Les Parties civiles sont les plaignants. Elles peuvent être des individus ou des associations, qui ont porté plainte avec constitution de partie civile. Elles sont assistées de leurs avocats. Voici quelques témoignages parmi d'autres...
A l'annonce du renvoi de Maurice Papon devant les assises les parties civiles s'étaient retrouvées à Bordeaux pour partager leur joie et préparer le procès .
" Les premiers plaignants, ce sont nos morts. Notre joie est teintée de tristesse, notre satisfaction est mitigée d'émotion. Maintenant que nous avons franchi un pas essentiel vers le procès, il y a tout un non-dit tragique qui remonte. Lorsque Maurice Papon aura été jugé pour les crimes qu'il a commis, je pourrai revenir dans le monde. A l'âge de 15 ans, quand j'ai dû porter l'étoile jaune, ce signe distinctif sur la poitrine, j'ai été rejeté dans l'immonde ", confiait Maurice-David Matisson, la première victime à avoir déposé plainte le 8 décembre 1981, avec sa mère (décédée en cours de procédure), son fils aîné et sa cousine, Esther Fogiel. Maurice-David Matisson a perdu sa soeur et sa grand-mère. Depuis plus de cinquante ans, Esther Fogiel porte dans son regard triste le deuil de ses parents, de son petit frère de 5 ans, sa grand-mère, des oncles et des tantes, des cousins et cousines.
Michel Slitinsky, 71 ans, qui a échappé à la rafle du 19 octobre 1942, et qui a le premier dénoncé la responsabilité de l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde dans l'arrestation et la déportation de 1 690 juifs bordelais entre juillet 1942 et mai 1944, a rappelé qu'au début de cette procédure, il y a quinze ans, " nous étions des pèlerins mal compris, mal aimés ". " Les jeunes porteurs de l'étoile jaune ont suppléé les autorités de la Résistance qui avaient laissé passer les autorités de Vichy par les mailles du filet. Aujourd'hui, c'est la démonstration que l'obstination de notre combat et de notre courage a été essentielle dans ce que nous venons de vivre. "
" Notre bataille a été dure et longue ", a confirmé Me Gérard Boulanger, qui a de nouveau rendu hommage à Michel Slitinsky et Maurice-David Matisson pour avoir " su convaincre leurs proches que le devoir de vérité était sacré ".
" Au début, je recevais des lettres où on me disait : "Il faut pardonner, il a tel âge." Maintenant, on me dit : "Bravo, félicitations, c'est très bien" ", a témoigné Juliette Benzazon, qui a perdu sept membres de sa famille dont ses grands-parents, son père et son jeune frère de 14 ans.
" Les quolibets n'ont pas manqué et il fallait avoir la foi chevillée au corps pour imaginer qu'un jour, nous aurions cet arrêt et bientôt ce procès ", a ajouté Me Michel Touzet, qui a rappelé " l'excellente motivation " de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux, présidée par Claude Arrighi, qui relève que " Maurice Papon, dès sa prise de fonction, aurait acquis la conviction que l'arrestation, la séquestration et la déportation de juifs vers l'Est les conduisaient inéluctablement à la mort (...), même s'il a pu demeurer dans l'ignorance des conditions exactes de leurs souffrances ultimes et des moyens techniques utilisés pour leur donner la mort ".
Certes, il a bien été question de la solitude de ces victimes qui, au sein même de la communauté, n'ont pas toujours trouvé le soutien qu'elles attendaient, mais hier, en présence du grand rabbin Claude Maman, d'un représentant du consistoire, du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) et de nombreux sympathisants, chacun s'est accordé pour ne plus regarder que vers l'avenir, vers ce procès qui, selon Me Boulanger, est d'abord " celui d'un homme ". " Il ne faut pas essayer de faire du juge un historien, même si à l'occasion de ce procès, il y aura forcément un passionnant débat sur l'histoire. "
" Nous rentrons dans un système de victimisation ", ont également prévenu les avocats des parties civiles : " Le bourreau va tenter de se transformer en victime ". " Nous n'allons pas davantage laisser s'installer une réalité fictive entre la mémoire résistante et la mémoire juive. Maurice Papon n'était pas un résistant. Il n'y a pas un résistant qui ait déporté des juifs. "
" Ce procès doit également être éducatif. Il faut que la jeunesse sache ce qui s'est passé pendant cette période afin que plus jamais cela ne se reproduise ", espère le grand rabbin Claude Maman.
