Michel Slitinsky sans triomphalisme (Crédit Sud-Ouest)
Dominique DE LAAGE
Le clan Klarsfeld a beau claironner sa victoire de turfistes, le véritable gagnant du procès Papon s'appelle Michel Slitinsky. Ce petit bonhomme de 72 ans, fils d'un boutiquier juif du quartier de Mériadeck à Bordeaux, ne s'est pas contenté de " réhabiliter les siens ". Ni même de couler l'insubmersible Maurice Papon, laissant le vieux carré gaulliste " interloqué ", selon le mot de Chaban.
Fort de son seul bagage d'inspecteur du travail, du haut de sa vie ordinaire, il a ébranlé ce qui était jusque-là considéré comme une certitude. Depuis cette semaine, l'honneur des fonctionnaires n'est plus forcément d'obéir. On n'a pas fini de gloser sur le sujet...
Ce qui frappe, pour l'heure, c'est la disproportion entre la modestie de l'auteur et l'ampleur de son oeuvre. Durant la plaidoirie fleuve de Me Varaut, Michel Slitinsky s'est ennuyé au point de succomber à quelques roupillons. En homme d'action, il repoussait le doute. Ponctuant la démonstration de son contradicteur de " pfff ", " ben voyons "... Et réservant forces et talent pour les médias qui, à chaque suspension, réclamaient sa réaction. A l'issue de la déclaration finale de Maurice Papon, on demanda du " Michel " comme jamais. En vieux routier, " Michel " s'appuya sur deux mots : " enfants " et " attention ". Le premier, Maurice Papon ne l'avait pas prononcé, et " Michel " le déplorait. Le second avait été ponctué du doigt raide de l'accusé et " Michel " regrettait que " Papon ne se le soit pas appliqué à lui-même, en 42 ". C'était bon, simple, efficace.
L'après-midi dans l'attente du verdict, tandis qu'il participait à la prière de la communauté autour du rabbin, sous l'oeil d'une caméra néerlandaise, il se laissa emporter par son élan. Commentant la cérémonie sur le vif, il expliqua qu'on était en train de " prier en hébreu pour les morts, les disparus, les déportés et surtout les enfants ". Un de ses amis lui glissa : " Michel, ce n'est pas de l'hébreu, c'est de l'araméen ". " Ah bon ? ", ponctua-t-il de sa voix douce... Les Néerlandais s'en contenteraient bien.
Car rien ne démonte Michel Slitinsky. Quand Me Varaut a conclu sa plaidoirie, il a crié : " Comédien ! ". Le président Castagnède a préféré ne pas l'entendre. Michel Slitinsky avait-il été à ce point outré par la défense ? " Oh ben merde ! Je voulais conclure ", glissa-t-il comme un gamin. Humour et distance. Les armes de ce lutteur aux mains nues. Quand les autres parties civiles commençaient à douter, à l'approche du verdict, Michel Slitinsky repoussa le nuage de toutes ses forces. Continuant d'assurer les repas de sa femme bloquée dans sa chambre. Acheter le lait, le jambon. Et prenant le temps d'évoquer le procès avec elle. " Alors, le pleureur a fait son numéro ? Et s'il est acquitté, il va demander des dommages et intérêts ? ", s'inquiéta-t-elle. Pour toute réponse, Michel Slitinsky sourit : " Si c'est cela, il va falloir jouer au Loto demain. " Puis contemplant ses deux chats, un noir, un gris : " Pour le verdict, il va me falloir deux bréviaires. Le gris et le noir... "
Car malgré tout, Michel Slitinsky a douté. Et pleuré à l'annonce du verdict. L'initiateur du plus long procès de l'histoire de France est revenu à sa vie quotidienne et à ses archives brouillonnes. Entouré du petit cercle de ses admirateurs qui, au sein même de la communauté, n'ont pas toujours été légion. Qu'importe ! L'époque est aux combattants acharnés.
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