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Marie Bonnecaze, ancienne employée du service des affaires juives a témoigné en faveur de Maurice Papon (Crédit A.F.P.)

Un témoin plutôt favorable - 09/01/1998

Une seconde employée du service des questions juives a témoigné : " M. Papon nous disait de ne pas faire de zèle ".

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Vendredi 9 janvier. Quarante quatrième journée d'audience. Avant de clore l'examen du deuxième convoi, celui du 26 août 1942 qui a conduit 444 juifs à Drancy, le président Jean-Louis Castagnède donne les noms des dernières victimes de ce convoi pour lesquelles des membres de leurs familles se sont constitués parties civiles, mais qui sont absents du procès.
Charlotte Griff, 38 ans, et ses quatre enfants, Jeannette, 9 ans, Maurice, 7 ans, Simon, 5 ans, et Léon, un an et demi, ont été arrêtés sur la ligne de démarcation à Mont de Marsan et déportés à Auschwitz le 7 septembre 1942. Du train qui les conduisait de Bordeaux à Drancy, Jeannette, l'aînée, a écrit à sa tante une lettre pour son père : " Ecris le malheur de nous... Papa, bonjour pour toujours, un bonjour de nous et merci pour tout ".
Henri et Jeanne Plevinsky, âgés de 9 et 4 ans, avaient été recueillis par Mme Slimermann à Saint-Michel-de-Fronsac après l'arrestation et la déportation de leurs parents, des réfugiés polonais, en juillet 1942. Les deux enfants ont été déportés à Auschwitz le 31 août suivant.

Protestation

Les parents d'Ida et Jacques Junger, 7 et 3 ans, avaient également été déportés en juillet et les deux enfants confiés à Mme Pinton à Bordeaux, avant d'être arrêtés et déportés à leur tour dans le convoi du 26 août 1942.
Enfin, Malka Stalkoski, 39 ans, sa belle soeur Dora Stalkoski et la fille de cette dernière, Anna, également arrêtées par les Allemands sur la ligne de démarcation à Mont de Marsan, ont été déportées à Auschwitz le 31 août 1942. " Là où je serai, je vous écrirai " écrit Malka à sa famille depuis le camp Mérignac, " Si vous ne recevez rien de moi, ne vous inquiétez pas, c'est que nous n'aurons pas le droit d'écrire... Où que nous soyons, nous supporterons avec courage ce qui pourra nous arriver... Je pars cependant un peu inquiète ".
" Je conteste naturellement les accusations formulées à mon encontre. Dans cette lourde et douloureuse opération, je n'ai donné que 4 signatures " répète Maurice Papon, " je n'ai participé ni aux arrestations, ni aux transferts, ni à l'arrivée à Drancy, je ne suis intervenu dans cette affaire que dans un sens positif. Un échec n'est pas qualificatif de complicité ".
Il poursuit : " Je renouvelle donc ma protestation, non sans répéter que l'affaire des enfants restera une des plus douloureuses de ce siècle, mon coeur éclate de compassion devant de tels faits. Mais c'est atteindre à l'honneur de la France d'impliquer une quelconque responsabilité que ce soit du coté français, les responsables de la tuerie sont et resteront les nazis allemands ".

" Ma vérité "

