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Mairie

Adrien Marquet, maire de Bordeaux sous l’occupation (Crédit DR)

La dérive d'Adrien Marquet

De la SFIO au populisme, de la gauche au pétainisme, la trajectoire du maire de Bordeaux Adrien Marquet recoupe celle de nombreux hommes politiques de l'entre-deux-guerres. Mais théoricien d'un fascisme social, son ambition en fit un serviteur zélé de la politique allemande

Juin 1940 : le drapeau français flotte sur la ville envahie par l'armée allemande. Dans la zone occupée, où tous les maires ont été destitués au fur et à mesure de l'avancée des bataillons de la Wermacht, seul Bordeaux a été autorisé à le conserver.
A l'heure où ce drapeau cingle comme un mensonge sur la grande porte de la cour du Palais-Rohan, que signe cette triste exception bordelaise ? L'entrée triomphante d'une ville dans la collaboration ou le destin solitaire et tragique d'un homme, Adrien Marquet, qui, de la gauche à la collaboration, n'a cessé de dériver au fil de ses ambitions personnelles ? Il devient, en ce mois de juin, le zélé ministre de l'intérieur du premier gouvernement du Maréchal.
Quand sonne la débâcle, en 1940, il n'existe pas plus en France de villes collaborationnistes que de villes résistantes. Seulement des communautés mises au pas plus vite que d'autres selon qu'elles sont du bon ou du mauvais côté de la ligne de démarcation. Et Bordeaux apprend vite à ses dépens qu'un maire ministre de la collaboration n'est pas une protection.
En quelques semaines, sous le poids de l'exode, Bordeaux triple ses habitants. Ses magasins sont dévalisés par l'armée d'occupation. Dès le début de l'hiver 1940-1941, la ville a faim. A sa tête, Adrien Marquet n'a pas renoncé à ses ambitions nationales. Elles le mèneront en 1947 devant la Haute Cour de justice, qui le frappera d'indignité nationale.
Juillet 1933. Léon Blum, " épouvanté " par les propos tenus à la tribune de la Mutualité lors du congrès de la SFIO, exclut Adrien Marquet. Le maire de Bordeaux est au sommet de sa popularité.
Cet homme autoritaire, portant souliers vernis, parfumé à l'eau de Cologne de chez Bijon, est le maire de la transformation de Bordeaux. Dentiste, né au 104 du cours Victor-Hugo, d'une mère " arracheuse de dents aux Quinconces " et d'un père, décédé en 1918 au quartier des fous de l'hôpital de Cadillac, il entre très jeune en politique. A 22 ans, il est déjà secrétaire fédéral de la SFIO girondine. Cinq ans plus tard, il est élu conseiller municipal de Bordeaux. Parti tôt, il arrive tôt. En 1924, il devient conseiller général et député de Bordeaux. L'année suivante, il est élu maire. A 41 ans.
Dans ce Bordeaux en plein essor industriel de l'entre-deux- guerres, majoritairement peuplé d'ouvriers, le tribun Adrien Marquet imprime une politique de transformation sociale. Il bâtit, modernise, équipe. Apporte l'électricité à Bacalan. Erige une nouvelle Bourse du travail, le stade Lescure et les abattoirs. S'assure de durables fidélités en octroyant aux employés du Gaz de Bordeaux quantité d'avantages sociaux.
Cette base populaire, Adrien Marquet va la conserver jusqu'au milieu des années 30. En 1936, il est réélu député d'une courte tête. Un vote de droite lui assure vingt voix d'avance sur son rival SFIO.
Depuis plusieurs années, il s'est éloigné de sa famille politique d'origine. A partir de 1929, Adrien Marquet louvoie entre dérive autoritariste et opportunisme personnel. On le voit dans le même temps vouloir " prendre le fascisme de vitesse " en prônant une forme de socialisme autoritaire et corporatiste assez proche du modèle mussolinien et devenir ministre des travaux publics du gouvernement de Gaston Doumergue.
" Ordre-Autorité-Nation " est le triptyque de son action politique. Le maire de Bordeaux rêve d'un destin français. En vain. Exclu de la SFIO avec Marcel Déat après la publication du manifeste des néos (néo-socialistes), ils fondent le Parti socialiste de France. " Quelles raisons aurions-nous d'être nous, Parti socialiste de France (...), si nous ne sommes pas anti-marxistes, anti-blumistes, ant-icommunistes ? ", écrit Adrien Marquet qui, trois ans plus tard, cite " Léon Blum et la Juiverie " (1).
Nous sommes en 1938. Adrien Marquet est déjà un familier d'Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne à Paris, qui tisse sa toile parmi le personnel politique français. L'ambitieux dentiste bordelais s'y laisse prendre sans résister. En juillet 1940, le ministre de l'intérieur déclare à la radio : " Nous sommes dans les décombres du régime capitaliste, libéral et parlementaire... Il faut concilier les points de vue allemand et français; de cette collaboration dépend le retour à la vie normale. "
Suspecté par Pétain de vouloir le renverser, il est " démissionné " deux mois plus tard. En 1942, au plus fort de la collaboration, il harcèle son ancien ami Pierre Laval qui lui refuse le ministère de la justice puis de l'Empire... En 1944, il ne fera rien pour soustraire à la mort et à la déportation Joseph Benzacar, son premier adjoint en 1940, juif d'origine portugaise.
Quand Adrien Marquet meurt, en 1955, d'une crise cardiaque à la sortie d'une réunion politique, Chaban n'avait dû qu'à une opportune prolongation de son indignité nationale de ne pas le retrouver sur son chemin aux municipales de 1954. Drapé dans l'anticommunisme de la guerre froide, Adrien Marquet était devenu le leader d'une partie de la droite bordelaise.
(1) Parmi les sources utilisées pour cet article, citons : " Adrien Marquet ", d'Hélène Sarrazin, aux Editions de la Presqu'île; " Bordeaux 1940-1944 ", de René Terrisse, chez Perrin, et " les Néo-socialistes girondins ", numéro 7 des Cahiers de l'Institut aquitain d'études sociales (1988).

Patrick VENRIES















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