Victime d'un stress émotionel - 22/10/1997

A la suite du témoignage de Gilette Chapel, hier, Maurice Papon a été pris de forts tremblements. L'audience a été suspendue une heure. Il a cependant refusé d'être hospitalisé

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Mercredi 22 octobre. 11 ème jour d'audience. Personne n'a remarqué, au premier rang de la salle d'audience, une dame agée, les cheveux blancs coupés courts, un épais gilet de laine sur une longue robe grise. C'est Gilette Chapel, la veuve de Jean Chapel, le directeur de cabinet du préfet régional Maurice Sabatier, supérieur hiérarchique de Maurice Papon entre 1942 et 1944 à Bordeaux.
Gilette Chapel devait déposer la semaine dernière. Mais, en raison de son état de santé, elle avait renoncé à faire le voyage à Bordeaux. Hier, elle a retrouvé un sursaut d'énergie et fait 400 kms en ambulance pour témoigner en faveur de l'ami qu'elle a connue en 1936 et qu'elle n'a pas revue depuis 25 ans.
Elle avoue son émotion : « Je viens témoigner en tant que femme, mère et amie. Nous avons vécu des choses monstrueuses. Je suis la dernière survivante ». Sa déposition part un peu dans tous les sens. Elle regarde l'accusé qu'elle appelle Maurice, assure qu'il a rendu des services à la Résistance mais « celà ne se disait pas » : « Il a juste réquisitonné des moyens de transport, et encore des wagons normaux à la place des wagons à bestiaux pour transporter ces malheureux ». Elle interroge la cour : « Pourquoi après avoir été jugé -et acquitté- par le comité d'épuration, attendre 40 ans pour l'accuser ». Elle soupire d'indignation : « Le pauvre homme, c'était un grand commis d'Etat, on l'accuse d'être ambitieux, mais c'est une qualité ».
Maurice Papon garde la tête dans ses mains. Il parait aussi fatigué que la veille.

«Je suis trop ému»

Arno Klarsfelf questionne Gilette Chapel sur son mari, pour la rassurer aussitôt : « J'ai rencontré la signature de votre mari au bas de documents pour la bonne cause, je voulais vous le dire madame ». C'est la première fois qu'un témoin de la défense est ainsi gratifié.
Maurice Papon se lève lentement et parle presque doucement : « Je suis trop ému d'avoir entendu ce que j'ai entendu ». Il se rasseoit.
Mme Chapel indique alors qu'après le jury d'honneur, son mari était « effondré ». « Il s'est suicidé trois mois après. Ce n'était pas la seule raison mais ça a déclenché ». Un silence gêné s'installe dans la salle d'audience.
« Madame, vous pouvez vous retirer, lui indique le président. Je pense qu'il est bon pour vous de retrouver la sérénité ». Elle a un dernier regard pour Maurice Papon, apppusé sur le dossier de sa chaise.
Le président appelle Jean-François Steiner qu'il n'avait eu le temps d'entendre la veille. Cet historien de 59 ans, auteur en 1966 du livre « Treblinka », est également cité par la défense : « Je suis juif. J'avais 5 ans lorsque j'ai assisté à l'arrestation de mon père le 6 juillet 1943 dans l'Allier, et 7 ans lorsqu'on m'a dit que je ne le reverrai pas. Je suis conscient de ce que ma position peut avoir d'incongru. Je connais Maurice Papon depuis 30 ans, je considère comme de mon devoir de témoigner ».
Sur son siège, Maurice Papon tremble de tout son corps. Avec peine, il prend sa saccoche de cuir noir, l'ouvre, sort un médicament et avale une gorgée d'eau. Le président croise des regards et voit la mine défaite de l'accusé. Il propose de suspendre l'audience. « Je vais prendre sur moi » assure Maurice Papon d'une petite voix.
Jean-François Steiner poursuit sa déposition, le Prix de la Résistance qui a couronné son livre et les membres du jury d'honneur qu'il a rencontrés après leur sentence, en décembre 1981.

