Une deuxième nuit en prison - 08/10/1997

La cour d'assises qui a ordonné une expertise médicale, se prononcera jeudi sur la demande de mise en liberté de Maurice Papon dont le procès a débuté mercredi à Bordeaux

Bernadette DUBOURG

Mercredi 8 octobre. Premier jour d'audience. Le procès de Maurice Papon a débuté à 14 heures, dans une certaine solennité. Dans l'heure précédente, les parties civiles et leurs 26 avocats, les cinq défenseurs de Maurice Papon et quelques personnes avaient pris place peu à peu dans la salle d'audience de la cour d'assises.
Comme Maurice Papon avait refusé d'être photographié à son arrivée dans le box des accusés, le président Jean-Louis Castagnède a demandé aux photographes et aux cameramen de se retirer de la salle d'audience avant de faire entrer l'accusé dans le prétoire.
Vétu d'une chemise rose pâle, cravate et costume foncés, Maurice Papon a pénétré dans le box, entouré de deux policiers. Il serrait dans la main un dossier jaune et durant toute cette première journée d'audience, il a régulièrement pris des notes avec un stylo plume en or, sur un petit bloc, glissé dans un sous-main en cuir.
A la demande du président, il a décliné d'une voix claire et assurée son identité : Papon, Maurice, 87 ans. Profession? Retraité. Domicile? Gretz-Armainvilliers en Seine et Marne.

Trois certificats médicaux

Immédiatement après, le président a donné la parole à Me Jean-Marc Varaut pour soutenir la demande de mise en liberté de Maurice Papon.
Durant prés d'une heure, l'avocat a évoqué les Droits de l'homme et de la défense, rappelé que la " liberté était la régle et la détention, l'exception " et dénoncé les conditions de détention de Maurice Papon à la prison de Gradignan : " Hier lorsque nous l'avons accompagné dans cette prison pour y être détenu en vertu de l'archaïque et provisoire procédure, des cris ont fusé de toutes les fenêtres et jusque tard dans la nuit, une foule qui n'a pas été écartée criait " A mort ".
" Contrairement à ce qui nous était promis, rien n'a été fait pour améliorer ses conditions de détention. La cellule a un peu plus de 10 mètres carrés, une chaise unique et bancale. Dans cette cellule non médicalisée, trois fois cette nuit, la lumière s'est allumée lorsqu'un maton a fait sa ronde et chaque fois Maurice Papon a été réveillé. Il a dormi à peine trois heures. Il a eu des suffocations pulmonaires, n'a pas bénéficié d'une nourriture normale ce matin. Nous l'avons vu dans un minuscule parloir. Si on veut qu'il se taise, on en a trouvé le moyen ".
Me Jean-Marc Varaut a produit trois certificats médicaux pour emporter la conviction des juges. Le premier médecin écrit que " l'état de santé de Maurice Papon est incompatible avec toute détention même passagère, que celle-ci entraînerait un risque vital ". Le second ajoute que " toute agression psychique ne peut que nuire à son état ". Le troisième, le cardiologue qui l'a opéré l'an dernier d'un triple pontage coronarien évoque un " risque éventuel mortel, la nécessité d'un mode de vie adapté et que la journée soit fractionnée en deux ou trois temps de repos ".
Me Varaut a d'ailleurs menacé que " s'il ne devait pas survivre, sa famille et ses avocats poursuivront tous les responsables ".
Me Varaut a cependant précisé: " Je ne vous demande pas de déclarer que la détention est incompatible avec son état de santé, mais avec une défense digne et libre ".

