Les réactions - 02/04/1998

Tour des réactions à Bordeaux et ailleurs

Elisabeth Guigou a estimé jeudi que le procès de Maurice Papon avait été " une très bonne chose " pour la France mais a refusé de commenter le verdict de la cour d'assises de la Gironde.
" C'est une très bonne chose pour notre pays que ce procès ait eu lieu et qu'il ait pu être mené à son terme ", a déclaré la ministre de la Justice à l'issue d'une réunion du gouvernement à Matignon.
" Je pense aussi que c'est une bonne chose que, à cette occasion, on ait pu à nouveau évoquer le souvenir des victimes, y compris pour celles qui restent en vie aujourd'hui (...) et que, également, des dizaines de milliers de jeunes, en particulier des lycéens, aient pu se pencher sur cette période de notre histoire ", a-t-elle ajouté.
" Sur la décision de justice, je ne souhaite pas faire de commentaire ", a-t-elle conclu. " Je pense que chacun, chaque citoyen, chaque citoyenne, en conscience, peut justement s'interroger, réfléchir, y compris également sur la question de la responsabilité individuelle de chacun dans des systèmes collectifs, et y compris par rapport à des ordres qui auront pu être donnés. " Le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, a précisé que le gouvernement ne jugeait pas " souhaitable " de commenter la condamnation à 10 ans de prison de l'ancien fonctionnaire de Vichy.

Henri Amouroux : " La justice et l'Histoire ne font pas bon ménage "

Henri Amouroux, écrivain et journaliste cité comme témoin lors du procès de Maurice Papon, interrogé jeudi après-midi par l'AFP, a estimé que le verdict de la Cour d'assises de Bordeaux montrait que " la justice et l'Histoire ne faisaient pas bon ménage ".
La condamnation à 10 ans de prison de l'ancien secrétaire général de la Préfecture de Gironde pour complicité de crime contre l'humanité n'a pas surpris M. Amouroux qui " ne croyait pas à l'acquittement ni à la condamnation à 20 ans ".
" Sans porter de jugement sur le verdict ", Henri Amouroux a relevé que Maurice Papon avait été " jugé par des hommes et des femmes qui n'avaient pas connu l'époque (...) la période était très complexe ". " Personnellement je ne crois pas que l'Histoire puisse être dite par la justice " a-t-il dit.
Selon Henri Amouroux, " il faudra attendre un peu de temps avant de savoir exactement ce qu'il restera de ce procès (...) il y a eu un côté émotionnel, parfaitement justifié, mais après, il y a la responsabilité du fonctionnaire ".
" C'est un immense problème ", a-t-il dit. Fallait-il qu'ils (ces fonctionnaires) partent, ou qu'ils donnent leur démission ? ils auraient été remplacés ". " Etait-ce mieux en Hollande où il n'y avait pas de régime de Vichy et ou 80% des Juifs sont morts ? " s'est-il interrogé.
Témoignant au début du procès fin octobre, Henri Amouroux, auteur de nombreux livres sur les Français et-l'Occupation, avait insisté sur " l'ignorance " dans laquelle était les Français de ce qui se passait autour d'eux et, en particulier, de " tout ce qui nous semble central aujourd'hui ".

Michel Bergès : " je l'aurais acquitté "

"Si j'avais été juré, je l'aurais acquitté. Le crime contre l'humanité suppose l'intention et l'adhésion à des mobiles idéologiques racistes. Cela n'a pas été établi. Maurice Papon ne fut ni un bourreau ni un complice des nazis. Parler de crime par complicité objective ou par indifférence, cela ne tient pas. A travers lui, c'est finalement le procès des jeunes fonctionnaires de la zone occupée qui a été fait. Cinquante-six ans après, nous savions tout. Eux, ne savaient rien. Ils étaient dans l'instant du drame, sous la contrainte et la menace allemandes. Laquelle n'était pas un simple décor... C'est lâche, facile et anachronique de juger des hommes cinquante-six ans après avec une grille morale n'ayant plus rien à voir avec le contexte de l'époque."

" Soulagement " du grand rabbin de Paris, David Messas

Le grand rabbin de Paris David Messas a dit son " soulagement " après la condamnation de Maurice Papon par la Cour d'assises de la Gironde: " je ne vous cache pas que j'étais extrêmement inquiet " d'un éventuel acquittement " étant donnée l'atmosphère politique actuelle ", a-t-il confié à l'AFP.
Le grand rabbin de Paris inscrit cette décision de justice dans une " suite d'événements " marquant " une prise de conscience générale de la catastrophe de la Shoah et des responsabilités " dans cette catastrophe: déclaration du président Jacques Chirac sur la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs, démarche de " repentance " des évêques français, document du Vatican sur la Shoah.
" Le symbole du mal a été exorcisé par ce procès ", a estimé David Messas qui a conclu: " Cela permet de regarder l'avenir avec plus d'optimisme ".