Bernadette DUBOURG
Juliette Benzazon (crédit Michel Lacroix)
Juliette Benzazon, partie civile, qui a perdu seize membres de sa famille, s'est dite " soulagée " à l'annonce de la tenue du procès. " Ce n'est pas que j'aie de la haine contre lui. Mais ce que je veux, c'est qu'il passe un petit peu par là où il nous a fait passer, parce que jamais il ne pourra effacer ce qu'il a fait. On a beau nous dire que ça s'est passé il y a cinquante ans, qu'il est vieux... Mais mon père n'a jamais été vieux et mes cousins étaient des enfants. "
RetourMichel Slitinsky devant le Palais de Justice (Crédit Michel Lacroix)
La crinière blanche de Michel Slitinsky a de quoi hanter les nuits de Maurice Papon. Sans l'incroyable ténacité de ce fils d'émigrés juifs bordelais, aucune ombre ne serait probablement jamais venue ternir la réputation de " résistant " de l'ex-secrétaire général de la préfecture de la Gironde, dont la carrière ascensionnelle culmina sous Giscard comme ministre du budget
Cinquante-cinq ans après la rafle d'octobre 42 à laquelle le jeune Michel Slitinsky échappa de justesse tel un félin, voici donc ce grand commis de l'Etat définitivement renvoyé devant les assises pour crimes contre l'humanité. Ce qui ne préjuge en rien de sa culpabilité. Mais le fait est-là. L'" affaire Papon " existe.
Quand bien-même ce dernier avait jadis été blanchi par un jury d'honneur. Et bien qu'il eût gravi les échelons du pouvoir à l'ombre même de De Gaulle.
Où Michel Stilinsky a-t-il puisé la force de détourner ainsi le cours tortueux de l'Histoire jusqu'à obtenir qu'il regagne enfin son lit ? De quel bois est cet homme par qui la vérité a été arrachée à sa gangue de silence, de complicités et de compromissions ?
Il était une fois un jeune juif qui n'entendait guère parler que l'ukrainien et le yiddish dans l'échoppe paternelle du vieux quartier Mériadeck, à Bordeaux... Ce qui ne l'empêchait pas d'être particulièrement doué en français et d'être généralement classé dans les six premiers à l'école publique Saint-Bruno... Un bon camarade, adepte de la natation à la piscine Judaïque et qui rêvait d'une carrière dans la " mode féminine ". " J'ai d'ailleurs épousé une femme très élégante. Ma fille aussi est très élégante ", dit fièrement Michel Slitinsky avec cette simplicité et cette tendresse naturelles qui l'éloignent tant du portrait-robot d'un tueur.
Rescapé des pogroms tsaristes de 1912, Abraham Slitinsky, le père, comprend immédiatement la gravité de la situation dès les premières mesures antijuives de Vichy à Bordeaux. Le 5 janvier 41, on l'oblige à tirer définitivement le rideau de son échoppe. Peu après, Michel se voit interdit d'accès à la piscine Judaïque. La logique génocidaire est en marche au bord même de la Garonne. Abraham, organisateur né et meneur d'hommes comme le sera bientôt Michel, tente de prévenir la menace en multipliant les contacts au sein même de la communauté juive que l'occupant et ses relais locaux cherchent à diviser.
Du haut de ses 15 ans et en quelques mois, Michel découvre ainsi les aspects les plus sombres comme les plus étincelants de la nature humaine.
Son père, bien sûr, envisage leur fuite de l'autre côté de la ligne de démarcation si proche. Mais il n'a pas assez d'argent pour payer les passeurs et redoute de s'en remettre à des inconnus. " On a beaucoup parlé de la solidarité juive... A l'époque, je n'ai pas vu les riches aider les plus pauvres... Ce qu'aurait tant souhaité mon père ! ", assène aujourd'hui cet homme libre, qui ne se sent d'aucune chapelle et qui ne craint pas de balayer devant sa propre porte avant de secouer les lourds tapis d'ailleurs.
