le bureaucrate face à la première rafle - 11/12/1997

Maurice Papon nie toute responsabilité dans l'organisation de la rafle du 16 juillet 1942 sur laquelle il a été minutieusement interrogé hier par le président Castagnède

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 11 décembre. Trente et unième journée d'audience. La cour aborde la deuxième série de faits criminels reprochés à Maurice Papon, la rafle du 16 juillet 1942 et le convoi du 18 juillet pour Drancy.
Avec la même précision et la même rigueur que pour le transfert de Léon Librach à Drancy, le 8 juillet 1942, le président Jean-Louis Castagnède étudie, de manière strictement chronologique, les nombreux documents qui, dès février 1942, annoncent les rafles à venir, puis témoignent ensuite des préparatifs menés par la préfecture de Bordeaux pour répondre aux exigences allemandes.
Les 13 février, 23 février et 19 mars, le délégué régional à la police des questions juives informe par courrier le préfet régional que le SIPO de Bordeaux " est décidée à procéder dans un proche avenir à l'arrestation de tous les juifs d'origine étrangère ".
" C'est stupéfiant que je n'ai pas été informé de ces textes. Je me demande aussi si Maurice Sabatier - arrivé à Bordeaux en mai - en a été informé. Quant à Garat, je n'en sais rien " prévient Maurice Papon qui a lui-même pris ses fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Gironde en juin 1942.

2 000 juifs

Le 2 juillet 1942, il est déjà en poste lorsque le commandant Doberschutz, chef de la SIPO de Bordeaux, adresse une note au préfet régional Maurice Sabatier pour demander que différentes mesures soient prises par l'administration française pour " l'évacuation de juifs des deux sexes âgés de 16 à 45 ans ", prévue entre le 6 et le 8 juillet 1942. Il donne de nombreux détails et fixe même le chiffre de 2 000 juifs.
" Quand l'injonction est arrivée, ça a été une stupéfaction... La stupeur, l'indignation et le refus instinctif ont dominé " se défend Maurice Papon. Un instant, las, il se reprend : " La première réaction est de fuir. Mais fuit-on en cédant le terrain à l'ennemi ? Cela s'appelle la désertion et personne n'en était capable ". Une quinte de toux l'arrête. " Le devoir est ne pas abandonner ceux qui étaient en danger " ajoute-t-il. Mais sa défense supporte difficilement l'épreuve des autres documents.
Ce même 2 juillet, Pierre Garat, chef du service des questions juives, qui a également rencontré Doberschutz, adresse à son tour une note à Maurice Papon dans laquelle il reprend le détail des " personnes à arrêter et des difficultés que leur arrestation va entraîner ".
Le lendemain, Maurice Papon transmet à son tour cette note au préfet régional. Il en expurge cependant une phrase : " L'exécution de ces mesures dans le laps de temps demandé est difficile mais pas impossible ". Quel est le sens de cette note ? " Il est normal, c'est même le devoir du fonctionnaire, de faire un compte rendu. C'est une note d'information à usage du décideur " affirme-t-il, se retranchant une nouvelle fois derrière l'autorité du préfet Sabatier.

" Déportation "

Le président s'étonne que dès le 3 juillet, les services de la préfecture se soient " mis à l'ouvrage " alors que la veille au soir, après un échange téléphonique avec le cabinet de Jean Leguay, chef de la police à Paris, Maurice Sabatier a écrit au bas d'un document : " Ne rien faire, ne rien promettre en attendant ". Les accords Oberg- Bousquet sont en passe d'être conclus.
Le 3 juillet, en effet, Maurice Papon habilite Pierre Garat pour " une mission spéciale " et celui-ci commence à travailler sur les listes. " C'est la réaction du fonctionnaire qui fait son boulot " lâche Maurice Papon que le président met régulièrement face à ses contradictions.
Jean-Louis Castagnède s'étonne encore que dès le 5 juillet, le commissaire Norbert Techoueyres occupe un bureau à la préfecture. L'arrestation de 400 Juifs est toujours prévue pour le lendemain. Mais de retour de Paris où il a participé à la conférence des préfets, Maurice Sabatier informe que l'opération est retardée de quelques jours.
Le 10 juillet, le commissaire Techoueyres réorganise la prochaine arrestation de 64 juifs et 28 enfants. Sur la liste, figure un jeune homme qu'on doit arrêter à Pompignac, Benjamin Librach, 20 ans, cousin de Léon, déporté à Drancy le 8 juillet et frère ainé d'Hersz Librach, qui a témoigné mercredi devant les assises.
Après une courte suspension, le président demande à Maurice Papon s'il a donné des instructions pour arrêter les juifs. " Non. L'opération a été confiée à l'intendant de police par Maurice Sabatier. L'exécution m'échappe de A à Z. Je n'ai eu aucune initiative, sauf à travers Garat, pour filtrer les listes et exonérer les personnes " se défend vivement l'accusé, parfois à bout d'arguments.
Le 14 juillet, il interroge cependant le ministère de l'Intérieur à Paris pour savoir si la préfecture doit donner aux Allemands, comme ils le demandent, la liste des Juifs français déjà détenus au Fort du Hâ et au camp de Mérignac : " C'était pour gagner du temps ". Pour la première fois, il emploie dans cette note le mot " déportation " : " Ca signifiait le transfert. Le mot " déportation " n'avait pas le sens moderne qu'on lui donner aujourd'hui " précise aussitôt l'accusé auquel le président ne laisse aucun répit. " Il est difficile d'opposer un refus, mais il ne faut pas aller au delà de la remise pure et simple des listes " répond Leguay le jour même.
Dans le convoi du 18 juillet, il y a aura 33 Français. " Malgré nos vives protestations " ajoute l'accusé dont la voix s'affaiblit. Les arrestations de 145 juifs (dont 70 en Gironde) ont débuté le 15 juillet 1942 à 20 h 30, comme l'examinera la cour ce vendredi.
L'audience reprend à 13 h 30.


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