Maurice Papon était interrogé sur "sa" résistance (Crédit AFP)
Maurice Papon s'est présenté comme "un agent occasionnel du réseau Jade-Amicol et honorable correspondant du réseau Marco Kleber. Il n'a pas convaincu les parties civiles
Bernadette DUBOURG
Mercredi 18 février. Soixante dixième journée d'audience. Après avoir renoncé à l'audition de Jacques Delarue, malmené la veille par Me Klarsfeld, Me Varaut renouvelle ses reproches au président Castagnède. Il dénonce les " pressions internes et externes au procès " et assure que " depuis le 10 octobre (date de la mise en liberté de Maurice Papon), si les droits de la défense ont été respectés, les choses ne sont plus tout à fait les mêmes. Des pressions existent, même si on peut feindre de ne pas les entendre ".
Pour la première fois, le président Castagnède lui répond : " Vous m'adressez des critiques. Le président de la cour d'assises n'est pas l'avocat des témoins, même si je déplore qu'à l'occasion d'un débat judiciaire, les témoins sortent meurtris. Quant aux pressions, elles sont dans la nature des choses, dans la nature des hommes. Ce qui compte, c'est de savoir quels effets elles ont, nous y veillons les uns et les autres. Je n'ai rien à ajouter de plus ".
Quelques instants plus tard, alors qu'un nouveau débat s'engage sur les radiations de juifs, le président adresse à l'avocat de Maurice Papon : " Me Varaut, vous m'obligeriez à cesser de penser que je favorise telle ou telle partie ".
Puis la cour d'assises tourne la page des déportations de juifs pour aborder la résistance de Maurice Papon.
Debout devant le micro, la voix claire et le ton beaucoup plus décontracté, Maurice Papon commence alors le long récit de ses " états de service " qu'il résume d'ailleurs en " quatre volets ".
Il y a tout d'abord le réseau Jade Amicol : " Dès les premiers jours de juillet 1942, j'ai reçu la visite d'un ami, Jean Poitevin, qui était lui-même l'ami de Gustave Souillac, pôle essentiel du réseau. Je n'ai pas attendu janvier 43, date de mon incorporation officielle comme agent occasionnel. Dès l'année 1942, je me suis effectivement attaché à rendre les premiers services ".
Le président souhaite des exemples concrêts de ces actions. Tout en précisant que tout était " extrèmement cloisonné ", Maurice Papon énumère " la fourniture de cartes d'identité ou de cartes de rationnement pour les clandestins, le recueil des équipages américains descendus par la DCA allemande, leur accueil au château Picon (asile d'aliénés de Bordeaux) et la fourniture de vêtements, ou encore des renseignements militaires grâce à ses relations avec les responsables de la Feldkommandatur ".
Il en vient ensuite au réseau Marco Kleber avec lequel il serait entré en contact grâce à son ami Maurice Levy. " Courant 1943, Maisonneuve est venu me voir à Bordeaux. Il m'a posé carrèment la question : " Quel est ton état d'esprit ? Appartiens-tu à la résistance ? J'ai pensé à l'époque qu'il n'était pas contradictoire de travailler pour Jade Amicol dont les actions étaient orientées vers les objectifs militaires, et d'apporter sa pierre au réseau Marco Kleber, qui était orienté vers les administrations ".
" Votre action allait-elle au delà de l'hébergement de Roger Samuel Bloch ? " interroge le président. " J'étais son correspondant. Son honorable correspondant " répond Maurice Papon.
" Cette appartenance a eu des conséquences sur moi " poursuit Maurice Papon qui raconte de nouveau comment Roger Samuel Bloch, rencontrant Gaston Cusin sur le quai de la gare de Périgueux lui aurait dit : " Si tu vas à Bordeaux, il y a une chose à faire, prendre contact avec Maurice Papon ".
Il relate également la conversation qu'il aurait plus tard avec le futur commissaire de la République de Bordeaux. " Un beau jour, il me dit : Vous serez mon directeur de cabinet. A quoi, j'ai répondu : " Vous n'y pensez pas ". " Pourquoi? ". " J'étais le secrétaire général de Vichy. Mais un matin, il m'a donné l'ordre, au nom du général de Gaulle. Je me suis mis au garde à vous... et je suis là " lâche Maurice Papon.
Il présente d'ailleurs comme " quatrième volet " de sa résistance -la troisième étant des " liaisons " avec le chirurgien de l'hôpital Saint André, adjoint au chef militaire de la région bordelaise-, les contacts qu'il aurait eu régulièrement avec Gaston Cusin à Bordeaux, durant les trois mois où il resté clandestin.
Maurice Papon qui n'a " pas pensé " à demander son affiliation au réseau Jade Amicol après la guerre, affirme que c'est un collaborateur qui s'en est chargé en 1953 " sans que je m'occupe de rien ". La commission nationale des anciens combattants a d'abord rendu un avis défavorable en décembre 1953. Mais Maurice Papon a finalement obtenu son attestation d'appartenance aux Forces françaises combattantes et carte de combattant volontaire de la résistance en 1958, alors qu'il était préfet de police de Paris.
Sur la deuxième des trois attestations rédigées en 1944, 1954 et 1958 par le lieutenant colonel Arnould, alias colonel Ollivier, liquidateur principal du réseau, le président relève le nom de Léon Leonce, présenté comme agent P1, et dont Maurice Papon aurait permis la libération. Or, cet homme a été arrêté comme juif au cours de la rafle de janvier 1944. " Je me demande ce qu'il fait là, je suis moi même surpris " constate Maurice Papon.
Le procureur général Henri Desclaux relève également le nom de Jacques Dubarry (chef du service des questions juives). " Il aurait du partir au STO... je reconnais ces anomalies, une sombre pagaille " admet Maurice Papon qui se défend d'avoir participé à " la réalisation de cette attestation ". " Maurice Papon a une mauvaise mémoire " constate Me Boulanger, deux documents en mains.
Le nom de Maurice Papon ne figure sur aucune liste du réseau Jade Amicol. Lorsque Me Raymond Blet (avocat de l'association nationale des anciens combattants) lui demande quel était son pseudonyme et son numéro d'immatriculation " indispensables pour transmettre des informations ", Maurice Papon est à bout d'arguments : " Je n'y figure pas, pour des conditions de super-sécurité ! ". Un sourire se lit sur de nombreuses lèvres.
Mardi, trois témoins dont le fils de Gustave Souillac et Alain Perpezat, le liquidateur du réseau, doivent témoigner.
L'audience reprend à 13 h 30.
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