La lucidité. Mais aussi l'action. Dès 40, Michel et sa bande de copains, dont beaucoup ne sont pas juifs, tranchent avec panache et inconscience sur le climat d'abandon général. Puisant leur énergie où ils peuvent et notamment chez leurs instituteurs de l'école Saint-Bruno, où l'on chante plutôt " God save the Queen " que " Maréchal, nous voilà ".
Ils détruisent la permanence du RNP (1), confectionnent et posent des affiches dénonçant la collaboration en plein Bordeaux, prennent d'assaut les câbles électriques des tramways ramenant les Allemands vers leurs quartiers... Faits d'armes d'adolescence qui conduiront bientôt Michel vers les maquis, une fois le temps de la fuite venu.
Mais c'est en 1945 que le déclic se produit. Blessé en Alsace, Michel est en convalescence pour quelques jours dans Bordeaux libéré, auprès de sa mère et de sa soeur qui ont échappé à la déportation. Un matin, alors que sa soeur vient de sortir faire des courses, elle remonte haletante dans l'appartement. Alice vient de reconnaître les deux policiers bordelais qui, trois ans plus tôt, sont venus les tirer du lit. Abraham, le père, n'est jamais revenu... (2)
Michel se précipite dans la rue, photographie mentalement les deux visages, met bientôt un nom dessus et dépose plainte. Ignorant tout du droit, il néglige de se porter partie civile. Il attendra de longues années avant de savoir que l'affaire a été étouffée. Mais, très vite, il réalise que la mémoire des victimes est foulée au pied par la République nouvelle. Même l'image de son " idole ", de Gaulle, s'effondre à la vue des collaborateurs qui polluent l'atmosphère de la Libération. Il en devient communiste, sans aller jusqu'au militantisme. Et le restera jusqu'en 1975, quand tombera également cette illusion.
Dès le lendemain de la guerre, donc, tandis qu'il apprend par coeur le Code du travail pour devenir inspecteur, Michel sait ne plus devoir compter que sur lui-même et sur ses semblables : les humbles, les sans-grade, les désinteressés, les " citoyens "...
Durant dix ans, jusqu'aux années 60, il pare au plus pressé : épouser Pierrette, fonder une famille, acquérir de quoi vivre et s'installer dans la vie. Il sera tour à tour inspecteur du travail, puis journaliste, puis directeur commercial pour une entreprise de transport. Parallèlement, il met en branle sa mémoire et son dévouement au service de tous ces proches, ces amis, ces voisins, ces disparus anonymes que la Reconstruction et les Trente Glorieuses recouvrent allègrement de leurs flonflons.
D'archives en archives, de conférences en conférences, il développe ses dossiers (3) et son réseau par-delà toutes les frontières. Jusqu'à tomber sur le nom de Papon. Il ne le lâchera plus...
Aujourd'hui, les sourires et les mains se tendent spontanément dans les rues de Bordeaux. Michel Slitinsky savoure sereinement le chemin parcouru. Sans triomphalisme aucun. Attendant avec impatience le bout de cette ultime et épuisante ligne droite qui conduit au procès. Et toujours aux petits soins pour Pierrette. Il prend d'ailleurs congé pour aller préparer son repas.
Dominique DE LAAGE
(1) Rassemblement national populaire. (2) Son père, sa tante et son frère aîné, arrêté à Paris en 1941, sont tous trois morts en déportation à Auschwitz. (3) Le numéro 40 de sa revue " Résistance réalités " plonge dans la procédure Papon. Pour se procurer la revue, glisser 20 francs de timbres à l'adresse suivante : BP 166, 33020 Bordeaux Cedex.
RetourMaurice Matisson, pratiquement toute sa famille a disparu dans les camps (Crédit Michel Lacroix)
Le 8 décembre 1981, Maurice-David Matisson, aujourd'hui agé de 71 ans, sa mère Jacqueline (décédée en cours de procédure), son fils ainé Jean-Marie, et sa cousine, Esther Fogiel, ont été les quatre premiers à déposer plainte contre Maurice Papon. Ils accusaient l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde d'être responsable de l'arrestation à Bordeaux et de la déportation vers Drancy puis Auschwitz de huit membres de leur famille.
