Les médecins experts se sont prononcés pour une détention à l'hôpital. La cour rendra sa décision vendredi. En attendant, Maurice Papon passera sa troisième nuit en prison
BERNADETTE DUBOURG
Jeudi 9 octobre. Deuxième jour d'audience. Au tout début de la reprise, le président Jean-Louis Casta gnède a lu les observations des deux experts, le professeur Jean-Paul Broustet, chef de service à l'hôpital de cardiologie de Haut Levêque et le Dr Stéphane Chapenoire, médecin legiste, qui, à la demande de la cour d'assises, avaient examiné Maurice Papon le matin même à la maison d'arrêt de Gradignan où il est détenu depuis mardi soir.
Ces deux médecins ont constaté que Maurice Papon était sujet à des crises d'angine de poitrine qui pouvaient notamment se compliquer en oedème pulmonaire, que les conditions médicales de secours sont trés insuffisantes à la maison d'arrêt, ou encore qu'en plus de l'exiguïté de la chambre, le lit est inconfortable et étroit compte tenu de son état cardiaque.
Ils ont ainsi considéré que " du fait de la durée prévue du procès, de l'indéniable gravité de l'état cardiaque, du risque de complications inopinées, l'état du prévenu est compatible avec une incarcération uniquement dans un service de Cardiologie du Centre Hospitalier Régional pour toute la durée du procès, afin qu'il puisse bénéficier d'une surveillance médicale spécialisée quotidienne et de moyens de secours appropriés et disponibles à tout instant, en particulier la nuit où il décrit des manifestations angineuses ".
" Cette solution que j'ai esquissée prend en compte les exigences sanitaires et les motifs d'ordre public et de représentation en justice " a approuvé le procureur général Henri Desclaux qui a confirmé son opposition à toute remise en liberté.
Il a ainsi indiqué que dans l'hypothèse où la cour d'assises se prononcerait pour une détention à l'hôpital, il " appartiendra à l'administration pénitentiaire, en relation avec les autorités sanitaires et sous le contrôle du parquet général, de mettre en oeuvre cette hospitalisation dans un service cardiologique ". Les parties civiles n'ont fait aucune observation.
Par contre, Me Varaut estime que même l'hospitalisation n'est pas compatible avec une défense libre : " Il se trouverait dans une chambre, dans une situation de détenu, c'est à dire gardé, prisonnier, ne disposant que d'une très brève liberté, le temps de le visite de l'avocat qui n'aurait que quelques pièces du dossier ".
" Cette solution qui satisfait l'humanité, garantit le parquet général que Maurice Papon ne mourra pas en détention " a ironisé l'avocat. " Je demande à la cour de dire la droiture du droit, la justesse de la justice, je prie la cour avec insistance et abjuration d'ordonner sa mise en liberté, sous toute mesure de contrôle ou de protection qu'elle estimera essentielle " a-t-il prêché plus qu'il n'a plaidé.
Maurice Papon a écouté l'intervention de son avocat, les bras croisés, ou les mains sur ses genoux.
Souhaitez-vous rajouter quelque chose ? lui a demandé le président de la cour.
" Non, Monsieur le président " a simplement répondu Maurice Papon, prenant la peine de lever pour se rasseoir aussitôt.
Contrairement à ce qui était attendu, la cour (c'est à dire le président et les deux assesseurs) n'a pas rendu sa décision hier. Elle a pris le temps de la réflexion et rendra son arrêt cet après-midi, à la reprise de l'audience.
Au vu des débats, la cour pourrait choisir entre le maintien en détention de Maurice Papon, placé dans un service hospitalier de cardiologie, ou la remise en liberté sous contrôle judiciaire, avec assignation en milieu médical.
Toujours est-il qu'en attendant cette décision, Maurice Papon a passé hier soir sa troisième nuit consécutive en prison, au 6 ème étage de la maison d'arrêt de Gradignan.
A l'issue de cette première discussion qui a occupé la cour pendant une heure et demie, le procès n'a pas pour autant commencé.
Me Jean-Marc Varaut a en effet soulevé un second incident. Il a, ni plus ni moins, demandé à la cour d'interrompre ce " procès inéquitable " qui bafoue la convention européenne des droits de l'homme. Il évoque ainsi la disparition des témoins qui prive les débats de toute oralité, dénonce la durée excessive de la procédure débutée il y a bientôt 16 ans, observe que les juges et les jurés n'étaient pas nés au moment des faits, et affirme que la cour d'assises est incompétente pour juger celui qu'il appelle avec déférence " Monsieur le ministre ".
Comme le procureur général, la veille, l'avocat général Marc Robert (1) a vivement et séchement répondu aux observations de Jean- Marc Varaut, balayant d'ailleurs d'un simple revers de manche ses arguments : " J'ai peur qu'après s'être posé hier en accusé extraordinaire, Maurice Papon n'entende se poser aujourd'hui en victime expiatoire de ce procès. Nous ne saurions l'accepter car les victimes ce sont eux " a dit Marc Robert en désignant d'un geste les parties civiles dans la salle d'audience.
Pour démontrer, s'il en était encore besoin, que tout a été mis en oeeuvre pour que ce procès soit équitable, l'avocat général a rappelé qu'en huit ans d'instruction, de 1987 à 1996, il y a eu 164 transports aux archives, 6354 documents saisis, analysés et discutés, l'audition de 85 parties civiles, 95 témoins entendus à la demande de la défense, ou encore 15 longs interrogatoires de Maurice Papon.
" L'équité tient aussi dans ce procès " avec les 82 témoins cités par la défense, 29 par le ministère public et 21 par les parties civiles dont 13 historiens " pour permettre de restituer les faits dans leur contexte ".
" On retarde le moment d'aborder la seule chose qui est en cause ici, les faits commis entre juillet 1942 et mai 1944 " a regretté le bâtonnier Favreau (avocat de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen). Un sentiment que partagent sûrement les jurés, tirés au sort mercredi soir, et qui sont pour l'instant tenus à l'écart des débats.
D'un mot, Me Blet (association nationale des anciens combattants de la Résistance) a tenu à préciser que contrairement à ce qui était encore dit, Maurice Papon n'est pas accusé de complicité mais bien de " crimes contre l'humanité ".
Maurice Papon n'a pas voulu intervenir dans " ce débat hautement juridique ", tout au plus a-t-il promis de répondre plus tard sur son intention ou non d'exprimer des regrets aux victimes, comme il l'aurait manifesté dans une interview télévisée dont il a affirmé qu'elle avait été censurée.
La cour répondra sur cet indi dent le mercredi 15 octobre.
En fin d'audience, le président a commencé a faire l'appel des témoins afin de fixer le calendrier de l'audience. Il poursuivra cet appel vendredi.
Le procès reprend vendredi à 13 h 30.
(1) Fait unique dans ce procès, l'accusation est représentée par deux procureurs, le procureur général Henri Desclaux et l'avocat général Marc Robert qui siègent côte à côte et interviennent à tour de rôle.
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