René Panaras a témoigné. (Crédit M. Lacroix)
René Panaras a témoigné pour ses grands-parents. Esther Fogiel pour sa grand-mère et son petit-frère
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 15 janvier. Quarante huitième journée d'audience. Contrairement à de précédentes audiences, les interventions du procureur général et des parties civiles sur la rafle et le convoi d'octobre 1942 sont extrêmement brèves. Les remarques du président ont été entendues.
A l'aide de quelques documents, le procureur général Henri Desclaux démontre qu'une personne à Arès et treize autres à Libourne ont été arrêtées les 21 et le 22 octobre par les gendarmes et les policiers, sur réquisition du préfet. Le rapport du commissaire de Libourne est même envoyé au service des questions juives. Maurice Papon se " borne à constater " la réalité de ces documents tout en refusant " l'équation : Préfecture égale Papon ".
Au bout d'un petit quart d'heure, le procureur général conclut que " l'ensemble des éléments recueillis, les réponses de l'accusé, ses contractions flagrantes, la préparation du convoi et les arrestations de juifs français ne laissent aucun doute au ministère public quant à la culpabilité de Maurice Papon ".
" C'est un peu tôt pour retracer le cadre général des opérations relatives au convoi du 26 octobre 1942 " réplique vivement l'accusé qui assure que " reconstituer une réalité par rapport à des documents épars, c'est presque de l'archéologie ". Il remarque surtout que dans ce dossier, " on ne trouve qu'une fois la signature de Maurice Papon, le compte rendu qu'il adresse, au nom du préfet régional, à Paris pour rendre compte de l'opération ".
Le procureur général se relève : " Le service des questions juives est sous votre autorité, Garat est votre intermédiaire, mandaté auprès des Allemands, dépositaire de vos instructions, il est votre subordonné fidèle et loyal dont vous tirez les ficelles, soumis à votre pleine et entière autorité. Pierre Garat, c'est Maurice Papon ".
Arno Klarsfeld, seul avocat des parties civiles à interroger l'accusé, assure, un exemplaire de la Petite Gironde à la main, que le 21 octobre 1942, Maurice Sabatier était à Paris et n'a pas pu signer la réquisition pour l'arrestation de 13 juifs à Libourne : " Si ce n'est pas Maurice Sabatier, c'est Maurice Papon ". " Le syllogisme est d'autant plus fort qu'il est faux " s'énerve Maurice Papon.
Il s'apaise lorsque Me Varaut se félicite de trouver au dossier, grâce à l'enquête diligentée après guerre sur l'arrestation du père et de la soeur de Michel Slitinsky le 19 octobre au soir, " la preuve de la contrainte allemande. c'est une opération ordonnée, préparée, encadrée et contrôlée par les SS et les feldgendarmes ". Il regrette d'ailleurs qu'en 1947, Garat qui était chef de cabinet au gouvernement général d'Alger n'ait pas été interrogé sur les accusations alors portées contre lui par ces policiers. Et retenues aujourd'hui contre Maurice Papon : " Ce qui est intéressant, c'était le procès d'un fonctionnaire de Vichy, ancien préfet du général de Gaulle " raille l'avocat. Murmure dans la salle d'audience.
En conclusion, Me Varaut rappelle une nouvelle fois les propres écrits du procureur général dans son réquisitoire définitif de décembre 1995 : " Ce qui relève du simple compte rendu à l'autorité hiérarchique ne saurait être à l'origine d'une quelconque responsabilité dès lors que le compte rendu constate une narration purement objective sur une opération étrangère à son auteur ".
A la reprise de l'audience, René Panaras, 64 ans, élégant dans son costume gris pâle, ingénieur chimiste, ancien cadre supérieur à Elf Aquitaine, s'avance vers la barre. Il est partie civile pour ses grands parents, Timée et Samuel Geller, arrêtés le 19 octobre 1940, transférés le 26 octobre à Drancy et déportés le 6 novembre à Auschwitz.
" La première fois que j'ai vu écrit le nom d'Auschwitz, c'était en 1965 sur l'acte notarié lorsque nous avons vendu la maison de mes grands parents, cours de la Somme à Bordeaux. Il y avait un compte rendu du tribunal administratif de Bordeaux : " Morts à Auschwtiz sans laisser de testament ".
Originaires de Lettonie, les grands parents de René Panaras étaient arrivés à Bordeaux en 1916, où Samuel s'était installé comme tailleur. En 1942, ils avaient recueilli leur petit fils dont le père était prisonnier de guerre et la mère venait de mourir. La petite soeur de René a été cachée jusqu'à la fin de la guerre dans une famille près de Bordeaux.
Le petit garçon de 8 ans n'a rien oublié de 1942 " l'année de l'angoisse ", des bagarres à l'école où on le traitait de " sale youpin " et des instituteurs qui le protégeaient, du panneau " interdit aux chiens et aux juifs " sur la vitrine d'un grand café bordelais ou de la coiffeuse qui avait refusé de faire un shampooing à sa tante.
En octobre 1942, sa tante lui a fait passer la ligne de démarcation près de Mont de Marsan et ils se sont réfugiés à Pau. Mais les grands parents n'ont pas voulu suivre : " Nous sommes trop vieux, il ne peut rien nous arriver ". Ils avaient 58 et 60 ans. René Panaras se tait un instant. Son père a été libéré le 1er mai 1945. Sur la photo de mariage d'une tante de René Panaras, que le président fait projeter sur les écrans, beaucoup d'invités de la noce ne sont jamais revenus des camps.
Esther Fogiel, 64 ans, qui a déjà témoigné pour ses parents, arrêtés et déportés en juillet 1942, évoque aujourd'hui la mémoire de sa grand-mère Anna Rawdin, 62 ans, et de son petit frère, Bernard, 6 ans, raflés et déportés en octobre 1942. " C'était un petit garçon intelligent, joueur... Je suis toujours très sensible au prénom de Bernard. Quand il m'arrive de croiser des enfants en bas âge, je me dis que ce sont des enfants comme ça qui ont été exterminés ". Un gamin espiègle, un gros nounours sur les genoux, apparaît sur les écrans.
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