La grand-mère de Maurice-David Matisson, Anna Rawdin, 66 ans, deux tantes et deux oncles, Jeannette Rawdin épouse Husetowski, 31 ans, Abram Mendel Husetowski, 37 ans, Luba Rawdin épouse Fogiel, 35 ans, Jean Fogiel, 35 ans, son petit cousin Albert Fogiel, 5 ans, sa soeur ainée Antoinette Matisson épouse Aliswaks, 30 ans et son beau-frère Henri Alisvaks, 33 ans.
Au fil de la procédure, d'autres membres des familles Matisson, Husetowski et Alisvaks sont venus les rejoindre dans ce combat pour la mémoire et la vérité, dont Maurice-David retrace l'histoire.
Originaire de Riga en Lettonie, la famille Matisson est arrivée en 1910 en France, " le pays de la liberté, des droits de l'homme et de la Révolution " comme le répétait le père qui s'est battu pour la France en 14-18.
Après la première guerre, la famille s'est installée à Bordeaux où Maurice-David est né en 1926. En 1933, pour permettre au fils ainé de poursuivre ses études musicales, la famille a déménagé à Paris où le père a ouvert une teinturerie, laissant à Bordeaux les oncles, tantes, cousins qui les avaient rejoints en France, ainsi que la soeur ainée, Antoinette, mariée et jeune maman.
Le 15 juillet 1942, sa soeur, son beau-frère et leurs trois enfants, Claude, 10 ans, Eliane 8 ans, et Jacky, 4 ans, ont été raflés à Bordeaux. " On nous a séparés de nos parents et amenés dans un immeuble de Bordeaux. Je me souviens d'une pièce grise, poussiéreuse, et de beaucoup d'enfants contre les murs, avec une ficelle, une pancarte et nos noms dessus " évoque, avec beaucoup d'émotion dans la voix, Eliane Domange, qui s'est également constituée partie civile, aux côtés de son oncle.
Alors que les parents étaient déportés à Auschwitz où ils sont morts, les trois enfants ont été miraculeusement sauvés par un policier, ami de leur père, qui les a reconnus, libérés, et ramenés chez leur logeur. Leur mère avait juste eu le temps de demander que que ses enfants soient confiés à leur grand-mère, la mère de Maurice-David Matisson.
A Paris, ce même 15 juillet, la famille Matisson est avertie par un policier ami de la famille qu'une rafle est prévue pour le lendemain. Ce sera la rafle du Vel d'Hiv. La famille trouve alors refuge en divers lieux. " Moi-même, j'étais caché dans le grenier d'un copain, il y avait également une famille juive ", se souvient Maurice-David qui avait 16 ans. C'est là que M. Trincal, " un brave Auvergnat ", a amené depuis Bordeaux les trois enfants de sa soeur. Dans cette cache, la soeur cadette de Maurice-David, agée de 18 ans, avait également rejoint son frère. " Il y a eu toute une chaine de solidarité naturelle. Sans ces Français, je ne serais pas là aujourd'hui ".
" On nous a dits que le lendemain ou le surlendemain, on nous enverrai un passeur pour partir en zone libre. Mais nous avons attendu un mois, sans voir personne. Le 14 ou le 15 août, une brave dame qui savait que nous étions là, nous a fait descendre du grenier et a promis de s'occuper de nous ".
Les parents de Maurice-David avaient réussi, non sans mal, à passer en zone libre. " Ils ont été arrêtés par des gendarmes. Alors ma mère, une véritable mère courage, a montré le revers de la veste de mon père et a dit à un gendarme : Regardez, vous avez les mêmes décorations que mon mari. On les a laissés passer ".
Maurice-David a décidé de les rejoindre. Un véritable épopée a alors commencé pour ces 5 cousins de 4 ans, 8 ans, 10 ans, 16 et 18 ans : " J'ai pris toute ma smala et nous sommes partis pour Bordeaux. Je suis allé voir M. Derex qui m'avait vu naitre et qui travaillait à la mairie. Il m'a fait une lettre dans laquelle, pour déjouer les soupçons des gendarmes, il avait écrit : Je t'envoies les enfants pour le 15 août ". Ils ont continué vers Orthez.
