Repères

Le plan ci dessous permet d’accéder aux lieux de l’agglomération bordelaise ayant joué un rôle déterminant pendant l’occupation. Ces points sensibles ou stratégiques sont renseignés par de courtes fiches ou renvoient à des photos et des articles. Des informations sont également accessibles sur les lieux actuels mis en évidence sur les plans. Cliquez où vous le souhaitez !



Camp de Beau Désert

Les "politiques" internés à Mérignac

L'entrée du Camp (Crédit DR)

Arrêté en février 40, le militant Georges Durou a été interné pendant plus d'un an à Mérignac avant d'être déporté, parce qu'il était communiste.

J'avais seize ans lorsque j'ai été arrêté en février 40, rue Philippe Rameau à Bégles au domicile de mes parents. Le panier à salade était garé devant la maison. Deux gardiens de la paix et deux inspecteurs m'ont amené au commissariat. Je suis tombé entre les mains des hommes du commissaire Poinsot. Ils s'occupaient des questions politiques. Ils m'ont filé des gifles, m'ont assené des coups de poing. Ils voulaient que je balance le nom de mes copains.
Mon père était communiste depuis 1920. A onze ans, j'avais intégré les rangs du Secours rouge. Depuis le pacte germano-soviétique, le parti était interdit en France. Cela nous empêchait pas de continuer à militer. C'est en cuisinant un des camarades chez qui ils avaient trouvé des tracts que les policiers m'ont identifié. Je me suis retrouvé au tribunal pour reconstitution de ligue dissoute et propagation des mots d'ordre de la 3ème internationale. J'ai oublié le nom du procureur. Mais je sais qu'il a tiré prétexte des appréciations favorables de mon instituteur pour affirmer que je savais ce que je faisais. Il a réclamé le maximum contre moi : cinq ans de prison. Finalement je n'ai été condamné qu'à un an. J'ai purgé cette peine au fort du Hâ.
En février 41, le jour de ma libération, deux gendarmes m'attendaient.Ils m'ont transféré d'autorité à l'hôtel des immigrants, au 24 quai de Bacalan. Il n'y avait que des communistes dans ce bâtiment aux murs aveugles, aménagé comme un faux pont de navire. On dormait tous dans la même salle sur des lits superposés. On est resté la jusqu'à ce que le camp de Mérignac soit ouvert. J'ai fait partie de ceux qui l'ont inauguré quelques mois plus tard. Au début, il y avait sept baraquements en bois. A l'intérieur de chacun d'entre eux, une cloison séparait deux grandes pièces ou étaient alignés des lits en fer. "

La baraque des otages

"Il ne faut pas noircir le tableau. On était en plein air, on avait de l'espace et on ne mangeait pas trop mal. Je jouais du banjo, la famille nous visitait une fois par semaine et nous amenait des provisions. On avait pu entrer un poste de radio. On écoutait radio Londres et radio Moscou. Les gardes civils français et les gendarmes qui nous gardaient nous laissaient assez libres de nos allées et venues à l'intérieur du camp. On ne voyait jamais les Juifs. Une palissade empêchait l'accès aux baraques qui leur étaient réservées.
Le climat s'est modifié à partir de l'été 41. Ils ont construit une autre édifice entouré de barbelés. C'est là qu'ils ont regroupé ce qu'on a appelé par la suite les otages. Je devais être considéré comme un révolutionnaire. J'en faisais partie au début, on a fait une grève de la faim pour que la porte soit ouverte la journée. Ils ont fini par céder. Jusqu'au 21 octobre 41, seule l'incertitude du lendemain nous minait. Tout a changé ce jour là.. Un officier allemand venait d'être abattu par la Résistance à Bordeaux.
Les hommes de Poinsot sont revenus. Ils nous ont pris un par un. " Vous savez le sort qui vous attend : si vous ne donnez pas les noms de la direction clandestine du parti cinquante personnes seront fusillées ". Un peu plus tard, deux gendarmes sont venus chercher le Dr Nancel-Penard et Roger Allo, deux anciens des brigades internationales qui avaient combattu les franquistes en Espagne. On était inquiet, on a parlé toute la nuit.
Le 24 octobre, les Allemands sont arrivés. Ils avaient une liste. Ils ont pris 35 personnes. Je n'y étais pas. J'étais angoissé mais j'avais un idéal. S'il fallait se sacrifier, j'étais prêt. A un moment, l'instituteur Camille Maumey s'est exclamé : " j'ai oublié mes cigarettes. " " - Ne faites pas attendre ces messieurs " lui a lancé le chef des gardes civils ! Ils sont partis dans des camions pour le Camp de Souges où ils ont été passés par les armes.

Dénoncé par un mouchard

Le lendemain matin, nous avons observé une minute de silence. Un gendarme présent dans le camp qui s'appelait Chautard s'est mis au garde à vous. Mal lui en a pris. Il est mort à Auschwitz. J'ai essayé de m'enfuir. Mais j'ai été dénoncé par un mouchard. Le garde qui m'a surpris m'a donné des coups de bâton pendant que j'étais empêtré dans les barbelés. Je crois que c'est cette tentative d'évasion qui m'a valu d'être transféré au Fort du Hâ où je suis resté plusieurs mois. Je m'attendais à mourir d'un moment à l'autre. C'est pour cela que j'ai toujours dévoré ce qui me tombait sous la main. Le jour où j'allais être conduit au poteau, je voulais avoir la force de cracher à la face des Allemands.
Je suis parti pour le camp de concentration de Sachsen-Hausen au début de l'année 43. Les nazis avaient besoin de main d'oeuvre. C'est la que j'ai appris à faire semblant de travailler en tenant une pelle. Beaucoup sont morts de fatigue, d'épuisement et de malnutrition. La mort se lisait dans le regard de certains. Ils n'avaient plus le moral. Les communistes ont le sens de l'organisation et de la solidarité. On se partageait le peu qu'on avait à manger.
J'ai eu beaucoup de chance. Les usines du camp ont été violemment bombardées par les alliés : j'ai survécu. Et les SS qui voulaient nous mettre sur des vieux rafiots dans le port de Lubeck avant de les couler n'ont pas eu le temps de parvenir à leurs fins. Ils nous ont abandonné pour ne pas tomber entre les mains des Russes.
Je suis revenu à Bordeaux en 45. Les copains m'ont dit que l'épuration avait été faite. Poinsot avait été exécuté. J'ai tourné la page. Je me suis préoccupé de reconstruire. Je me suis passionné pour l'avenir et ses grands mots.
Je ne pouvais pas évoquer cette période. La douleur était trop forte. La nuit, cela revenait. Je ne pouvais pas me débarrasser de mes cauchemars. Aujourd'hui, je n'ai pas de haine, sauf peut être contre les policiers français qui nous ont torturés et massacrés. Ils étaient pire que les Allemands.
Je voudrais que le procès Papon soit surtout celui du régime de Vichy. Il n'a jamais été fait et je crois qu'il n'aura pas lieu.

Propos recueillis par Dominique RICHARD













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