Herz Librach, le neveu de Léon sera entendu aujourd’hui mercredi (Crédit AFP)
Maurice Papon n'a pu qu'admettre avoir signé l'ordre de transfert de Léon Librach à Mérignac puis à Drancy
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Mardi 9 décembre. Vingt neuvième journée d'audience. Une nouvelle fois, Me Jean-Marc Varaut dépose des archives, une soixantaine de lettres -en allemand- tendant à démontrer que Maurice Papon n'avait aucune autorité sur le camp d'internement de Mérignac-Beaudésert. Le président s'étonne que des pièces arrivent au fur et à mesure des débats. D'autant qu'elle sont de nouveau largement commentées, au point que, pour la première fois, il coupe le micro d'Arno Klarsfeld : « A chaque début d'audience, sur un incident minime, chaque partie prend la parole et on rentre dans un jeu qui allonge inutilement les débats et retarde l'examen des faits ».
Le président Castagnède ajoute simplement qu'il convoquera un traducteur à la barre et recueillera alors les observations sur ces documents.
Une heure après, la cour aborde enfin le cas de Léon Librach, un jeune « tricotteur » de 26 ans, marié, sans enfant, né à Varsovie et naturalisé français en 1939, arrêté par les Allemands en franchissant la ligne de démarcation, transféré de la prison allemande du Fort du Hâ au camp de Mérignac le 26 juin 1942, puis au camp de Drancy le 8 juillet. Il a été déporté à Auschwitz le 18 septembre où il a été exterminé.
C'est le premier « crime contre l'humanité » reproché à Maurice Papon, plus particulièrement accusé d'une complicité d'arrestation, de séquestration et d'assassinat.
« Cette affaire Librach intervient au moment où je prends possession de mes fonctions de secrétaire général à la préfecture de la Gironde. J'avais eu un mois de juin douloureux entre la préfecture et le chevet de mon père » s'exonère Maurice Papon qui devine déjà que cette audience ne va pas lui être très favorable.
Le 9 juin 1942, les Allemands ont adressé au commissaire Poinsot l'ordre de transférer Léon Librach au camp de Drancy. Poinsot a transmis cet ordre à la préfecture, au troisième bureau de la première division, chargé des juifs étrangers alors même que Léon Librach était français. « Il y avait une erreur fondamentale -de la préfecture-, je dois le reconnaitre. Deux jours après mon arrivée, je n'étais pas en mesure humainement de contrôler ce qui se passait dans cette grande préfecture » tente d'expliquer Maurice Papon.
« Quelle suite donnez-vous à cet ordre? » poursuit le président sans laisser le moindre répit à l'accusé qu'il autorise cependant à demeurer assis. Maurice Papon est pris d'une quinte de toux. Il ne sait quoi répondre.
Le président projette alors différents documents qui se passent de commentaires. C'est d'abord l'ordre de la préfecture au commandant de gendarmerie de Bordeaux, daté du 25 juin 1942, d'arrêter quatre médecins juifs polonais et de transférer deux autres juifs dont Léon Librach du Fort du Hâ à Mérignac. Maurice Papon retrouve de l'assurance pour observer que la note signée « pour le préfet régional, le secrétaire général » ne porte pas son paraphe.
Par contre, la note du 27 juin adressé par la préfecture à l'Intendant de police, au sujet de l'arrestation de ces médecins juifs, est bel et bien signée Maurice Papon. « Le contrôle de cette affaire m'a littéralement échappé » balbutie l'accusé qui ne s'explique pas non plus pourquoi Léon Librach a été transféré à Mérignac, alors que les Allemands ne le demandaient pas. « Celà ne pouvait que lui servir, risque l'accusé... Une fois à Drancy, le sort en était jeté ». Mouvement de stuppeur dans la salle d'audience.
« Comment quitte-t-il Mérignac pour Drancy? » resserre Jean-Louis Castagnède. « Ce sont des faits qui s'inscrivent dans le brouillard » murmure presque l'accusé.
Le président projette deux autres pièces du dossier. Une première lettre du 6 juillet, également signée Maurice Papon et adressée au commandant de gendarmerie, décrit les conditions dans lesquelles Léon Librach et deux autres juifs, Victor Braun et Robert Goldenberg, devront être transférés le surlendemain à Drancy. La seconde lettre, toujours signée Maurice Papon, est adressée le même jour aux renseignements généraux pour retenir « trois places groupées dans le même wagon ains que des places nécessaires à l'escorte de deux gendarmes ». « Aucun incident à signaler » conclut un rapport de gendarmerie, daté du 10 juillet.
« Aviez-vous l'autorisation du préfet? » poursuit le président. « Celà allait de soi » répond machinalement Maurice Papon, accablé par cette succession de documents.
Pendant la suspension d'audience, il s'entretient longuement avec le jeune médecin attachée à sa surveillance médicale. A la reprise, interrogé par l'avocat général Marc Robert, il retrouve cependant un peu d'assurance comme chaque fois qu'il peut parler « en technicien » de son rôle de fonctionnaire.
« Personne n'a posé de question à la préfecture ? » s'inquiète Marc Robert. « C'était un acte allemand impératif. S'il n'était pas exécuté, nous nous exposions à des représailles. On ne pouvait pas demander à un fonctionnaire d'être un héros trois fois par jour ». « Et un préfet régional ou un secrétaire général? ». « C'est la victime expiatoire... Mon rôle était d'obéir et de saboter. J'aurais peut-être du saboter cette affaire » lâche Maurice Papon, les épaules voutées et la voix éraillée.
En fin d'audience, Herz Librach, le neveu de Léon, s'est avancé vers la barre mais la cour l'entendra aujourd'hui.
L'audience reprend à 13 h 30.
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