" Nous avions la mine des gens frappés du tragique, nous étions très méfiants. Dans le train, un scout nous a dit que si on avait des papiers juifs, il fallait les déchirer et les jeter par la fenêtre. A Dax, on a rencontré une jeune femme. Elle nous a parlés, on ne répondait pas mais on est parti avec elle. On nous avait dit de ne surtout pas descendre à Orthez, mais à Puyo, et de continuer à pied par le chemin départemental, une vingtaine de kms où on ne trouverait pas d'Allemands. 2 kms après, on a été arrêtés par des Allemands. On s'était trompés de route. Ils nous ont laissés passer, mais tout à coup on les a entendus faire demi-tour et courir vers nous. L'un d'eux a pointé un doit vers ma soeur et a dit : " Vous, juive ". La jeune femme qui nous accompagnait a alors eu la présence d'esprit de sortir un missel de son sac et d'affirmer : " Nous sommes protestants "... Ca a marché ".
" Nous sommes arrivés à Orthez à la tombée de la nuit. Nous avons frappé chez les gens qui devaient nous accueillir. Nous avons été reçus comme des rois. Le lendemain, la dame nous a dit que nous n'avions pas frappé au numéro 10, mais au 14. Elle a ajouté que même si nous avions été au 12, ça aurait été la même chose ".
Eliane et ses deux frères ont passé la ligne de démarcation avec les enfants de l'école qui faisaient le trajet tous les jours. Maurice-David et sa soeur ont suivi " un brave type ". " Tous les cinq, nous avons rejoint mes parents le 19 août à Agen. Les Allemands sont arrivés un mois après et nous nous sommes repliés sur Valence d'Agen ". Maurice-David Matisson a alors rejoint le maquis, la résistance puis s'est engagé.
Après la guerre, ses parents ont continué à élever Eliane et ses frères. Ils ont également pris avec eux, leur nièce Esther Fogiel qui avait passé la guerre chez une nourrice et dont les parents et le petit frère étaient également morts à Auschwitz.
" Après la guerre, nous étions dans une autre dynamique. La reconstruction de la France et de nous-même " raconte Maurice-David, " J'ai cherché un boulot, j'ai commencé à travailler comme éducateur d'enfants troublés, notamment par la guerre ". Maurice-David Matisson qui n'avait pas le bac a passé son diplôme d'éducateur, puis un examen d'entrée en faculté de psychologie. Plus tard, il a soutenu avec succés son doctorat en psychopathologie. En 1971, il a participé à la création du CIRCE (Centre d'initiation à la relation par la créativité et l'expression).
Toute sa vie professionnelle, il a aidé des gens qui souffraient. Aujourd'hui, il se consacre à la mémoire douloureuse des siens.
" A l'époque, admet-t-il, je ne m'occupais guère de politique. Je n'ai même pas eu connaissance de l'article paru dans le Canard Enchainé en mai 1981. C'est (Michel) Slitinsky qui est venu me voir. C'était un copain d'enfance. On jouait aux billes ensemble à Mériadeck. Mériadeck, c'était un lieu à la fois tragique, une antre de bandits, et en même temps un endroit où il y avait une méconnaissance totale de la différence raciale. C'est de là que j'ai acquis le refus d'être d'un clan ".
La visite de Michel Slitinsky, son copain d'enfance de Mériadeck, et surtout les nombreux documents qu'il lui a montrés l'ont aussitôt convaincu. Il a ressorti alors la dernière lettre que sa soeur Antoinette a adressé à sa mère. " Nous partons... écrivait-t-elle, je ne vous oublierai jamais ". " Nous ne les avons jamais oubliés non plus " confie Maurice-David Matisson qui garde précieusement ce carton où l'on voit encore le tampon de Mérignac et le timbre à l'effigie du maréchal Pétain.
Il reconnait que " cette tragédie qui a eu des répercussions dans toute notre vie, a été aggravée par un non-dit " (1). Aujourd'hui, le procès permet aux victimes de rouvrir leurs blessures pour mieux les panser. Il a d'ailleurs écrit " l'affaire Papon, une thérapeutique des mécaniques de l'oubli ". Mais, il précise aussitôt : " N'en rajoutons pas. Même si ce n'est pas pour autant qu'on doit pardonner, car le pardon, il faut le demander. Nous sommes des juifs agnostiques, nous n'appartenons à aucun clan mais toujours solidaires des malheurs des juifs ".
