " Sollicité pour effectuer certains travaux, mon mari avait même réussi à chaparder des pommes de terre. "
Ouvrier d'entretien pendant la guerre, André Millet avait été dépêché par la mairie du Bouscat pour mener à bien diverses réparations. Si sa mémoire lui fait parfois faux bond, il se rappelle qu'une fois à l'intérieur, il ne pouvait pas avancer d'un mètre sans être suivi. Membre d'un réseau de renseignement, Il connaissait de vue certains policiers. " Ils ne sortaient pas beaucoup mais j'avais appris à les repèrer à leur physique. "
Personne ne savait réellement ce qui se tramait derrière ces murs. Ils inspiraient la crainte. Les Bouscatais pressaient le pas lorsqu'ils arrivaient à leur hauteur. " Ma mère m'a toujours dit qu'elle pédalait comme une folle sur son vélo en passant devant tellement la peur d'entendre des hurlements la tétanisait ", avoue un fonctionnaire.
Jeune boulangère, France Gombeau travaillait dans les parages immédiats. Elle n'a jamais été témoin de quoi que ce soit. Elle se rappelle simplement d'une cliente dont l'affolement était patent. " Elle a poussé la porte du magasin en s'exclamant : Oh, je viens de voir sortir un homme dans un état pitoyable. Ils le trainaient ! "
En août 44, les SS quittent le Bouscat sans être accrochés par le maquis. A peine plient-ils bagage que les habitants se précipitent pour piller les locaux désertés. Le maire Antoine Cayrel est arrêté, le drapeau tricolore hissé à l'hôtel de ville où les visiteurs sont priés de s'essuyer les pieds sur un paillasson orné de la photo d'Hitler ! Peu de temps après, plusieurs femmes seront tondues sur la place.

Dans la mémoire collective

Les propriétaires des immeubles occupés manu militari par les SS récupéreront leur bien au lendemain de la guerre. Au fil des ans, les destructions, les ventes, les changements d'usage et l'apparition de nouvelles constructions ont brouillé les repères que les témoins de cette période avaient pu conserver. Les indications qui figurent dans certains ouvrages figent une réalité qui a quelque peu évolué.
Alors qu'il exerçait au 197 de l'avenue de la Libération, l'ophtalmologiste Louis Calluaud avait été interpellé par l'une des patientes. " Dans La bicyclette bleue, le roman de Régine Deforges, elle avait lu que la gestapo se trouvait à l'endroit même où j'avais monté mon cabinet. " C'était une erreur imputable à la modification de la numérotation.
Les interrogatoires renforcés , pour reprendre la terminologie des nazis, avaient lieu à quelques dizaines de mètres de là. L'équipe du lieutenant Rudolf Kunesh où sévissait le boxeur Anton Enzelsberger opérait dans la belle bâtisse qui abrite aujourd'hui un organisme HLM. Parfois, les tortures se déroulaient dans une serre à l'épais vitrage située au fond de la cour.
Le plus souvent, c'est au premier étage que les SS passaient les résistants à tabac. " Les caves voûtées avaient été transformées en cellules. Certains avaient écrit sur la pierre des inscriptions avec leur sang. Je me souviens de l'une d'entre elles : je demande à Dieu de me protéger ", raconte François Latappy malmené dans ces locaux et gardé à vue trois jours et trois nuits avant d'être déporté.
Dans la mémoire collective, le Château des Tours, propriété à un moment donné du directeur du zoo de Marseille, reste le lieu symbole des agissements des SS alors qu'il n'a été le théâtre d'aucune violence physique. Dès qu'il s'agit de faire de l'image, les cameramen viennent se planter devant ses grilles. Au grand dam du traiteur pessacais qui le loue pour des noces et banquets. Cette " publicité " lui a déjà fait perdre plusieurs clients et il menace désormais de déposer plainte si elle se renouvelle.

Dominique RICHARD

(1) Aujourd'hui, c'est l'avenue de la Libération
(2) La Gestapo n'a jamais existé en France. Mais sa " réputation " était telle en Allemagne que les Français ont rapidement appelé gestapo les services de la police allemande.













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