L'accusé a reconnu dans l'exposé de Marc-Olivier Baruch, encore un historien, la réalité de sa vie de secrétaire général à Bordeaux pendant l'occupation
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Mercredi 5 novembre. Dix huitième journée d'audience. Marc-Olivier Baruch, 40 ans, historien, est le seul témoin du jour. Silhouette mince, lunettes rondes du bon élève, pantalon de flanelle gris et blazer bleu marine, Marc Olivier Baruch précise : « Je suis historien mais je suis aussi fonctionnaire. Au bout de 12 à 13 ans dans l'administration, il m'est venu à l'idée de m'intéresser à l'histoire de cet Etat que je connaissais de l'intérieur, dans ce que cette histoire a de plus grave, l'administration entre 1940 et 1944 ».
Fin 1991, il a commencé sa thèse sur l'administration française pendant l'Occupation, sous la direction de Jean-Pierre Azema, à partir de 300 cartons des archives nationales, soit environ 20 000 documents. Sa déposition concerne précisèment « ce que le pouvoir attend de l'administration et comment l'administration a réagi ». Un exposé qu'il sépare en quatre parties chronologiques : la mise en place de l'administration de Vichy de l'été 40 au tout début de 41, l'époque Darlan jusqu'en avril 42, le retour de Laval jusqu'au printemps-été 43 puis la fin du régime jusqu'au début 44. (Lire ci-dessous).
Au fil de sa déposition, illustrée de nombreux exemples de fonctionnaires qui, selon les cas, ont collaboré ou résisté à l'Occupant, Olivier Baruch indique notamment que les préfets régionaux, créés en avril 41 « ont joué un rôle charnière dans le fonctionnement de l'Etat de Vichy ». Il les qualifie même de « maréchaux des départements », « véritables responsables politico-administratifs ».
Alors qu'il parle depuis une heure et qu'il aborde le troisième volet de son exposé, il promet « d'accélerer un peu ». Enfoncé dans son fauteuil de cuir noir, Maurice Papon écoute, attentif, dans cette attitude désormais familière où il appuie légèrement la tête sur les doigts de la main gauche, le bras droit replié sous l'autre ». Les jurés quant à eux prennent toujours de nombreuses notes sur les blocs rouges ouverts devant eux.
Marc Olivier Baruch assure que certains fonctionnaires ont fait de la résistance passive : « Rien n'est plus difficile que d'obliger des fonctionnaires à faire ce qu'ils ne veulent pas faire ». Sourire dans la salle d'audience. D'autres ont choisi de se mettre en marge ou de quitter le régime de Vichy, sans qu'il leur en coûte vraiment : « L'administration est bonne fille. Ceux qui ont eu le courage de se lever n'ont pas été sanctionnés, n'ont pas perdu leur gagne pain. Quelques uns ont même été recasés dans l'administration ».
Le 7 ème juré, une toute jeune femme, l'interroge sur le rôle et le pouvoir d'un secrétaire général de préfecture, comme le fut Maurice Papon à Bordeaux de juin 1942 à juillet 1944. « C'était un préfet-bis, il secondait le préfet, le remplaçait, c'était son bras droit ».
Sur une question de l'avocat général Marc Robert, Marc Olivier Baruch confirme que les préfets régionaux « choisissaient les collaborateurs dans lesquels ils avaient confiance et que leurs attributions étaient une question de personne ». « Les relations personnelles entre Maurice Sabatier et Maurice Papon étaient réelles, celà a forcèment joué dans la répartition des compétences » ajoute-t-il.
Sur question d'Arno Klarsfeld, cette fois-ci, Marc Olivier Baruch assure que sur les six préfectures dont il se souvient, « Bordeaux est le seul cas où le service des questions juives ne dépendait pas du préfet délégué », mais indique que « les délégations de signature n'étaient pas rares. ».
Comme aux autres historiens qui se sont succédé à cette barre, la question est posée de la connaissance que pouvaient avoir les fonctionnaires de l'extermination des juifs. « Certains ont su, ont pressenti. Si on se posait la question, on était en droit de s'inquiéter du sort qui les attendait. C'est ma conviction ».
Marc Olivier Baruch est à la barre depuis trois heures. Me Varaut, dans un geste d'impatience, regarde sa montre. Il s'emporte même contre Me Favreau qui, selon lui, « dénature la lecture d'un texte » sur les liens entre la préfecture régionale et l'intendant de police.
Il est un peu plus de 17 heures. Les avocats des parties civiles, tout comme Me Varaut, ont encore des questions à poser au témoin. Le président suspend l'audience quelques instants.
A la reprise, Me Zaoui souhaite interroger directement Maurice Papon qui ne s'est pas encore exprimé de la journée. Mais le président préfère que les avocats en terminent avec Marc Olivier Baruch.
« La défense n'interrogera pas longuement le témoin. Après 4 heures d'audition et prenant en compte la fatique de Maurice Papon, comme à chaque fois, je suis amené à réduire mes questions », raille Me Varaut. Il veut interpeler le témoin sur le fameux rapport d'expertise ordonné au tout début de la procédure par la prermier juge d'instrucion, un document annulé par la cour de cassation en 1987 mais qu'il a reversé au dossier de la chambre d'accusation sous la forme d'un opuscule qu'il a fait éditer.
L'occasion est trop belle pour les avocats des parties civiles. Ils s'insurgent, chacun leur tour, contre « cette manoeuvre ». Dans un débat qui échappe probablement aux jurés, le président, avec beaucoup de patience, explique que s'il est interdit de faire état de ce document, il n'a pas non plus les moyens d'empêcher quiconque d'enfreindre cette interdiction. Il prévient juste Me Varaut qu'il « encourt des poursuites ordonnales ».
« La défense est un devoir sacré qui l'emporte sur mes risques personnels » brave Me Varaut. M. Baruch attend patiemment qu'on s'intéresse de nouveau à lui. Lorsque Me Varaut critique sa méthodologie, il se défend avec virulence : « L'archive est le témoin numéro Un de l'activité administrative... J'ai le sentiment d'avoir décrit une réalité ».
De fait, Maurice Papon qui, en cette fin d 'audience, prend la parole pour l'unique fois de la journée, admet : « Dans l'ensemble, j'ai reconnu la réalité de ce que j'ai vécu, avec des nuances. J'ai surtout apprécié la part qu'il fait aux circonstances, à l'environnement, aux accidents (avec l'Occupant). Loin d'obéir à l'esprit de géométrie, il obéit dans son livre à l'esprit de finesse ».
Avec l'assurance qui confine parfois à l'arrogance, l'accusé donne surtout son point de vue sur le poste de secrétaire général qu'il occupait à Bordeaux : « Il n'est pas que la femme de ménage de la préfecture. Il est, d'après les textes, le chef des bureaux de la préfecture, le responsable de la bureaucratie et donc du travail des cinq divisions administratives. En plus il est sous préfet de l'arrondissement de Bordeaux ». Il est plus de 19 heures. Le président n'a pas eu le temps d'interroger Maurice Papon sur ses rsponsabilités à la préfecture de Bordeaux.
L'audience doit reprendre à 13 h 30.
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