Du procès, il attend tout simpement " la justice ".
(1) En 1991, il a écrit avec Jean-Paul Abribat, agrégé de philosophie, maitre de conférence et psychanalyste, " Psychanalyse de la collaboration ", le syndrôme de Bordeaux 1940-1945, aux éditions Hommes et Perspectives.
Me Gérard Boulanger (Crédit Claude Petit)
Me Gérard Boulanger, 49 ans, avocat au barreau de Bordeaux depuis vingt ans, engagé au Syndicat des avocats de France et actuel président de la Ligue des droits de l'homme de Gironde, passe pour l'un des facteurs déclenchants de l'affaire Papon. Il a déposé les quatre premières plaintes contre l'ancien haut fonctionnaire le 8 décembre 1981, auprès du doyen des juges d'instruction de Bordeaux. Aujourd'hui, il représente vingt-six plaignants.
Depuis seize ans, il s'est très fortement engagé dans ce dossier et a écrit deux livres de référence sur Maurice Papon.
Le premier, " Maurice Papon, technocrate français dans la collaboration " (paru au Seuil fin 1993), était consacré à l'action de l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944.
Il a aussitôt valu à son auteur un procès en diffamation qui demeure en suspend tant que la justice ne s'est pas définitivement prononcée sur l'affaire Papon. Le second livre de Gérard Boulanger vient tout juste de paraître. " Maurice Papon, un intrus dans la République " (Le Seuil) traite notamment de la suite de la carrière de Maurice Papon et dénonce ses titres de Résistance.
Me Boulanger dépose les premières plaintes :
8 DECEMBRE 1981. Me Gérard Boulanger dépose les quatre premières plaintes de victimes avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction de Bordeaux, Jean-Claude Nicod. L'année suivante, M Serge Klarsfeld, président de l'association ds fils et filles de déportés juifs français, dépose d'autres plaintes.
19 JANVIER 1983 ET 8 MARS 1984. Dans le cadre de cette première instruction, Maurice Papon est inculpé deux fois de " crimes contre l'humanité ".
11 FEVRIER 1987. La Cour de cassation annule la procédure depuis le 5 janvier 1983, date à laquelle est apparu le nom de Maurice Sabatier. En effet, seule une chambre d'accusation peut instruire une affaire dans laquelle est impliqué un préfet. La chambre d'accusation de Bordeaux est désignée pour reprendre l'instruction.
DECEMBRE 1985 ET JANVIER 1986. A la suite d'une plainte de Maurice Papon, les victimes sont inculpées de " dénonciation calomnieuse ". Et le sont toujours.
4 AOUT 1987. Le conseiller à la cour d'appel de Bordeaux, François Braud, est désigné pour instruire l'affaire Papon. Mme Annie Léotin, également conseiller, lui succède au début de l'année 1990 et instruit toujours le dossier qui compte aujourd'hui 24 tomes.
JUILLET 1988 ET JUIN 1992. Maurice Papon est de nouveau, à deux reprises, inculpé de " crimes contre l'humanité ", notamment après le dépôt d'autres plaintes.
MAI 1990. Vingt-trois nouvelles plaintes sont déposées. Ce ne sont plus les deux convois de 1942 qui sont concernés mais onze convois de juillet 1942 à juin 1944 dont la grande rafle de janvier 1944 qui a fait 400 victimes.
Me Touzet un autre avocat entré de longue date dans le dossier. Il est ici en compagnie de Me Serge Klarsfeld (Crédit Michel Lacroix)
Les neuf autres plaignants sont représentés par Michel Touzet, 63 ans, également du barreau de Bordeaux, homme discret, militant du SAF et des droits de l'homme, et Arno Klarsfeld, plus fougueux, le fils de Serge Klarsfeld, qui a pris en quelque sorte la suite de son père dans le dossier.
