Quelques dizaines de manifestants attendaient Maurice Papon.(Crédit M. Lacroix)
Plusieurs centaines de personnes ont manifesté lundi devant le palais de justice pour protester contre la remise en liberté de Maurice Papon
Dominique RICHARD
Planté en haut des marches et adossé à un pilier du palais, Michel Polinowski tient bon le manche. Seul porte-drapeau de l'Association des filles et des fils de déportés juifs, il a été réquisitionné par Serge Klarsfeld pour venir lever l'étendard blanc et bleu de la mémoire. A 76 ans, cet ancien maquisard du Vercors monte une nouvelle fois au front.
Ce parisien qui a fait dérailler des trains en Dauphiné et s'est battu les armes à la main contre les Allemands ne craint pas grand chose des batailles médiatiques où les mots font office de balles. Seul le soleil qui darde ses rayons sur la kipa brodée posée sur sa chevelure encore abondante l'importune quelque peu. Mais il ne se plaint pas.
Depuis vingt ans, son drapeau en a vu de toutes les couleurs. A Hambourg, il a suivi son propriétaire en garde à vue après une expédition dans les locaux professionnels du criminel SS Karl Lichka (1). A Paris, Il s'est montré sous l'Arc de Triomphe pour signifier à Gorbatchev qu'il devait accorder aux juifs russes des visas pour partir en Israel.
En France, Il a participé à tous les grands procès et à toutes les manifestations où la communauté israélite a réclamé justice. Présent mercredi lors de l'ouverture des débats, il n'imaginait sans doute pas s'éterniser outre mesure à Bordeaux. La remise en liberté de Maurice Papon en aura décidé autrement.
" Jacqueline Drai, 8 ans, convoi 66 ". Des dizaines de panonceaux jaunes rappelant la disparition des enfants juifs dans les camps sont brandies devant les grilles. Accrochées à celles-ci, des planches photographiques évoquent le souvenir des disparus. Des membres de leur famille en parlent comme s'ils les avaient quittés hier.
Un peu à l'écart, un inconnu aux lunettes noires mastique machinalement son chewing-gum. Sur un manche à balai flambant neuf, il a punaisé un carton ou l'on peut lire : " Papon dans un wagon " !A quelques mètres de lui, le reporter d'Europe 1 envoie d'une cabine son témoignage sur l'indignation dont il est le témoin.
" Bravo ",s'exclame une femme en entendant ses propos. Le week- end passé par Maurice Papon dans des hôtels confortables suscite des réflexions vengeresses. Pour un homme proche de l'infarctus, il semble avoir pris du bon temps. Soupçonneuse, une vieille dame s'interroge à haute voix. " Qui paye les frais ? "
Pour les victimes, leurs proches, les membres des organisations juives, les militants communistes et socialistes, la petite équipe de Ras l'front, Maurice Papon est coupable avant même d'avoir été condamné." Pas de liberté pour un criminel contre l'Humanité "s'exclame un jeune homme en colère.
Au micro, Serge Klarsfeld s'exprime posément. Ce qui ne l'empêche pas d'exécuter à plusieurs reprises le président de la Cour d'assises, Jean-Louis Castagnède en des termes cinglants. " Il n' a jamais libéré en cour d'assises des accusés contre lesquels il pesait moins de charges que contre l'ancien secrétaire général de la Préfecture de la Gironde ! "
La décision de la Cour a révélé certaines divisions dans les rangs des parties civiles. Serge Klarsfeld ne le cache pas en mettant dans le même sac le président Castagnède, Me Jean-Marc Varaut le conseil de Maurice Papon et quelques uns des avocats qui soutiennent l'accusation. Me Gérard Boulanger n'est pas cité mais c'est lui qui est visé.
Dans le courant de l'été, il avait déclaré qu'il était plus préoccupé par la tenue du procès que par la détention de Maurice Papon. Aujourd'hui, ces propos lui sont vivement reprochés. Si les vingt-six personnes qu'il défend lui ont renouvelé leur confiance, d'autres ne mâchent pas leurs mots à son encontre. Ce qui crée un climat particulier.
" Il existe des tensions. On ne peut pas le nier,convient Me Touzet, défenseur de neuf autres familles. " Le principe de la liberté ne peut pas être récusé par un avocat. Mais qu'on choisisse l'affaire Papon pour initier cette jurisprudence me semble inopportun alors qu'il est poursuivi pour le crime le plus grave qui puisse exister. "
" C'est une décision mystérieuse ",observe Me Touzet. En transférant d'autorité Maurice Papon à l'hôpital dans la nuit de jeudi à vendredi l'administration pénitentiaire a-t-elle irrité la Cour d'assises ? Devant la pression médiatique des parties civiles, les magistrats ont-ils voulu manifester leur indépendance ? Les " Papon en prison " scandés lundi après midi par les manifestants ne répondaient pas à ces questions.
(1) Lichka a été condamné par la suite en Allemagne en même temps que Herbert Hagen qui avait été en poste à Bordeaux de 40 à 42.
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