Maurice Papon a toussé - au propre comme au figuré - au cours de l'interrogatoire conduit par l'avocat général Marc Robert (Crédit AFP)
Au terme du long interrogatoire de l'avocat général, l'accusé prétend que l'accusation s'est trompée « souvent » et a menti « parfois »
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 16 décembre. Trente quatrième journée d'audience. Dès l'installation de la cour, Me Arno Klarsfeld présente ses excuses au président Jean-Louis Castagnède pour des propos qu'il a tenus la veille, en fin d'audience. Le président avait refusé de diffuser les photos des parents de Georges Gheldmann et le jeune avocat s'était écrié : « Pour vous aussi, M. Le président, il y a des juifs intéressants et d'autres qui ne le sont pas ».
Cette réplique avait sidéré l'auditoire, consterné ses confrères et affecté le magistrat qui avait feint de n'en rien laisser paraitre. Aujourd'hui, il dit simplement : « Il s'agit de paroles outrageusement inacceptables, vos regrets viennent à point. Je ne sais pas si je saurais toujours prendre sur moi et attendre une nuit. Je n'ai rien à ajouter ».
Me Varaut revient ensuite sur les listes montrées la veille sur les écrans, et notamment celle où la mère de Georges Gheldmann était inscrite de nationalité polonaise alors qu'elle était hongroise. « Les listes ont été falsifiées pour gonfler les convois » s'étaient indignés les parties civiles. « Cette liste n'a pas été établie en 1942 mais en 1948, par la police judiciaire à la demande du juge Stienne qui instruisait les procès des collaborateurs » indique Me Varaut qui demande d'ailleurs que ce retraité, retiré à Bordeaux-Caudéran, soit entendu comme témoin. Il souhaite aussi, une nouvelle fois, que la cour entende le plus rapidement possible l'historien bordelais Michel Bergès.
Une polémique s'en suit sur l'origine des diverses listes qui figurent au dossier. Certaines ont pu être rédigées après les arrestations de juifs, d'autres avant le départ des déportés pour Drancy, d'autres encore quelques jours, voire quelques années plus tard, sous forme de récapitulatif.
« Le fait de s'interroger sur ces documents n'entraine pas de contestation sur le fait que ces personnes ont réellement été déportées. Il vaut mieux le dire » tranche le président.
L'avocat général retrouve alors la parole et poursuit l'interrogatoire de Maurice Papon, interrompu la veille avec la déposition de Georges Gheldmann. Marc Robert aborde justement « la réalisation des listes ». Il se réfère, tour à tour, à plusieurs documents. Comme cette note du 4 juillet 1942, adressée par le directeur du camp de Mérignac à Pierre Garat, chef du service des questions juives à la préfecture, qui énumère « les juifs dont le conjoint est aryen ». « L'intention de Garat était d'être à même de distinguer des juifs dont l'exonération était prévue par l'entente franco-allemande. C'était une manoeuvre bienfaisante » réplique Maurice Papon qui tousse et perd la voix. Ses propos sont parfois inaudibles.
L'accusé n'a, par contre, aucune explication à fournir sur les noms barrés ou les mentions manuscrites sur une « liste des juifs de nationalité étrangère » adressée au service des questions juives par le commissaire du V ème arrondissement. Sous le mot « contrôle », il y a cependant le paraphe de Pierre Garat. « Il y a de fortes présomptions pour penser que c'est Pierre Garat qui, comme le souhaitaient les Allemands, a établi les listes, pour le 6, puis ensuite le 16 juillet » conclut l'avocat général. « Comme vous le dites, c'est une présomption » précise l'accusé.
Plusieurs fois, déjà, Maurice Papon a mentionné des listes jointes aux deux rapports du commissaire Techoueyres des 4 et 10 juillet 1942. « C'est une pièce que nous versons au dossier » s'empresse Me Vuillemin. Elle est extraite du fameux « livre blanc » de Michel Bergès qui figurait à la première instruction. Il n'en faut pas davantage pour faire éclater une nouvelle polémique entre la défense et les parties civiles sur les pièces annulées.
« Si je laisse faire ainsi jusqu'au bout, je crains que la cour et son jury aient du mal à se déterminer » intervient le président qui s'étonne encore que, deux mois et demi après le début du procès, de nouvelles pièces continuent à apparaitre. « C'est hallucinant » lâche-t-il même.
Il est aussi question d'un rapport du commissaire de Libourne du 16 juillet 1942 au préfet de la Gironde (section des questions juives). « Il répond aux instructions de Techoueyres. C'est l'Intendant de police qui a fait l'opération, on le sait » persiste l'accusé, alors que l'avocat général affirme : « Non seulement, les listes d'arrestation ont été établies par le service des questions juives, mais les ordres sont partis de ce service ». Sur le procès-verbal d'une réunion à la préfecture, plusieurs mentions manuscrites indiquent que « l'affaire est réglée avec Garat ». « Ce doit être l'écriture de M. Duchon, l'intendant de police » pense Maurice Papon.
« Qu'avez-vous fait pendant la rafle ? » poursuit l'avocat général, après la suspension d'audience. « Moi ? J'ai observé, c'était une chose nouvelle qui tombait du ciel » répond l'accusé.
« Au soir du 18 juillet 1942, lorsque le convoi est parti, Quels enseignements tirez-vous de cette opération ? » persiste Marc Robert. « D'abord la tristesse... Puis la nécessité de gagner du temps par tous les moyens... Et j'ai jugé l'intendant de police, désigné pour faire cette opération odieuse ».
L'avocat général s'asseoit. Maurice Papon se lève : « A la suite de cet interrogatoire, j'ai un certain nombre de réflexions ». Le ton est plus assuré, la voix de nouveau claire : « Ces réflexions sont relatives à l'arrêt de renvoi où je constate des dissimulations, des occulations, des préjugés et des contre-sens... Je pourrais en dire beaucoup plus, je le ferai à chaque convoi. On voit des occultations, des vacuités, des erreurs et parfois, excusez le mot, des mensonges ».
Le procureur général Henri Desclaux réagit vivement : « Je ne peux pas laisser dire qu'il y a des erreurs volontaires dans l'arrêt de renvoi. L'instruction a été faite honnêtement. Celà, je ne le laisserai pas passer ». « Vous faites votre devoir » ironise l'accusé.
Aujourd'hui, c'est au tour des avocats des parties civiles d'interroger l'accusé sur la rafle du 16 juillet et le convoi du 18 juillet 1942.
L'audience reprend exceptionnellement à 14 heures.
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