Une leçon d'histoire - 16/10/1997

Si Pierre Messmer dédouane Papon, Jean-Luc Enaudi qui a enquêté sur les événements du 17 octobre l'accable

Dominique RICHARD

La silhouette amidonnée par les ans mais la prestance intacte, Pierre Messmer quitte le palais droit comme un décoré. Vêtu d'un imperméable blanc, une écharpé nouée autour du cou, l'ancien premier ministre ne s'est toujours pas défait de l'air hautain qui était le sien lorsqu'il s'exprimait sur le perron de Matignon.
Aux journalistes qui s'agglutinent autour de sa personne, il répond d'un air presque méprisant : " rapportez vous à ma déclaration ".Devant le cour, il vient quasiment de dédouaner Papon en affirmant qu'on ne peut imputer à un préfet de police la responsabilité d'événements lorsqu'un gouvernement lui a donné des ordres précis.
Pierre Messmer ne parle pas de violences mais de " mesures énergiques ". Il n'évoque pas de mortelles ratonnades mais des " adversaires liquidés par le FLN ", le mouvement de libération algérien. Son ton très gaullien où la solennité et l'humour se mêlent dissuadent la contestation et l'invective.
C'est une toute autre image que donne Jean-Luc Enaudi lorsqu'il lui succède dans le prétoire. Ses mains s'agrippent à la barre. La tension se lit dans son visage. La force de ses convictions dissipe progressivement son malaise. De sa voix de stentor, il martèle les mots et convoque sa mémoire. Six ans après avoir écrit la bataille de Paris, cet éducateur se remémore du moindre détail.
La teneur des déclarations publiques de l'époque, le nom des témoins, les lieux du drame, les réflexions des acteurs...Le souvenir de ces journées d'octobre 61 où plusieurs centaines d'algériens disparurent dans des conditions épouvantables l'habite. Le cauchemar des victimes est encore le sien.

" La frontière de la stupéfaction "

Aujourd'hui encore, le bilan officiel est de trois morts. Jean-Luc Enaudi est incapable de fournir un chiffre exact. Il a seulement identifié cent cinquante noms correspondant à autant de cadavres enfouis dans une fosse commune du cimetière de Thiais. " On a jeté des gens à la Seine, d'autres ont été tués par balle ou ont eu le crâne fracassé à coups de matraque en bois ",raconte l'écrivain.
Les policiers français exaspérés par les attentats du FLN souhaitaient se venger. Le garde des Sceaux de l'époque, le corrézien Edmond Michelet ayant du démissionner, plus personne au sommet de l'Etat ne freinait les ardeurs répressives."Vous devez être subversifs, vous serez couverts avait déclaré Papon aux policiers"rapporte Jean-Luc Enaudi.
Pour ce dernier la responsabilité du haut fonctionnaire ne fait aucun doute." Présent dans la salle de commandement, il n'a pas empêché la diffusion de fausses nouvelles sur la fréquence policière où à plusieurs reprises la mort de gardiens de la paix a été annoncé à tort. Plusieurs dizaines d'algériens ont été massacrés dans la cour de la Préfecture. Il ne pouvait pas l'ignorer. Il n'a rien fait. "
Convaincant, précis, persuasif, Jean-Luc Enaudi s'est exprimé pendant plus deux heures. Le dernier mot revenait à l'accusé. Mais Maurice Papon n'a pas souhaité s'exprimer, préférant attendre l'audition d'un de ses collaborateurs de l'époque." On a simplement franchi la frontière de la stupéfaction "a-t-il seulement commenté.


Retour

Copyright Sud Ouest. Pour tout usage lié à la reproduction de nos articles, merci de prendre contact avec Sud Ouest : doc@sudouest.com Tel : 05 56 00 35 84. 

Accueil | Le procès | Procédures | Les acteurs | Repères | Lexique | Forum

Copyright Sud Ouest 2006 - contact@sudouest.com