Maurice Papon a répondu aux questions des parties civiles. (Crédit A.F.P.)
L'avocat général a longuement interrogé Maurice Papon sur les convois de 1943 et s'est heurté à la virulence de l'accusé
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Lundi 26 janvier. Cinquante cinquième journée d'audience. Le président a reporté l'audition du grand Rabbin de France Joseph Sitruk, prévue ce lundi, à mardi prochain 3 février, après l'examen de la rafle et du convoi de décembre 1943, qui devrait débuter dans le courant de cette semaine.
Pour l'heure, la cour s'intéresse encore au convoi du 25 novembre 1943, le cinquième reproché à Maurice Papon, sur lequel le président l'a d'ailleurs interrogé vendredi dernier. Aujourd'hui, la parole est d'abord à l'avocat général Marc Robert qui a organisé son intervention en trois points. Il s'intéresse en premier lieu au sort de Sabatino Schinazi, 50 ans, " le médecin des pauvres ", l'une des 86 victimes de ce convoi, déporté à Auschwitz le 7 décembre et mort à Dachau le 23 février 1945.
Sabatino Schinazi n'aurait jamais du être déporté. L'avocat général rappelle qu'il était de mère catholique, marié à une non-juive et avait 9 enfants, également considérés comme aryens (sa femme et ses enfants ont d'ailleurs obtenu leur radiation du fichier juif en avril 1943) et s'étonne qu'il n'ait pas été libéré du camp de Mérignac où il était détenu depuis juillet 1942.
" Les Allemands ont manipulé cette affaire dans des conditions qui nous échappent " répond Maurice Papon qui dément - comme cela est écrit dans l'arrêt de renvoi - avoir refusé de recevoir Mme Schinazi avant la déportation de son mari : " J'en trouve une preuve dans ses propres déclarations au procès Dehan. Elle n'a jamais prononcé mon nom. Pourtant en 1947, les souvenirs étaient encore frais ".
L'avocat général remonte ensuite le temps des treize mois qui séparent le dernier convoi reproché à Maurice Papon, le 26 octobre 1942, et celui de novembre 1943. Entre temps, deux convois sont partis de Bordeaux le 2 février 1943 avec 170 juifs et le 7 juin 1943 avec 36 juifs. Mais ils ne sont pas reprochés à Maurice Papon pour la seule raison qu'aucune partie civile n'a déposé plainte pour une des victimes de ces deux convois. Me Boulanger regrette d'ailleurs qu'au cours de l'instruction, le ministère public n'ait pas étendu ses réquisitions à l'ensemble des convois, tout en ajoutant " le passé c'est le passé ". " Cela n'aurait pas manqué de retarder l'instruction, ces nouveaux retards n'auraient été ni compris, ni admis par les victimes " se justifie Marc Robert.
Très vite, cependant, Me Varaut manifeste son opposition aux " questions à charge sur des faits qui ne lui sont pas reprochés ". L'avocat général assure qu'elles " peuvent être utilement débattues pour comprendre le fonctionnement et le mécanisme du service des questions juives ". Il évoque plus précisément un ordre de réquisition de gendarmes signé par Maurice Papon le 1er février 1943 pour escorter le convoi du lendemain. " Elle est illégale ou c'est une minute " réplique vivement Maurice Papon qui offre son profil gauche à l'avocat général, ne s'adressant qu'au président.
Me Varaut se lève alors et demande au président de lui donner acte de ce que l'avocat général interroge Maurice Papon sur des faits antérieurs à ceux actuellement évoqués (le convoi de novembre 1943) et sur un convoi qui n'est pas dans la saisine de la cour. La défense met cet argument de côté pour étayer un éventuel pourvoi en cassation.
Après des échanges confus avec les parties civiles, l'avocat général poursuit l'évocation de l'année 1943 avec l'arrestation et le transfert de quatre juifs hongrois en mars, la demande d'un fichier adressée par les SS à la préfecture en avril ou encore la visite de René Bousquet, secrétaire général de la police au ministère de l'Intérieur, à Bordeaux le 19 avril. " Expliquez-moi pourquoi l'auteur du ralliement de Vichy à la politique allemande anti-juive est passé à travers les mailles de la justice après la guerre? " interroge, virulent, Maurice Papon. " Pourquoi le ministère public a-t-il attendu 1993 pour prendre des réquisitions contre Bousquet ? " ajoute Me Varaut.
Après la suspension d'audience, Maurice Papon revient un instant sur cette année 1943 pour assurer " qu'à côté des injonctions allemandes, les balbutiements plus ou moins vicieux de Vichy, il y avait des gens qui préféraient se battre comme ils pouvaient pour sauver le maximum de personnes ".
L'avocat général en vient enfin au convoi de novembre 1943. " Il a été organisé directement par les autorités allemandes et l'Intendant de police " rappelle Maurice Papon qui déplore ainsi que " Jacques Dubarry - successeur de Pierre Garat au service des questions juives depuis août 1943 - ait été privé de la possibilité d'intervenir pour exempter des juifs ".
L'avocat général est persuadé de l'existence d'un premier projet de convoi, comme en témoignerait une liste dressée le 6 novembre par le directeur du camp de Mérignac, où figure déjà le nom de Sabatino Schinazi. " Pour les hypothèses, vous êtes plus fort que moi " raille l'accusé.
A l'instar du président, Me Alain Levy, partie civile pour la FNDIRP, veut comprendre ce qui a poussé trois détenus à tenter de se suicider au camp de Mérignac (l'un d'eux est mort) et cinq autres à s'évader avant Drancy : " Que savait-on du sort des juifs à cette époque ? ". " Je croyais comme les juifs eux-mêmes qu'il y avait des camps d'internement en Allemagne ou ailleurs, on supposait aussi des camps de travail " répète Maurice Papon. En cette fin d'audience, il ne dissimule plus son énervement. Il explose même lorsque Me Levy lit de nouveau un tract du parti communiste, un communiqué diffusé à la BBC, ou un télégramme de l'agence TASS à Moscou, datant de fin 1942 et début 1943 et évoquant la solution finale : " Je n'en ai jamais eu connaissance... Me Levy ne connaît pas l'Occupation, tant mieux pour lui, mais qu'il ne nous donne pas de leçon ". " Plus vous affirmez que vous ne connaissez pas, plus vous démontrez le contraire " conclut Me Levy.
D'autres avocats des parties civiles interrogeront Maurice Papon aujourd'hui, avant l'audition de Samuel Schinazi, partie civile en mémoire de son père.
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