Terminus clandestin dans la Creuse - 20/10/1997

Des centaines de juifs, assignés à résidence dans les Basses-Pyrénées, furent convoyés vers la Creuse au lieu de Drancy. Un rescapé pense que le préfet leur sauva la vie.

Christian AGUERRE

Le 18 janvier 1943, plusieurs centaines de juifs étrangers et apatrides, hommes et femmes, enfants, personnes âgées, montent dans des autocars sur la place des Eaux-Bonnes, dans les Basses-Pyrénées. On les emmène jusqu'à la gare de Laruns. Un train les attend avec, sur chaque wagon, deux gendarmes à chaque extrémité.
Ce train, au bout de trois jours et trois nuits de voyage, va s'arrêter à Guéret, dans la Creuse. Toutes ces familles, accueillies par la Croix-Rouge et les maires de plusieurs villages, seront ensuite disséminées dans l'ensemble du département. Et sauvées, hormis celles que les Allemands retrouveront au cours des perquisitions menées pendant tout le reste de l'Occupation.
Ce convoi aura été l'un des très rares, sinon le seul dans la région, à ne pas avoir pris la direction de Drancy et, au-delà, d'Auschwitz. Là où des fonctionnaires préfectoraux appliquaient les ordres, à Pau et à Guéret, des préfets ou un collaborateur de confiance faisaient tout pour sauver des vies.
A Guéret, le préfet Vié, arrêté, est mort en déportation. A Pau, le préfet Paul-Emile Grimaud a été déporté en juin 1944 à Dachau. Il en est revenu en mai 1945 (lire ci-contre).

Regroupement aux Eaux-Bonnes

Un homme, Charles Blumenfeld, essaie de savoir qui a pu ainsi lui sauver la vie, ainsi que celle de sa famille et des 300 ou 400 juifs qui se trouvaient dans le train de Laruns. Il avait 13 ans et en faisait partie.
Nous l'avons retrouvé à Paris. Il est persuadé que, à Pau, le préfet Grimaud ou le secrétaire général de la préfecture de l'époque, Paul Fabre, arrêté en même temps que son préfet, le 12 juin 1944, sont à l'origine de ce sauvetage.
Les Blumenfeld sont des juifs polonais apatrides, arrivés en France en 1928 avec leurs deux filles. En 1929, Charles naît à Paris et obtient la nationalité française, tout comme son frère, dix ans plus tard. En juin 1940, avec l'arrivée des troupes allemandes, la famille s'enfuit vers les Landes, puis Oloron, où elle est hébergée dans une maison.
" Pour nous, dès 1941, la menace la plus grave, c'était d'être enfermés au camp de Gurs. Après les républicains espagnols, ça a été au tour des juifs d'y être internés ", raconte Charles Blumenfeld. Et ça ne passa d'ailleurs pas loin le jour où sa mère, arrêtée par la milice, fut sauvée par la soeur aînée de Charles, Léa, accourue au poste : " Vous n'avez pas le droit de l'emmener, cria-t-elle. Les enfants sont français ! "
La même année, la famille est en fait envoyée par les autorités à Nay, qui sert de commune de regroupement des familles juives étrangères. Au moment des rafles de l'été 1942, celles du Vél'd'hiv et de Bordeaux, entre autres, plusieurs d'entre elles n'échapperont pas au camp de Gurs. Les Blumenfeld, eux, seront envoyés à l'automne aux Eaux-Bonnes : la station thermale est vide et ses appartements accueilleront les assignés à résidence. Ils seront jusqu'à 458 en décembre 1942.

Parole d'honneur

Léa est morte il y a quelques années. Le préfet Grimaud est décédé en 1974. Il n'y a plus aucun témoin, mais Charles Blumenfeld est persuadé que l'affaire du train de Laruns, le 18 janvier 1943, s'est jouée entre eux deux, ou avec un collaborateur direct du préfet. " Rendez-vous compte, dit-il. C'est l'époque où Vichy rafle les juifs et où l'Allemagne fait pression pour qu'il y ait toujours plus de convois qui s'en aillent vers Drancy (1).
" Tout était réuni pour que ce regroupement de juifs étrangers et apatrides j'étais l'un des rares enfants à avoir la nationalité française soit prioritairement acheminé vers l'Allemagne. Or il se retrouve dans la Creuse. Et quand on arrive sur les quais de la gare, on nous disperse, comme si on voulait nous mettre à l'abri. Il y a eu forcément une volonté de ne pas nous faire suivre le chemin qui paraissait tracé. "
Les seules choses dont ce rescapé des trains de la mort soit sûr, ce sont les paroles de Léa, après qu'elle soit revenue de plusieurs entretiens dans le cabinet du préfet, soit à la fin de 1942, soit au tout début de janvier : " Vous avez ma parole d'honneur. Ce train ne vous emmènera pas à Drancy. Il vous conduira dans la Creuse ", lui fut-il affirmé, ainsi qu'elle le prétendit en rentrant auprès des siens, aux Eaux-Bonnes, et que le confie aujourd'hui son frère.
" Je ne sais pas, parce qu'elle ne nous l'a pas dit, de qui il s'agissait précisément. Mais ce que je sais, c'est qu'elle est allée plusieurs fois à la préfecture de Pau, afin d'intervenir pour des familles juives, et qu'elle a eu satisfaction auprès de celui qu'elle a rencontré ", affirme Charles Blumenfeld.
Et il ne lui déplaîrait pas que la distinction des " justes " soit attribuée à l'un de ces hommes de la préfectorale qui surent dire non, au prix de leur liberté, quand ce ne fut pas de leur vie. •

(1) En juin 1942, l'inspecteur général des camps ordonne de vider le camp, mais le projet ne fut pas mis à exécution, car le 18 juillet, le capitaine Dannecker, responsable pour toute la France de la section IVB 4 de la Gestapo (répression antijuive), arrive à Gurs. Dès août, il organise les déportations de la zone libre vers la zone occupée, en rassemblant les juifs à Gurs, avant de les envoyer à Auschwitz, via Drancy.


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