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Marc Robert, avocat général. Ses questions ont déstabilisé l’accusé (Crédit Daniel)

Un instant déstabilisé, l'accusé se reprend

En dépit d'éléments nouveaux apportés par l'accusation Maurice Papon nie toujours avoir eu connaissance du sort des Juifs

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Mardi 4 novembre. Dix septième jour d'audience. Exceptionnellement,l'audience commence à 10 heures. Le président entre immédiatement dans la vif du sujet : « Je dois à la vérité de dire que figure au dossier un des quatre documents versés par Maurice Papon hier à l'audience ». Il s'agit de la lettre adressée le 25 juin 1941 par l'Amiral Darlan au ministre de l'Intérieur pour signaler la comportement de Maurice Papon.
« Par contre, poursuit le président, j'ai parcouru rapidement ce matin les divers interrogatoires de Maurice Papon et je n'ai pas trouvé d'explications spécifiques sur le fait qu'il ait servi de boite à lettres entre la zone occupée et la zone libre ». La veille, en effet, l'accusé a affirmé avoir accompli ses premiers actes de résistance, en 1941, en passant du courrier clandestin entre les deux zones.
Le président Jean-Louis Castagnède interroge alors Maurice Papon sur les conditions dans lesquelles il a accepté le poste de secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, en mai 1944. « Il y a trois raisons, répond avec assurance Maurice Papon. La première, c'est à la demande de Maurice Sabatier (nommé préfet régional de Bordeaux) avec lequel je travaillais depuis fin 1935. Il y avait entre nous des liens affectifs, en plus d'une habitude intellectuelle de travailler ensemble. Deuxièmement, les conditions de Vichy étaient familialement abominables, nous vivions dans un climat lourd, délétère et d'espionnage qui devenait irrespirable pour quelqu'un de normal. Troisièmement, j'avais pris des positions dangereuses, j'étais repéré et mieux valait que je changeasse d'air ».

Démissionner ou se battre

Au moment d'interroger à son tour l'accusé, l'avocat général Marc Robert communique plusieurs documents retrouvés aux archives la semaine dernière. Sur le moment, ces documents suscitent moins d'intérêt que ceux de Maurice Papon la veille.
Marc Robert commence à interroger Maurice Papon sur l'organisation de la Direction des affaires départementales et communales puis du Secrétariat général de l'administration où, entre novembre 1940 et mai 1942, il a été successivement chef puis directeur de cabinet de Maurice Sabatier. L'accusé répond volontiers à ces questions qui apparaissent « techniques ».
Petit à petit, l'avocat général affine ses questions sur les liens avec le commissariat général aux Questions juives, et surtout la connaissance que pouvait avoir Maurice Papon des lois antisémites et des multiples textes qui transitaient par son bureau de haut fonctionnaire au Ministère de l'Intérieur.
Tout en feuilletant ces documents dont il s'étonne qu'on les verse si tard « alors que l'instruction a duré 15 ans », Maurice Papon s'insurge : « Si on cherche à impliquer ma responsabilité dans l'application de ces lois, on perd son temps, je n'ai jamais participé a ces lois d'exception, je ne peux que reconnaitre leur existence, exprimer mon étonnement et affirmer que ma responsabilité personnelle devrait être demontrée ». Derrière une apparente courtoisie, Maurice Papon a parfois des réparties cinglantes.
Il explose même lorsque Marc Robert, poursuivant son interrogatoire méticuleux, évoque la circulaire adressée en septembre 1941 par Maurice Sabatier aux préfets, sur l'application du deuxième statut des Juifs de juin 1941 : « L'accusé se souvient d'une chose. Au cabinet de Maurice Sabatier avant guerre, il existait un fonctionnaire que j'avais recruté, Maurice Levy. Après la guerre, nous nous sommes retrouvés à Vichy, Maurice Levy est resté le collaborateur de Maurice Sabatier pendant toute la durée de ses fonctions au secrétariat général de l'administration. Maurice Sabatier a été attaqué pour avoir un Juif dans son cabinet ».
Retrouvant son calme, il répète quelques instants plus tard : « Je n'adhère pas à Vichy pour deux raisons. La première, pour une raison idéologique que j'ai déjà exprimée hier. La deuxième, j'étais de ceux qui pensaient que les alliés gagneraient la guerre. Tout ce qui procède de l'administration de Vichy était pour moi un épiphénomène qui n'avait pas prise sur la réalité et sur l'avenir ».
Lorsque Marc Robert aborde la nomination de Maurice Papon à Bordeaux, en mai 1944, il finit de pousser l'accusé dans ses derniers retranchements. Maurice Papon essaie pourtant de reprendre l'avantage : « M. Le président, cette question est bienvenue. Il y avait deux attitudes. Démissionner ou se battre sur le champ de bataille où nous avait placé le destin. Démissionner aurait été le plus facile mais ce n'était pas dans la culture que j'avais reçue. C'était donc se battre pour chacun et pour tous. J'ai préféré salir mes mains, c'est pour ça que je suis ici aujourd'hui. A ce procès, je fais face, j'ai conscience de m'être battu à Bordeaux pour des gens qui appelaient la commisération ».
Maurice Papon nie ainsi avoir bénéficié d'une promotion en venant à Bordeaux. Pourtant, l'avocat général relève que le poste de secrétaire général figurait parmi les souhaits de carrière exprimé un mois plus tôt par Maurice Papon, par ailleurs excellement noté. « Je n'ai aucune réponse à faire » se résigne presque Maurice Papon du fond de son fauteuil.
Cet interrogatoire dure depuis deux heures et demi. Les avocats des parties civiles et de la défense attendront une autre audience pour interroger à leur tour l'accusé. L'après-midi, en effet, la cour doit entendre trois historiens.

