La tension était perceptible au palais de justice. Récit de la dernière matinée d'un procès qui restera dans les annales.
Dominique RICHARD
Téléphone portable à l'oreille, un avocat bordelais longe les murs du palais en parlant à son interlocuteur de l'exposition qu'il se fera un plaisir de visiter " Mais qu'est ce que font tous ces gens ici ", s'exclame-t-il soudain en découvrant cent à deux personnes agglutinées devant les grilles ? Au dernier jour du procès, la foule est revenue. Quelques uns font le pied de grue depuis six heures du matin.
Dans le hall des pas perdus, l'ambiance a imperceptiblement changé. L'heure du dénouement est proche. La tension est apparente. Les journalistes qui avaient déserté le prétoire depuis de longs mois sont revenus. Les fonctionnaires chargés de délivrer les fameux badges d'accès ne peuvent plus faire face à la demande. Une greffière du tribunal qui souhaite assister à la dernière matinée est poliment éconduite." Vous n'aviez pas réservé ! "
Vingt minutes avant la reprise de l'audience, Me Jean Marc Varaut, l'avocat de Maurice Papon, fend le public d'un pas militaire. Il se dégage de sa personne une sérénité et un sérieux qui en imposent. Collés à ses basques, deux gardes du corps au regard sombre sont prêts à parer à toute éventualité. Un peu partout, la sécurité a été renforcée. Un double barrage de CRS filtre désormais l'accès à la salle vidéo où les débats sont retransmis en direct.
En attendant la reprise des débats, deux jeunes femmes instruisent, assises sur leurs chaises, le procès de deux représentants de la presse écrite. " Tu as entendu ce qu'ils disaient hier soir : si Papon est la, c'est qu'il est coupable ! C'est fou de condamner quelqu'un comme cela par avance ! "La transition avec la plaidoirie de Me Varaut est toute trouvée.
Solidement campé derrière la barre, le défenseur de l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde entame avec un soupçon de regret dans la voix la fin de sa plaidoirie. " Nous voilà réunis ensembles pour la dernière fois... " Le public est d'une attention extrême. Comme si l'issue de ce marathon judiciaire était suspendue aux lèvres de cet avocat rétif aux effets de manche.
Une fois n'est pas coutume, les avocats de parties civiles sont tous la. Les propos de Me Varaut suscitent des rictus sur le visage de Me Jacubowicz, le défenseur du consistoire. Son collègue Me Zaoui se prend souvent la tête dans les mains en entendant son contradicteur multiplier les références à des ouvrages démontrant que la Solution finale était le secret le mieux gardé de la guerre.
Assis sur sa chaise, Maurice Papon ne laisse transparaître aucun sentiment. Le coude posé sur sa tablette, il soutient son menton avec le pouce. Deux de ses autres doigts sont placés entre sa bouche et son nez, les deux derniers traversent sa joue. Son attention semble extrême au moment où son conseil termine en implorant les jurés de répondre non l'injustice que constituerait une condamnation.
Me Varaut a haussé à peine le ton en concluant. Il effectue quelques pas en arrière et baisse légèrement la tête comme s'il voulait esquisser un salut. A sa droite, Maurice Papon essuie consciencieusement ses lunettes avec un mouchoir. Pendant quelques secondes, personne ne rompt le silence. Lorsque le président Castagnède reprend la parole, il s'exprime avec une assurance moindre qu'à l'accoutumée. On le sent noué.
A l'extérieur du palais, l'association des fils et des filles de déportés occupe le devant la scène comme elle l'avait fait aux premiers jours du procès. Déployée, une banderole reprend une phrase extrait du discours prononcé par Jacques Chirac en 1 995 lors de la commémoration de la rafle du Veld'hiv. " Oui la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. "
Au micro, une femme d'un certain âge égrène les noms de ceux qui ne sont jamais revenus. Lors de l'énoncé de chaque patronyme, une rose jaune est jetée sur des pancartes tapissant le sol ou figurent les prénoms des enfants déportés. Ces fleurs forment une petite montagne que scrutent ceux à qui le service d'ordre refuse l'entrée. Plusieurs dizaines de personnes espèrent encore pouvoir assister aux dernières minutes du procès.
Le verdict est encore loin mais les fourgons et les cars de CRS viennent déjà se ranger devant les grilles. Les policiers établissent un dispositif mûri de longue date. Info ou intox ? Il se murmure déjà que si Maurice Papon est acquitté, il demandera à sortir par la grande porte ! On n'en est pas encore la !
Derrière les barrières métalliques, les avocats profitent de l'avant dernière suspension d'audience pour satisfaire les micros qui se tendent. Me Varaut et Me Jacubowicz se croisent et échangent un sourire. Les avocats bordelais venus en spectateur commentent la performance de leur confrère. Ils sont plutôt flatteurs à son égard. " Les parties civiles courent toujours après le but qu'elles ont encaissé d'entrée de jeu : la remise en liberté de Papon ",commente un familier du palais.
Soudain, la sonnerie qui annonce la reprise des débats retentit. C'est la ruée. Jean-Pierre Elkabach, redevenu simple reporter a visiblement du mal à faire la queue comme tout le monde. Il essaie de se faufiler pendant que d'autres journalistes s'en prennent aux policiers qui les contrôlent." On est tombé sur deux zélés ",s'exclame un chroniqueur judiciaire. L'homme en uniforme le regarde et réplique : " Ce n'est pas vous qui aurait des ennuis s'il se passe quelque chose ! "
Le dernier mot revient à Maurice Papon. La disparition de sa femme l'a dissuadé de s'expliquer longuement. Mais il lui reste suffisamment de pugnacité pour se défendre et tailler en pièces les médias, les parties civiles et le parquet général. Orgueilleux jusqu'au bout, il demande au jury de ne pas verser dans la demi mesure. La perpétuité ou l'acquittement. Selon lui, il n'y a pas d'autres alternatives.
En s'asseyant, il remercie le président qui lui demande pour la dernière fois s'il n'a plus rien à ajouter. Les jurés qui entourent les magistrats professionnels semblent perdus dans leurs pensées. Dans le hall des pas perdus, les supputations vont déjà bon train. Qui va voter pour la culpabilité ? qui va voter contre ? Certains habitués du palais ont déjà leur petite idée.
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