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Un observateur étranger particulièrement attentif, Adam Nossiter du New York Times (Crédit Daniel)

Regard d'un journaliste Américain - 09/02/1998

Pour cet ancien journaliste du New york Times, le procès est totalement irrationnel mais absolument nécessaire

Dominique RICHARD

Arno Klarsfeld arrive devant le palais de justice avec une décontraction dont on a du mal à dire si elle est feinte ou réelle. Comme à l'accoutumée, les micros se tendent pour saisir les dernières déclarations du trublion. Derrière la mêlée qui se forme autour de l'avocat, un homme à l'imperméable blanc et aux airs d'étudiant attardé dresse l'oreille. Est-ce que cette volée de phrases prononcées à l'emporte-pièce revêt une quelconque importance ?
Depuis l'automne, Adam Nossiter s'est installé à Bordeaux avec son épouse. Cet ancien journaliste du New-York Times, l'un des plus prestigieux quotidiens américains, n'est pas dépêché par le journal où il a travaillé. Ce dernier lui a seulement commandé un papier au début du procès Papon. Et ne lui a plus jamais fait signe depuis. Visiblement, la France de Vichy ne passionne pas grand monde outre Atlantique.

Travail de journaliste

Agé de 37 ans, Adam Nossiter est sous contrat avec un grand éditeur de la côte Est. Il y a quelques années, à la suite d'une grande enquête dans le sud des Etats-Unis, il avait publié un ouvrage sur l'impact qu'avait eu la campagne des droits civiques dans des états où les mentalités restent encore imprégnées du souvenir de la guerre de Sécession. La mémoire de l'Occupation dans l'Hexagone est le sujet de son prochain livre.
C'est la troisième fois qu'Adam Nossiter pose ses bagages chez les irréductibles Gaulois. Enfant, il avait suivi son père nommé correspondant du Washington Post à Paris. Bien plus tard, il était revenu pour le compte d'un bureau de presse qui l'avait recruté comme assistant. " Chez vous, j'aime bien la façon que vous avez de manipuler la langue, la façon aussi dont vous savez poser les grandes questions de moralité ".
Le procès de Maurice Papon n'accaparera pas plus de deux chapitres de son manuscrit. Mais il lui offre une grille de lecture pour décoder une période éminemment complexe. A la fréquentation assidue des archives et des bibliothèques, Adam Nossiter préfère les témoignages et les rencontres pour tenter d'analyser quel sens les Français accordent à ces années noires.

" Des gens ordinaires "

" Elles enflamment toujours les passions. C'est quelque chose de singulier. On sent la persistance d'un malaise à la difficulté éprouvée par certains d'évoquer ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont fait. Des gens ordinaires dans un pays hautement civilisé ont eu à faire face à des choix fondamentaux dans des circonstances dramatiques ".
Le débat oral devant la cour d'assises souffre de l'absence de témoins, du manque de documents et de la fragilité des mémoires. " Au premier regard, il paraît impossible de porter un jugement rationnel sur des faits aussi anciens. L'histoire change tous les jours, elle se recrée et se recompose sans qu'il soit possible de la figer ", convient Adam Nossiter.
Les perturbations occasionnées par les dissensions des parties civiles, l'évocation de la soumission des magistrats du parquet au pouvoir politique, les pressions médiatiques et la multiplication de questions redondantes et secondaires rendent encore plus malaisée la compréhension de ce qui était initialement présenté comme un simple devoir de justice.

" Complètement fou "

" Ce procès est complètement fou, totalement irrationnel mais nécessaire ", insiste Adam Nossiter. " Son plus grand intérêt, c'est de montrer comment un homme qui n'est pas un monstre, qui n'est pas antisémite et qui n'a pas fait preuve de zèle, a pu être impliqué dans un processus inhumain. Des fonctionnaires comme lui ont fait fonctionner la machine vraisemblablement avec dégoût mais ils l'ont fait fonctionner ".
En demandant la remise en liberté de Maurice Papon au début du procès, Me Varaut avait assuré à la cour que si tel était le cas, son client participerait activement aux débats. La promesse a été honorée. " Il nous fait ce grand cadeau de livrer son esprit. C'est fascinant et gênant à la fois. On comprend sa logique. On entre dans sa personnalité. Parfois, on se sent proche de lui. Il est très difficile de le haïr ", observe Nossiter.
La mise en lumière de cet aperçu psychologique représente à ses yeux un des acquis fondamentaux de ce marathon qui fait honneur à la France et à ses institutions judiciaires. " La peine n'a pas grande importance ", relève cet homme issu lui aussi d'une famille juive. Ce qui ne l'empêchera pas de demeurer à Bordeaux jusqu'au dernier jour.


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