La bourgeoisie bordelaise

Philippe Burrin, 45 ans, professeur d'histoire à Genève expose en trois volets l'attitude de l'administration française dans le cadre de la politique de collaboration du gouvernement de Vichy. (Lire ci-dessous).
Sa déposition suscite les « vifs remerciements » du procureur général Henri Desclaux et de nombreuses questions des avocats des parties civiles. Mais c'est à Maurice Papon que Me Levy demande s'il « peut encore prétendre que les enfants et les vieillards étaient déportés pour travailler » ou s'il « nie toujours avoir eu connaissance de la destination finale des Juifs ».
« Je n'en savais pas plus que les Juifs, se défend encore l'accusé. On pouvait se douter d'un sort cruel mais pas de l'abominable extermination, à aucun moment ». Il ajoute : « Si à l'époque, on avait été ouvert sur l'anéantissement, les choses auraient changé tout de suite, l'administration n'aurait pas suivi les ordres donnés pour les arrestations ».
Philippe Burrin est à la barre depuis trois heures. Le président suspend l'audience. A la reprise, la cour entend René Rémond, 79 ans, professeur d'université à la retraite et président de la Fondation nationale des sciences politiques qui, en une trentaine de minutes, présente à son tour avec rigueur et concision l'origine du régime de Vichy, la politique d'exclusion, l'administration et l'esprit public.
« Qui savait et que savait-on » interroge une nouvelle fois le président. « La population moyenne ne le savait pas, assure René Rémond. On parlait de déportation, on pensait à un régime plus dur que la captivité, je me rappelle le choc de la libération des camps de Buchenwald et Dachau. Jusque là, on ne soupçonnait pas ». Et les responsables ? « La plupart ne savent pas encore en 42, probablement pas en 43, peut-être pas en 44 ».
Jean Lacouture, 75 ans, écrivain et bordelais, est le dernier témoin : « Je ne viens pas en donneur de leçon. Pendant la guerre, je suis resté dans l'inaction que je regrette aujourd'hui ». Il assure que « les habitudes des familles des Chartrons et le bruit des verres qui s'entrechoquaient étaient moins allemands qu'anglais ». Il affirme aussi que le soir, la bourgeoisie bordelaise « ne s'occupait pas de manger ou de sortir mais d'écouter une certaine radio ».
Maurice Papon n'a aucune observation à faire. Il est tassé dans son fauteuil. Il est 19 heures 20. Le président suspend cette très longue audience.
Les débats reprennent aujourd'hui à 13 h 30.


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