Le procureur général Henri Desclaux en compagnie du procureur de la république Patrice Davost. Ils représentent le parquet de Bordeaux auquel l’assemblée générale des magistrats réclame des sanctions contre Arno Klarsfeld (Crédit Michel Lacroix)
228 juifs ont été arrêtés en Gironde dans la nuit du 10 au 11 janvier 1944 et 317 ont été déportés à Drancy, dans le convoi du 12 janvier 1944
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mercredi 4 février. Soixante et unième journée d'audience. Le procureur général a appris le matin par « Sud Ouest » (éditions de Gironde et site internet) qu'une troisième employée du service des questions juives est encore vivante. Il souhaite que Madeleine Gorge soit entendue devant la cour, comme l'ont été avant elle Christiane Hippolite et Marguerite Bonnecaze. Le président Jean-Louis Castagnède va faire entreprendre des recherches pour la retrouver... L'instruction se poursuit à l'audience.
Le précédent convoi du 30 décembre 1943 avec 136 déportés (le sixième reproché à Maurice Papon) a quitté Bordeaux depuis à peine onze jours, lorsqu'une nouvelle rafle est organisée dans la nuit du 10 au 11 janvier 1944. 228 juifs sont arrêtés en Gironde (135 à Bordeaux, 12 à Arcachon et 81 dans le reste du département). Le 12 janvier, le convoi qui quitte la gare Saint Jean amène 317 juifs à Drancy. Seize d'entre eux sont concernés par les plaintes des parties civiles : Maklouf Mouyal, 48 ans, Max et Erika Jacob, 54 et 46 ans, Selma et Sarah Jacob, 53 et 47 ans, Estreja et Louis Torres, 40 et 45 ans, et leurs huits enfants, Esther, 18 ans, Ernest, 17 ans, Marcel, 15 ans, Louise, 14 ans, Raymond, 9 ans, Rachel, 8 ans, Simone, 6 ans et Georges, 3 ans, ainsi que Robert Leon, 50 ans, déporté sur le mur de l'Atlantique et seul survivant.
Un document de quatre pages rédigé par Maurice Sabatier lui-même -« Pour l'histoire » selon Maurice Papon- relate dans le détail et à la minute près l'attitude des autorités françaises face aux instructions allemandes, tout au long de l'aprés-midi du 10 janvier 1944.
Maurice Sabatier est informé à 13 h 15. Tout en demandant à l'Intendant de police d'intervenir auprès des Allemands pour surseoir à ces arrestations, le préfet, Maurice Papon et l'Intendant Duchon alertent le gouvernement de Vichy. En fin de soirée, le secrétaire général au maintien de l'ordre Darnand, qui en décembre 1943 a remplacé le secrétaire général à la police René Bousquet, donne l'accord du gouvernement. Tout au plus, comme le souligne le président Castagnède, les autorités françaises ont-elles gagné une heure sur l'horaire prévu pour le début de la rafle qui débute à 21 h 05.
Un autre document, probablement d'origine allemande, détaille les instructions pour cette rafle, et indique notamment que les personnes devront être incarcérées à la caserne Boudet ou à la Synagogue. C'est la première fois que « les Juifs sont ainsi parqués dans leur temple », sous la surveillance des Allemands. « Fallait-il marquer par là la riposte au départ du Grand Rabbin? » s'interroge Maurice Papon qui pense pourtant que cette rafle n'est pas une conséquence de la fuite de Joseph Cohen, le 17 décembre 1943.
Dans le rapport qu'il adresse le 11 janvier 1944 au préfet régional Sabatier, l'Intendant de police mentionne un seul incident à Arcachon, la tentative de suicide d'un mutilé de 14-18, agé de 48 ans.
Une fois encore, le président voudrait savoir qui a fourni les listes d'arrestations. Maurice Papon hésite un peu avant d'affirmer que les listes ont du être remises par la SEC (police des questions juives) aux Allemands qui les ont, à leur tour, remises à l'Intendant de police. Il en veut d'ailleurs pour preuve le rapport du 14 janvier 1944 du commandant de gendarmerie à l'Intendant de police, où il est mentionné que les listes ont été adressées le 11 janvier (lendemain de la rafle) au secrétaire général de la préfecture. « Si le service des questions juives avait eu ces listes, nous n'aurions pas eu besoin de les réclamer. C'est un constat d'évidence » résume Maurice Papon, qui ajoute à l'adresse du président : « Je fais comme vous, parfois, des déductions ».
A la demande de Me Varaut, le président évoque en fin d'audience une note du 8 mars 1944 de Jacques Dubarry, chef du service des questions juives, qui affirme que les listes pour la rafle du 10 janvier n'ont pu être fournies ni par la Felkommandatur (les siennes sont vieilles de trois ans), ni par la préfecture (qui n'a pas répondu à une demande du SD le 16 décembre 1943), mais uniquement par la SEC. Le président Castagnède relève cependant des inexactitudes dans les arguments de Jacques Dubarry.
Le lendemain de la rafle, le préfet Sabatier rend compte à son tour des arrestations au gouvernement de Vichy. Il écrit, en conclusion, que « la police d'Etat perdra un peu du crédit dont elle jouissait auprès de la population, hostile à toute action menée contre des personnes n'ayant commis aucun délit », que la police a participé « à contrecoeur » et que cette « mesure sans précédent a soulevé un émotion vive à Bordeaux » où « l'ordre et le calme ont toujours régné ».
« Cela reflète en termes directs et humains la situation vécue à partir des injonctions allemandes jusqu'au départ du convoi » assure Maurice Papon qui conclut : « On constatera que je reste étranger à cette opération ».
Aujourd'hui, la cour évoque la formation du convoi du 12 janvier 1944.
L'audience reprend à 13 h 30.
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