Un académicien

Mais Me Varaut se lève, indique à la cour que Maurice Papon est fatigué. Le président suspend l'audience.
Le médecin du Samu propose l'hospitalisation de Maurice Papon. Ce dernier refuse. Lorsque l'audience reprend, une heure plus tard, Me Vuillemin s'asseoit à côté de lui dans le box.
Jean-François Steiner revient à la barre, parle de « l'homme blessé par les accusations » et de l'aide qu'il a apporté à un Juif autrichien au tout début de la guerre : « L'homme qui sait lire la peine dans le coeur des gens n'est pas un criminel contre l'humanité, nous jouons ici une sinistre comédie ».
« Je fais mon métier, je n'ai jamais joué de comédie » réplique le président. Arno Klarsfeld lui demande s'il n'a pas l'impression d'être « le Juif de caution de la bande à Papon ». Le ton s'envenime. Le président y met un terme.
Le témoin suivant est Maurice Druon, 79 ans, Secrétaire perpétuel de l'Académie Française, ancien ministre, ancien député et parlementaire européen, ancien engagé des Forces Françaises Libres.
Il avance, la canne sur le bras, et dépose longuement, comme un discours à l'Académie. Il rappelle d'abord que le jury d'honneur a reconnu les actes de résistance de Maurice Papon et ne tait pas une certaine ironie : « Je me demande si les membres du jury d'honneur et les témoins qui ont été entendus étaient des débiles mentaux, oublieux ou complaisants ! ».
Il se livre ensuite à un véritable plaidoyer en faveur de l'accusé et surtout à une virulente critique du procès qui lui est fait : « Comment le juger devant un jury populaire lorsque un jury de 35 millions de personnes a élu par deux fois un homme décoré de la Francisque et médaillé de la Résistance ? ». Le nom de François Mitterrand n'est jamais prononcé.

«Un français symbolique»

Maurice Druon précise qu'il n'a aucun lien particulier avec Maurice Papon qu'il a rencontré lorsqu'il était parlementaire et ministre mais témoigne de « rapports courtois, cordiaux, sans effusion. Il m'a toujours paru un homme très intelligent, très vif, efficace, froid et toujours patriote ».
Pendant la guerre, Maurice Druon était à Londres. Il affirme qu'avant le printemps 1945, on ne connaissait pas la solution finale : « si on avait su, il n'y aurait pas eu de préfets et de sous-préfets pour signer les ordres de déportation, il y aurait eu moins de Juifs passifs, attendant qu'on vienne les arrêter, cousant leur étoile jaune sur leur vêtement, ils ne seraient pas restés là à attendre comme des groggys offerts aux sacrificateurs ». Un brouhaha monte dans la salle.
Maurice Druon refuse que l'on refasse le procès de Vichy : « Il a été fait à la Libération. On pensait alors que le chapitre noir était fermé et qu'il n'aurait pas à être rouvert sinon dans les livres d'histoire. Si on veut rechercher des coupables, en Allemagne,il y a assez d'anciens SS, de gestapistes à traduire devant la justice comme des lois européens le permettent ».
Il assure, en effet, que ce procès profitera seulement à l'Allemagne : « Si l'on se met à condamner un français symbolique, il leur sera facile de dire : on est tous pareils, les Français sont aussi moches que nous, il y aura une dissolution de la responsabilité , de la culpabilité, c'est pour celà que je suis venu devant vous ». Il ajoute : « Il y a un paradoxe de voir les fils des victimes devenir les alliés objectifs des fils des bourreaux ». Un murmure d'indignation ponctue son propos. Me Jacob, de sa voix éraillée, n'accepte pas qu'en fils de résistant juif, on en fasse un complice des bourreaux.
Maurice Papon qui tient toujours sa tête posée sur sa main gauche a la parole en dernier. Sa voix est faible : « J'observe toujours une dérive pour engager le procès du général De Gaulle. Je partage la véhémence de Maurice Druon, je me sens en bonne compagnie ».
La fatigue se lit sur son visage et le président refuse d'entendre les quatre témoins qui restent. Il indique alors à Francis Graeve, Jean Jaudel, Robert de la Rochefoucault et Jean Matteoli qu'il devront revenir, vers la fin du procès, les 4 ou 5 décembre.


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