A l'hôpital

Le procureur général Henri Desclaux s'est fermement opposé à cette remise en liberté : " Il faut que cette affaire soit traitée à l'ordinaire, que l'accusé soit jugé comme tout accusé, dans le respect d'un procès équitable et impartial ".
" Je ne vois pas en l'état, de raison de traiter Maurice Papon différemment de n'importe quel autre accusé " a conclu le procureur général qui n'a pas apprécié la mauvaise foi apparente avec laquelle Maurice Papon a tardé, en août dernier, à se plier aux obligations de son contrôle judiciaire : " Ce comportement est révélateur. Maurice Papon ne manifeste qu'un intérêt limité aux décisions de justice, seul compte ce qu'il a décidé ".
Le procureur général a cependant admis une mesure " fondée sur des considérations humanitaires ". C'est ainsi qu'il a demandé à la cour " de prendre l'avis d'experts, non pas pour se borner à constater que l'état de santé est compatible ou non avec la détention, mais pour prendre en compte les différents modes de détention dont l'hospitalisation ".
Quatre avocats des parties civiles ont développé quelques observations pour, d'une manière générale, s'opposer également à cette remise en liberté. " Il n'est pas possible de revendiquer un procès ordinaire en sollicitant une mesure extraordinaire. C'est une blessure au droit et une injure aux victimes " a observé Me Jakubowicz (avocat du Consistoire Central), qui a rappelé que si Maurice Papon était remis en liberté, il resterait libre, même condamné, jusqu'à l'examen d'un pouvoi en cassation. " On ne peut pas reprocher leur inhumanité à ceux qui sont victimes de crimes contre l'humanité " a ajouté Me Charrière-Bournazel pour la Licra.

Un procès inéquitable

Maurice Papon a eu la parole en dernier. Il a poliment refusé de rester assis comme le lui proposait le président. Puis ferme, précis et manifestement décidé à se défendre, il a d'abord répondu aux " reproches " du procureur général : " Avant d'être placé sous contrôle judiciaire, j'étais parfaitement libre, j'en ai usé à bon droit. Si les documents ont traîné, je ne suis pas responsable du service des transmissions et des postes. Ayant toute ma vie servi la loi, je n'allais pas commencer à mon âge à la trahir ".
Il a ensuite motivé à son tour sa demande de mise en liberté : " Me Varaut en a développé les conditions et la nécessité. La présente séance est tout à fait figurative de ce qui m'attend. J'ai une voix et, en face, 20 voix pour répondre. Je réclame l'égalité des armes. Le facteur essentiel est effectivement psychique, physique et moral, que je puisse travailler avec mes conseils sans supporter le poids insupportable de la détention, assurer ma défense dans les meilleures conditions possibles ".
Au terme d'un court délibéré d'une demi-heure, la cour a ordonné une expertise médicale, confiée au professeur Jean-Paul Broustet, chef de service à l'hôpital cardiologique de Haut-Lévêque et au Dr Chapenoire, médecin légiste, qui devront prendre connaissance des pièces médicales et examiner Maurice Papon en prison pour savoir si " son état de santé est compatible avec une incarcération, le cas échéant organisée en milieu hospitalier ".
Leur rapport doit être déposé aujourd'hui jeudi avant 13 heures et sera rendu public à la reprise des débats à 13 h 30.
La cour prendra ensuite la décision de le remettre en liberté, de le maintenir en détention à Gradignan ou de le placer en " détention " dans un hôpital, sachant que l'hôpital Saint-André est juste en face du palais de justice.
Quelle que soit la décision de la cour, Me Jean-Marc Varaut a déjà annoncé son intention de plaider un second incident de procédure. Il demandera à la cour " d'abandonner les poursuites contre Maurice Papon en application des règles du droit européen ".
Me Varaut estime que, cinquante ans après les faits, ce procès est " inéquitable " aux motifs qu'il ne se déroule pas dans un délai raisonnable, que l'absence de " témoins essentiels " nuit à l'oralité des débats, et que " les jurés n'ont pas connu l'époque de l'Occupation.
Avant de suspendre l'audience peu avant 18 heures, le président a justement procédé au tirage au sort du jury (lire ci-dessous). Hier soir, Maurice Papon est reparti à Gradignan où il a passé une deuxième nuit en prison.
Le procès reprend jeudi à 13 h 30.


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