Jacques Chaban-Delmas: " ce jugement nous laisse un peu interloqué "

L'ancien Premier ministre et député-maire de Bordeaux Jacques Chaban-Delmas s'est dit jeudi " un peu interloqué " après le jugement rendu par la Cour d'Assises de la Gironde à l'encontre de Maurice Papon, tout en précisant " qu'un verdict doit s'enregistrer " et que " l'on doit s'y plier ".
Sur les ondes de Radio France Bordeaux Gironde, l'ancien maire de Bordeaux a estimé que " tout cela n'est pas réconfortant ". " On voit revenir à la surface une période pénible. Il n'est pas mauvais que les jeunes sachent en effet que l'Occupation de la France a été une chose horrible ", a-t-il ajouté.
" Il a fallu se battre avec acharnement pour libérer le pays. S'il n'y avait pas eu De Gaulle et la Résistance, la France aurait été menacée de disparaître après 20 siècles d'Histoire ", a-t-il souligné.
" Ce jugement nous laisse un peu interloqué mais nous n'avons pas le droit de le commenter et de le juger. On ne juge pas un jugement, on l'enregistre ", a-t-il conclu.

Me Jean-Marc Varaut, avocat de Maurice Papon : " une décision bâtarde "

" Je préfère de beaucoup m'adresser aux radios et à la presse écrite qu'aux télévisions qui ont relayé avec complaisance l'accusation. C'est une décision bâtarde : quatre convois écartés, la complicité d'assassinat non retenue mais une peine de dix ans ! Ce n'est pas une leçon de justice. Nous allons demander compte de ses propres arrêts à la Cour de cassation. Comment peut-on confondre un grand serviteur de l'Etat avec le milicien Touvier et le nazi Barbie ?"
" Lorsque les juges jugent l'Histoire, ils doivent se souvenir que l'Histoire les jugera. La cour a eu peur de quelque chose, peur de la frustration des parties civiles qui allument en ce moment des lampions. Mais ce ne sont pas les lampions de l'honneur et de la France. "

Me Gérard Boulanger, avocat des familles siégeant sur le banc des parties civiles : " Poignardés dans le dos ".

" On a oublié la complicité d'assassinat. Notre message n'est donc pas passé. Nous voulions réussir la réintégration pleine et entière de la communauté juive dans la nation par une décision sans équivoque. La tâche qui reste à accomplir est immense. C'est un jugement de Salomon. Nous le devons au Ministère public qui n'a jamais assumé ses responsabilités et à la malfaisance des Klarsfeld. Ils nous ont poignardé dans le dos. "

Me Michel Zaoui, avocat de l'association indépendante nationale des anciens déportés internés juifs et leurs familles : " Politiquement correct ".

" C'est une décision politiquement correcte. L'Histoire retiendra qu'un haut fonctionnaire de Vichy, ancien ministre de la Vème République a été condamné pour complicité de crime contre l'humanité. Dix ans, la peine est lourde si l'on observe qu'elle ne se réfère qu'à des faits d'arrestation et de séquestration. Mais l'aspect ennuyeux de cette décision, c'est qu'on peut interpréter cette décision en disant que Vichy n'a pas été complice de la Shoah. "
" La complicité criminelle de Vichy ne passe pas et ce n'est pas satisfaisant. Les hésitations et la frilosité du ministère public ont pesé lourd. Tantôt il retient trois convois, tantôt il en retient huit. Ces hésitations ont perturbé les jurés. Et en plus quand un avocat des parties civiles, Arno Klarsfeld pour ne pas le nommer affirme que Maurice Papon ne voulait pas déporter les juifs. "

Arno Klarsfeld, avocat des familles siégeant sur le banc des parties civiles : " Ce que nous voulions "

" Nous avons réussi à imposer ce que nous voulions. Les extrémistes réclamaient la perpétuité, ils ne l'ont pas eue. Comparer Maurice Papon à Klaus Barbie, c'était bête. Mais cela n'a pas été forcément facile de convaincre les jurés. Il était impensable de considérer que Maurice Papon avait agi avec préméditation. Il ne préméditait pas d'arrêter les enfants juifs avant que les Allemands le lui demandent. Mais quand ils le lui ont demandé, ils ont agi en connaissance de cause. "
" C'était un procès tourné vers l'avenir pour définir ce que devait être l'administration de demain. Elle ne doit pas être une administration comme celle de Maurice Papon, toujours prête à accomplir les pires ignominies du moment qu'elle se trouve couverte par les instructions de sa hiérarchie. L'administration de demain doit être une administration avec une conscience et avec une âme. "

Jean Pierre-Bloch, président d'honneur de la Licra

" C'est un bon jugement, à l'issue d'un procès qui aura été utile pour l'histoire. C'est Vichy qui a été condamné, et j'ai montré de façon définitive que " Papon résistant ", c'était une légende. Mes camarades de la résistance et moi-même avions pu craindre que le décès de sa femme allait peser sur le comportement des jurés. Mais dix ans, c'est un verdict équilibré. Il faut prendre en compte l'âge de Maurice Papon. "

Me Michel Touzet, avocat des parties civiles

" On a jugé un homme sous Vichy, je trouve cela très satisfaisant. Ma frustration concerne les quatre convois qui ont été écartés. Le regret que j'aurais est que le crime contre l'humanité, comme crime de bureau, de papier, n'ait pas été retenu. Pour nous, Papon était le patron. On l'a trop confondu avec l'homme de la rue ".

Me Raymond Blet, avocat de l'ANACR

" Je suis très amer que la complicité d'assassinat n'ait pas été retenue, mais satisfait qu'il soit condamné pour complicité de crimes contre l'humanité. La réponse aux questions posées aux jurés me semble plus importante que la peine ".

Joe Nordmann

" Je suis satisfait sans limite, sans restriction et sans réserve. Il y a cependant une disproportion entre la gravité des faits et la peine dérisoire ".


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