Les quinze associations également constituées parties civiles sont représentées par les avocats Bertrand Favreau, ancien bâtonnier de Bordeaux, auteur d'une remarquable biographie du député du Médoc, Georges Mandel (prix de l'Assemblée nationale 1996), Dominique Delthil, Raymond Blet, Martine Moulin-Boudard, Caroline Daigueperse, Henri Boerner (de Bordeaux), Quentin, Charrière-Bournazel, Klarsfeld, Mairat, Meyer, Jacob, Levy, Nordmann, Terquem, Zaoui (Paris) et Jakubowicz (Lyon).
Trente-cinq personnes sont actuellement constituées parties civiles :
Maurice-David Matisson, Jean-Marie Matisson, Yves Matisson, Esther Fogiel, Juliette Drai veuve Benzazon, Simon Haddad, Michel Slitinsky, David Slitinsky, Solange Senamaud veuve Torres, Reine Pariente épouse Salomon, Marie-Christine Mouyal épouse Etcheberry, de Bordeaux, Claude Michel Leon (Pessac), Alain Mouyal (Blanquefort), Jean Matisson (Paris), Ghislaine Griff épouse Levy (Reims), André Papo (Meurthe-et-Moselle), Jean-Jacques Grumberg, Pierre Grumberg, Nicole Grumberg (Yvelines), Jeanine Sztajner épouse Pinot, Hélène Sztajner épouse Girardot (Reims), David Stopnicki, Jean-Claude Stopnicki (Paris), Thérèse Stopnicki (Mulhouse), Jackie Alisvaks (Rhône), Eliane Alisvaks épouse Dommange (Hauts de Seine), Jean- Philippe Husetowski (Paris), Yvonne Elbaz épouse Cohen (Paris), René Jacob (Moselle), Armand Benifla (Hauts-de-Seine), Céline Stalkoski épouse Najman (Paris), Arlette Stalkoski épouse Epelbaum (Paris), René Panaras (Pau), Hersz Libra ch (Paris), Samuel Schinazi (Paris). Ils sont assistés par Me Gérard Boulanger, Michel Touzet et Arno Klarsfeld.
Quatorze associations sont également constituées parties civiles :
e MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, l'Association cultuelle israélite de la Gironde, l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance, la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes), le Consistoire central-Union des communautés juives de France, l'association B'Nai B'Rith de France, l'Association des fils et filles de déportés juifs de France, SOS racisme, l'Association indépendante nationale des anciens déportés internés juifs et leurs familles, l'Amicale des déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, l'Association des anciens déportés juifs de France, internés et familles de disparus, la Fédération des sociétés juives de France et l'Union des étudiants juifs de France.
Retour
Pendant de longues semaines la cour d’assises s’est attardée sur l’organisation des convois vers les camps de la mort à partir de Bordeaux. Plus d’un millier de personnes : vieillards, hommes, femmes, enfants, ont ainsi été exterminées. A Auschwitz pour la grande majorité d’entre eux.
Au procès, quelques survivants du génocide ayant échappé par miracle, à la déportation ou bien quelques rares " revenants " de " l’enfer " se sont constitués partie civile.
Ils ont témoigné, décrit le drame de leur famille anéantie. Et la douleur qui ne les lâche pas. Depuis cinquante ans.
Ils sont venus parler avec leur cœur. Ils ont décrit l’indicible et souvent montré au jury d’implacables documents projetés sur grand écran. Il ne s’agissait, en fait que de quelques photos jaunies. De pères, mères, frères ou soeurs. Mais autant de reliques pieusement conservées de bonheurs foudroyés alors qu’ils n’étaient eux même que des enfants.
Voici les visages de quelques-uns de ces disparus.
Ils ne représentent qu’une poignée de familles mais surtout symbolisent le vide que les rescapés, de Bordeaux ou d’ailleurs, ressentent encore. Et à jamais.
Le jour de ces photos qui aurait pu prévoir ? Un jour de photo n’était pas à l’époque un jour comme un autre. C’était un instant précieux et rare, inoubliable. Grandement symbolique et toujours heureux.
Photos de familles, pour l’album du futur réservé aux intimes. Mais aucun de ces visages burinés ou poupins, pas un de ces sourires espiègles ou figés en vêtements des dimanches et coiffures " à la mode " fixés dans des postures avantageuses, n’allait avoir de futur.
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