L'accusation est incisive sur la question juive - 07/11/1997

Face aux arguments de l'avocat général, l'accusé s'est défendu avec conviction, mais il fatigue et laisse entendre qu'il aura peut être des choses à dire...

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Vendredi 7 novembre. Vingtième journée d'audience. Maurice Papon règle le radiateur installé dans son box et serre la main de Me Varaut.
Lorsque la cour monte, le procureur général Henri Desclaux fait état d'une lettre adressée mardi par une ancienne employée du service des questions juives de la préfecture de la Gironde qui " aurait des choses à dire ". Le président Castagnède estime, en effet, que son audition peut être utile. Ce témoin de dernière minute viendra jeudi prochain.
Le président en profite pour indiquer que le programme de l'audience sera de nouveau bouleversé et que la semaine prochaine, il sera encore question du service des questions juives.
Puis il appelle le premier témoin. Bernard Bergerot, 79 ans, chauve, grand et légèrement voûté, costume noir et chemise blanche, accepte immédiatement la chaise que lui propose l'huissier. Cet ancien militaire, retraité du ministère de l'Intérieur, qui manifestement ne connaît pas Maurice Papon, souhaite surtout réhabiliter les fonctionnaires et rendre " son honneur à l'administration ".

"Sans intérêt

Il affirme pourtant : " Maurice Sabatier était responsable de la délégation de signature qu'il avait donnée à son secrétaire général, il l'a d'ailleurs reconnu devant le juge et publiquement devant les journaux. On peut en conclure que Maurice Papon n'est responsable de rien ".
Le président, le procureur général Henri Desclaux et plusieurs avocats des parties civiles reviennent sur cette " délégation de signature " dont il a déjà été longuement question la veille. " C'est une question de confiance " affirme cet ancien fonctionnaire. Maurice Papon lève le doigt : " Je retrouve dans la bouche du témoin la thèse que je développais hier... Ce sont les rapports de confiance d'une loi non écrite. Le secrétaire général donne suite à ce qui a été décidé par le préfet, c'est comme ça la réalité quotidienne, ce n'est pas l'application d'un schéma ".
Sur une question de Me Levy, Maurice Papon ne se démonte pas : " J'ai pris des responsabilités qui pouvaient être pénales, par exemple saboter l'administration de Vichy ou l'application d'un certain nombre de lois, ce sabotage était clandestin, si j'avais été découvert, j'étais exposé peut être la déportation. Mais c'est ma seule responsabilité ". Il se rassoit.
Au terme de deux heures d'audition, le président suspend l'audience pour permettre au témoin, bousculé par les questions des parties civiles, de se reposer. A la reprise, M. Bergerot est rapidement libéré et laisse la place au second témoin de la journée, également cité par la défense, Bernard Vaugon, 87 ans, préfet honoraire, cheveux blancs impeccablement coiffés en arrière, très droit dans son costume noir. Ancien sous-préfet de Dax en mars et avril 1943 après avoir été chef adjoint de la police à Paris en 1942, comme il le reconnaît sur question de Me Arno Klarsfeld, ce témoin " vide son coeur ". D'une voix légèrement tremblante, il s'indigne de ce procès. " Ce n'est pas le procès de la haine et de la vengeance, mais de la mémoire et de la vérité " rectifie le procureur général.
Alors que ses confrères posent encore de nombreuses questions à ce témoin sur les rafles et ce qu'il savait du destin des juifs, le bâtonnier Bertrand Favreau s'élève contre " ces dépositions sans intérêt sur l'organisation de la préfecture de Bordeaux ". De fait, les questions cessent et le témoin peut regagner Paris.

Les questions juives

Il est 17 heures et l'interrogatoire de Maurice Papon sur ses attributions à la préfecture de la Gironde entre 42 et 44 reprend où le président l'avait laissé la veille.
Avec la même rigueur et la redoutable mise en perspective de nombreux documents signés Maurice Papon ou Maurice Sabatier, l'avocat général Marc Robert interroge l'accusé sur le rôle de l'intendant de police Duchon, du directeur de cabinet Chapel ou encore du préfet délégué Boucoiran. Dans l'ensemble, Maurice Papon est d'accord avec l'analyse de l'avocat général.
Mais le ton change lorsque Marc Robert aborde le premier de ses trois volets, la responsabilité du secrétaire général Maurice Papon sur le traitement des questions juives : " Les délégations du préfet régional vous donnent un rôle majeur dans le département et une autorité directe sur le service des questions juives qui entraîne votre responsabilité ".
Me Vuillemin qui a pris place à côté de l'accusé passe au fur et à mesure à Maurice Papon les documents dont l'avocat général fait état. Les accusations sont plus en plus précises et les réponses souvent laconiques ou lapidaires. Mais lorsqu'elles deviennent trop graves, Maurice Papon se lève vivement du fauteuil où il avait demandé à rester assis, hausse le ton et agite le bras droit pour mieux répliquer à l'avocat général qui lui fait face : " C'était mes attributions, je les ai exercées, imparfaitement peut-être mais je me suis battu là comme ailleurs ".
S'il ne nie pas ses relations avec les autorités allemandes, il les minimise : " Avec la Feldkommandatur, je réglais au mieux les intérêts des Bordelais, pour éviter l'épreuve de force et le contentieux " ou encore, " J'ai eu malheureusement des relations avec la Gestapo , mais c'est parce que j'étais convoqué deux ou trois fois par Dohse ".
" Je n'ai pas de confidences à faire sur Maurice Sabatier et moi, j'ai le respect des morts... Je le dirai peut-être un jour " lâche Maurice Papon en fin d'audience. L'avocat général qui interroge Maurice Papon depuis deux heures veut maintenant aborder le second volet, l'autorité du secrétaire général sur les services de police. Mais l'accusé est fatigué et le président préfère reporter la suite à la semaine prochaine.
L'audience reprend mercredi 12 novembre à 13 h 30.


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