A 85 ans, Marcelle Renouil se souvient très bien de la nuit où elle a été raflée. Arrêtée par des Allemands, elle a été l'une des rares personnes a être libérée de la synagogue, le 12 janvier 44. Souvenirs d'une "miraculée"
Dominique RICHARD
Dans sa petite chambre d'une maison de retraite du Bouscat, Marcelle Renouil arrive au terme d'une vie qui n'a pas toujours été rose. Amputée d'une jambe, marquée par les drames et la solitude, elle aura traversé ce siècle l'amertume au bord des lèvres. Et les difficultés du vieil homme aux prises avec la justice qu'elle aperçoit de temps à autre sur son écran télévision ne sont pas de nature à la rassérener.
« Je les ai toujours devant les yeux ! » Cinquante cinq après, il ne se passe pas un jour sans qu'elle ne revoie les quatre feldgendarmes venus dans la nuit du 10 au 11 janvier 44 frapper à sa porte. Il était 3 heures du matin lorsqu'ils ont fait irruption dans le logement de la rue Veyrines où elle habitait avec sa mère et sa soeur handicapée.
« J'étais en chemise de nuit et j'avais passé un manteau. Je me rappelle leur uniforme vert et leurs casquettes. Ceux-là n'étaient pas trop méchants. Ils ne parlaient pas français. Ils ont répété plusieurs fois : "malheur, grand malheur". Maman criait, moi aussi. J'ai dû les suivre, seule, avec ma couverture sous le bras. »
Marcelle Renouil est alors montée dans le camion militaire qui attendait au bas de l'immeuble. Le véhicule a sillonné le quartier de la Victoire. Certains des juifs figurant sur la liste ne résidaient plus à l'adresse indiquée. D'autres se sont retrouvés pris dans la nasse. A l'issue de ce périple, les personnes arrêtées ont été transférées à la caserne Boudet, rue de Pessac.
« On m'a mis dans une chambre où il y avait des châlits. J'ai retrouvé mes deux tantes, mes deux cousines germaines qui étaient pourtant baptisées, d'autres membres de ma famille. Il y avait aussi ma grand-mère. La pauvre ! Elle était aveugle. Ils l'ont bousculée. Elle s'est retrouvée à terre. Tout le monde pleurait. Le matin, on est parti à la synagogue. »
Des policiers français gardaient l'extérieur de l'édifice. A l'interieur, les Allemands faisaient règner la terreur. « Ils buvaient de l'alcool et hurlaient. Personne n'avait le droit de bouger. Les bébés avaient été regroupés sur des matelas jetés à même le sol. On nous menaçait à chaque instant. Une femme est devenue folle. »
« Ma cousine, Gilberte Moline, a été frappée d'un violent coup de crosse dans le ventre. Elle a dû être transportée à l'hôpital. Dans l'ambulance, c'est sous son matelas qu'une infirmière de la Croix-Rouge a dissimulé le petit Boris Cyrunilk. Elle avait réussi à soustraire ce petit garçon à la surveillance des Allemands. »
Le 12 janvier, Marcelle Renouil ne fera pas partie du convoi qui quittera la gare Saint-Jean en emmenant plusieurs centaines de juifs à Auschwitz, via Drancy. Lorsque la synagogue s'est vidée, elle est restée à l'intérieur avec trois ou quatre femmes de prisonniers de guerre. « Un fonctionnaire de la Préfecture qui était présent nous a lancé : ne bougez pas, ils en ont assez ! »
Elle n'a jamais revu les siens, n'a jamais su quelle avait été leur fin. Les avis de décès de sa grand-mère et de sa cousine qui lui ont été transmis semblent indiquer qu'elles sont mortes pendant le voyage. « Cet hiver-là, il faisait froid. Elles n'avaient rien à se mettre. Parfois, je me dis que j'aurais préféré être avec elles. »
Internée pendant plusieurs mois au camp de Mérignac, Marcelle Renouil touchera de près encore la camarde lors d'un bombardement. Au printemps, décochée depuis un appareil, une rafale de mitrailleuse déchire la couverture où elle était assise quelques secondes plus tôt. Aujourd'hui encore, elle ignore pourquoi on ne l'a pas forcée à montrer dans les derniers trains de la mort qui ont quitté Bordeaux.
Elargie quelques semaines avant la Libération, elle ira pointer tous les jours dans des bureaux situés dans les locaux de l'ancienne banque Molina, au bas du cours de l'Intendance. « Un jour où mon étoile jaune était dissimulée par un vêtement, un fonctionnaire français m'a apostrophée : "si vous voulez y revenir, ce sera vite fait. Alors ne le cachez pas !" » Les Allemands ou la police française ? Pour Marcelle Renouil, c'était du pareil au même. Dans l'imprimerie où elle travaillait de nuit, dans les rues de la ville, dans son quartier, elle se sentait mise à l'écart, épiée, rejetée, même si dans le tramway, à la vue de son étoile, certains voyageurs se levaient en cédant leur place respectueusement.
L'antisémitisme qu'elle lisait ou qu'elle imaginait dans le regard d'autrui accentuait sa solitude. Dès sa prime jeunesse, elle avait senti que les juifs n'étaient pas des gens comme les autres. « Mon père souffrant d'une maladie contagieuse, j'avais été placée dans un établissement catholique de La Réole. Un été, pendant la prière le soir, la soeur à cornette m'avait dit que j'irais en enfer ! »
Les juifs qui avaient de l'argent étaient partis depuis longtemps, les autres se terraient. La solidarité n'était qu'une belle idée. « Nous étions livrés à nous mêmes. Parce que nous étions français, nous pensions qu'il ne nous arriverait rien, qu'on ne serait pas pris. C'est ce que tout le monde disait », s'exclame Marcelle Renouil en haussant des épaules sur sa chaise. Puis elle pense à nouveau à sa grand mère et son regard se voile.
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