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Les étudiants de l'UNEF-ID dans l'amphithéâtre au nom discuté . (Crédit M. Lacroix)

Polémique à la fac de droit - 06/11/1997

Des étudiants demandent que soit débaptisé l'amphi Bonnard, ancien doyen et " maréchaliste "

Christophe LUCET

Avec sa barbiche et ses lunettes rondes, les rares portraits de Roger Bonnard dénotent le juriste austère. Dans la galerie des maîtres de l'école de droit de Bordeaux, cet élève du grand Léon Duguit -dont il développa la pensée- figure en très bonne place. Cette place éminente explique à elle seule pourquoi son nom fut choisi dans les années 60 pour baptiser un des amphithéâtres de la nouvelle fac de droit de Talence.
Son oeuvre considérable est toujours une référence incontournable pour qui s'intéresse au droit public en général, et au service public " à la française " en particulier. " Avec Duguit et le Parisien Gaston Jèze, Roger Bonnard est de ces juristes qui ont contribué à remplacer la notion de puissance publique par celle de service public, dont l'idée de solidarité sociale est la conséquence directe ", rappelle son lointain successeur Jean Du Bois de Gaudusson, prof de droit public et doyen actuel de la fac de droit de Bordeaux.

" Pétainisme effréné "

Aux yeux de la postérité, le juriste lot-et-garonnais (il était né à Marmande en 1878) a pourtant un gros défaut : il fut doyen de la fac de droit sous l'Occupation. Elu à l'automne de la défaite (le 28 septembre 1940), il le resta jusqu'au 18 janvier 1944, date où il mourut " épuisé à la suite du concours d'agrégation de droit public qu'il présidait ", note Marc Malherbe, auteur d'un livre sur la fac de droit de Bordeaux (1).
D'avoir assuré la direction de la fac pendant ces années noires - quand son siège de Pey Berland était occupé par les Allemands- ne serait pas un handicap rédhibitoire pour sa mémoire si Bonnard ne s'était signalé par des écrits d'un " maréchalisme " plutôt véhément. C'est l'avis des étudiants de l'UNEF-ID, qui, en plein procès Papon, ont choisi de relancer la polémique.
" Certes, les admirateurs de Pétain ne manquaient pas à l'époque, mais le pétainisme de Bonnard était effréné ", soutient Nicolas Mingand, responsable du syndicat étudiant à Bordeaux 4. Passe encore que le 4 octobre 1940, sous le choc de la défaite, le nouveau doyen qualifie les premiers messages du Maréchal " des plus vigoureuses et admirables leçons que jamais peut-être homme politique ait formulé ".

" Parti unique "

Mais d'autres écrits restent en travers de la gorge des étudiants de 1997. Par exemple celui d'octobre 1941 rédigé lors de la reparution de la célèbre " Revue du droit public et de la science politique " dont Bonnard était directeur. Après avoir loué " la sagesse et la maîtrise de pensée incomparable et quasi surhumaine " de Pétain, opposé les " luttes partisanes " à " la politique nationale " seule capable à ses yeux de relever la France, et appelé de ses voeux un " parti unique national ", le doyen écrit : " à cette oeuvre de restauration, nous devons nous juristes de droit public (...) apporter une collaboration qui devra être ardente et passionnée ".
Il n'en faut pas davantage aux étudiants pour affirmer que Roger Bonnard -auteur en 1936 d'une étude sur " Le droit et l'Etat dans la doctrine nationale socialiste "- avait " épousé les thèses et le système politique du 3me Reich ", enterré la philosophie des Lumières, et jeté aux orties " le principe même de la démocratie ".

Homonymie malheureuse

Et l'UNEF-ID d'interroger : " faut-il vraiment qu'un amphi de notre université porte son nom ? A quand l'amphi Papon ? ". Une malheureuse homonymie explique en partie la hargne des étudiants : le doyen bordelais - ils en sont sûrs - serait le frère d'Abel Bonnard, le très collaborationniste ministre de l'Education de Vichy. " Totalement faux ", corrige l'avocat bordelais Bernard Noyer, sans doute le meilleur connaisseur de Roger Bonnard.
Qu'importe. Déjà responsable d'une campagne de tracts il y a deux ans sur le même thème, le syndicat se dit prêt à demander officiellement à la direction de l'université - par le truchement de ses élus au conseil d'administration - de débaptiser l'amphithéâtre. Réponse (provisoire) de Jean Du Bois de Gaudusson : " si la question est posée, elle sera instruite puis débattue ". Mais le doyen tempère l'ardeur des étudiants : " que Bonnard fût ce qu'on appelle un maréchaliste, c'est l'évidence même. Mais je n'ai pas connaissance qu'il ait eu des comportements répréhensibles sous l'Occupation... "

(1) " La faculté de droit de Bordeaux 1870-1970 " (Presses universitaires de Bordeaux, 1996).


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