Avant d'aborder le convoi suivant, le président entend une ancienne rédactrice du service des questions juives qui, à l'instar de Mme Christiane Hippolite, ancienne sténodactylo dans ce même service, s'est manifestée après le début du procès.
Mme Marie Bonnecaze, 78 ans, retraitée à Cahors, a adressé deux courriers au président, les 9 et 18 novembre derniers. Pratiquement au même moment que Mme Hippolite qui a déposé devant la cour le jeudi 4 décembre dernier.
Ce témoin a d'énormes difficultés pour marcher. Elle s'accroche au bras de l'huissier et s'assoit devant la barre. " Ma déposition est absolument personnelle, spontanée, dictée par personne. J'ai d'ailleurs eu beaucoup de mal à la formuler " assure cette dame. Au président qui insiste pour comprendre pourquoi elle ne s'est pas manifestée plus tôt, elle répond : " Un peu la peur... Mais tout cet été, j'y ai pensé, si je n'intervenais pas, c'était un délit de fuite ".
Elle a été embauchée " au service des Israélites " le 25 juillet 1942, à la sortie de la faculté de droit. Elle avait 23 ans et y est restée 13 mois : " Tout ça m'a un peu bouleversé ". Elle travaillait dans un petit bureau, aux côtés d'une autre rédactrice et deux sténos dont Mme Eychenne, séparé par une cloison du bureau de Pierre Garat et sa secrétaire Sabine Eychenne. Elle cherche les mots exacts que Pierre Garat a tenus à son arrivée : " De la part de M. Papon... aucun zèle de ce service ".
Le président l'interroge sur le sens de cette phrase. " Il s'agissait de ralentir les dossiers (d'aryanisation) le plus qu'on pouvait, ne pas relancer les administrateurs provisoires qu'on ne voyait pas ".
Elle assure n'avoir été " associée à aucun secret ", n'avoir même jamais entendu parler de rafles, " c'était le grand silence ", mais se souvient des visites du grand rabbin Cohen " d'une humanité très grande ", de Pierre Garat " de plus en plus blême " et Mme Eychenne qui " laissait échapper son émoi et avait parfois la larme à l'oeil le matin ". " J'ai le sentiment qu'ils ont fait le maximum de ce qu'ils ont pu faire pour sauver des Juifs, j'ai eu la conviction qu'il se débattaient. A la Libération, voyant l'avancement de Garat comme sous-préfet de Blaye et Papon, le second de Cusin, j'ai pensé que je ne m'étais pas trompée ".
En fait, Mme Bonnecaze parle moins de M. Papon qu'elle " croisait dans l'escalier " que de M. Garat et Mme Eychenne " qui ont malheureusement disparu ". L'avocat général Marc Robert s'étonne cependant que ce " témoin précieux " n'ait rien su de l'activité de ce service alors même que ses initiales, comme le démontrent Mes Touzet et Favreau, figurent sur des fiches de radiations de juifs. Quant à Me Jakubowicz (partie civile), il souligne qu'elle a adressé une copie de son courrier à Maurice Papon. " Il fallait que je restitue ma vérité à celui qui a été mon patron " répond-elle sans se démonter.
Contrairement à Mme Hippolite qui depuis sa déposition assiste à toutes les audiences et répond volontiers aux journalistes, à l'extérieur de la salle d'audience, " qu'elle n'a pas eu la même vision des choses que sa collègue ", Mme Bonnecaze quitte le palais de justice, à l'arrière du bâtiment, aussi discrètement qu'elle y est arrivée.

71 juifs

Après une suspension d'audience, le président examine le convoi du 21 septembre 1942 qui a conduit 71 juifs de Bordeaux à Drancy, dont 22 hommes, 37 femmes et 12 enfants. Parmi eux, il y avait Arlette Sztajner, 3 ans, et son petit frère André, agé de 5 mois, qui avaient été arrêtés avec leur mère, sur la ligne de démarcation à Mont de Marsan, et qui étaient détenus au camp de Mérignac depuis le 18 juillet.
Le président admet lui-même qu'il y a peu de pièces au dossier concernant ce convoi. Il projette un rapport adressé une semaine plus tard par le préfet régional Maurice Sabatier au ministre de l'Intérieur où il indique qu'il n'a été avisé par les Allemands de " ce transfert " que la veille, le 20 septembre, qu'un représentant de la préfecture s'est rendu rapidement au camp de Mérignac pour participer " à un triage " (8 personnes ont été exemptées) et que 31 Français figuraient dans ce convoi.
La défense de Maurice Papon est aisée : " J'étais absent. J'avais quitté Bordeaux le samedi matin 19 septembre et je suis revenu le lundi 28 septembre ". Il feuillette d'ailleurs les photocopies de son agenda et énumère le rendez-vous chez le notaire à Gretz pour régler la succession de son père, décédé en juin, puis les rencontres et les déjeuners avec des collègues " étrangers à ces problèmes ".
Sur la liste des juifs déportés, figure juste au dessus des deux petits Sztajner, le nom de Marie Reille, 27 ans, née à Carignan, liberée à la descente du train à Auschwitz, sur intervention du commissariat aux questions juives. Cette dame est aujourd'hui décédée mais dans une interview, retranscrite au dossier, elle accusait Pierre Garat, présent au camp de Mérignac, d'être responsable de sa déportation. " C'est curieux, c'est psychologiquement et moralement curieux " commente Maurice Papon. " Surtout quand elle déclare, un peu plus loin, qu'en septembre 1942 les persécutions contre les juifs sont devenues presque nulles " ajoute Me Varaut.
L'examen de ce convoi par le président a duré à peine une heure. L'audience reprend lundi à 13 h 30.


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