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Maurice Papon et son escorte: circulez il n'y a rien à voir. (Crédit A.F.P.)

Un sentiment de secret - 04/12/1997

Le témoignage d'une ancienne employée du service des questions juives n'a pas permis de mieux cerner l'autorité de Maurice Papon

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 4 décembre. 26ème journée d'audience. Maurice Papon entre dans le box des accusés, comme s'il en était parti la veille. Il est pourtant absent depuis deux semaines et demi. Son premier souci est de vérifier le radiateur qui, manifestement, a des faiblesses. Maurice Papon sort puis revient, son loden vert sur les épaules. Il a l'air reposé et les cheveux coupés dans le cou. Il tient toujours à la main sa serviette en cuir noir d'où il extrait plusieurs documents qu'il installe devant lui. Me Francis Vuillemin s'assoit de nouveau à ses côtés.
Les dix huit jurés, leur bloc rouge sous le bras, retrouvent à leur tour leur place. Sans autre propos, le président donne tout de suite connaissance des deux arrêts que la cour doit rendre depuis deux semaines. La cour sursoit à statuer sur le supplément d'information plaidé par Me Varaut. Par contre, elle se déclare incompétente pour statuer sur la requête de Me Bertrand Favreau, avocat de la Ligue des Droits de l'Homme, qui demandait l'audition rapide de l'historien bordelais Michel Berges et celle de deux des trois rédacteurs de l'expertise historique dont Maurice Papon prétend qu'elle apporte la preuve qu'il a sauvé 130 Juifs.

L'intendant de police

Me Varaut souhaite faire deux interventions. La première pour critiquer les propos tenus par le premier Ministre Lionel Jospin au dîner du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), le 29 novembre dernier, lorsqu'il a déclaré que " le procès de Maurice Papon était l'occasion de faire la lumière sur les forfaits d'une administration complaisante, les crimes d'un état illégitime et les actes inhumains d'un Etat dévoyé ". La seconde concerne la santé de Maurice Papon et le voeu que les audiences ne dépassent pas quatre heures " car, au delà, Maurice Papon n'a pas la pleine maîtrise de sa mémoire, de son expression et de sa défense ".
Le procureur général Henri Desclaux rappelle qu'il a déjà eu plusieurs fois l'occasion de dire qu'il s'agissait du procès d'un homme. Il estime, par ailleurs, qu'il n'est pas possible " de fixer une règle générale sur la durée des audiences ". Le président Castagnède laisse dire. Comme il laisse encore s'exprimer plusieurs avocats des parties civiles.
Lorsque les interventions sont épuisées, il reprend l'interrogatoire de Maurice Papon où il l'avait interrompu, non pas la veille, mais il y a près de trois semaines, le vendredi 17 novembre dernier.
Ce jour là, il avait commencé à interroger Maurice Papon sur l'organisation du service des questions juives de la préfecture de la Gironde, plus précisément le recensement des Juifs, la gestion du fichier et la communication des listes. Aujourd'hui, il poursuit l'interrogatoire de l'accusé sur " les pouvoirs de police dévolus au service des questions juives par l'autorité préfectorale ".
Maurice Papon se lève. La voix est claire et le ton posé. Avant de répondre à cette question, il veut revenir sur l'aryanisation des biens juifs dont il a été question il y a presque trois semaines : " Mes dispositions physiques et psychiques ne m'ont pas permis de donner les réponses que je souhaitais " se justifie-t-il.
Puis au terme d'une longue explication, il répond au président que " le bureau des questions juives était traité, en Gironde, comme dans les autres départements ". Le président l'interroge plus précisément sur l'autorité de ce service sur l'intendant de police. " Jamais le bureau n'a exercé de pouvoirs de police, mais il avait nécessairement des rapports avec l'Intendant de police. C'étaient des relations horizontales... Quand les convois étaient organisés, les listes étaient établies par les autorités allemandes qui les remettaient au bureau des questions juives, à charge de les remettre à l'intendant de police. Quand les opérations étaient faites, Garat en contrôlait l'exécution pour essayer de sortir les personnes arrêtées ".
Le président qui fait de nouveau projeter des documents, ne ménage pas l'accusé dont l'attention faiblit au fil des minutes. Il avoue même ne pas comprendre certains questions. Parfois, il lance : " je résumerai ma pensée d'une manière lapidaire, le service des questions juives, c'est la préfecture, et la préfecture, c'est le préfet ". Une fois, à bout d'argument, il lâche : " Je n'élimine pas la pagaille qui pouvait régner dans la gestion des affaires, nous étions l'épée dans les reins ".

Témoin de dernière minute

Après deux heures et demi d'interrogatoire, le président suspend l'audience. A la reprise, le président entend enfin Christiane Hipolitte, ce témoin de dernière minute, qui, le mois dernier, a elle-même écrit au président pour décrire le service des questions juives où elle a travaillé en 1942 et 1943.
" J'avais 17 ans, j'étais jeune, naïve, inexpérimentée, sans aucune conscience politique. J'étais loin d'imaginer que les décisions de ce service aboutissaient aux atrocités qui sont jugés ici " s'excuse presque cette dame de 73 ans, vêtue d'un pantalon noir et d'une veste marron, les cheveux courts et auburns, l'allure déterminée et la parole vive.
Elle assure qu'en 1981, lorsque l'affaire Papon a éclaté, elle s'est " sentie concernée et presque coupable d'avoir appartenu à ce service " mais n'a pas oser parler : " Un ami m'a dit que j'allais avoir des ennuis ". Elle s'est ravisée au début du procès, notamment après avoir assisté à certaines audiences et entendu " la greffière donner la liste des noms des juifs déportés ".
Elle explique alors qu'elle travaillait dans un bureau avec deux rédactrices et deux sténos (dont l'une vient également d'écrire au président de la cour). Dans le bureau " contigu et très cloisonné ", il y avait Garat et sa secrétaire, Mme Eychenne. Elle ne dit rien de particulier sur Maurice Papon sinon qu'il " dirigeait le service avec Pierre Garat qui allait souvent dans son bureau ". Elle ajoute seulement qu'à trois ou quatre reprises ", elle a porté " des plis urgents et confidentiels à la police allemande au Bouscat ".
Elle garde surtout un " sentiment de secret " au souvenir de son passage au " service des juifs, comme on l'appelait à l'époque ". Avez vous parlé du sort des Juifs avec M. Garat? l'interroge l'avocat général Marc Robert. " Jamais. Il était très distant ".
Son témoignage est surtout égratigné par Me Jean-Marc Varaut qui fait admettre à Mme Hipolitte qu'avant d'écrire au président, elle a rencontré Michel Slitinsky. Ou encore lorsqu'il lui fait reconnaître qu'elle a vu le Grand Rabbin Cohen dans ce service, sans l'avoir mentionné dans sa lettre. Un vif échange s'en suit, car Me Varaut a extrait la déposition d'une ancienne collègue de Mme Hipolitte, de la première instruction. " Elle est dans le dossier de M. Papon " réplique son défenseur.
L'audience reprend ce vendredi à 13 h 30.


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