Pas de témoins aujourd'hui. L'accusé a été interrogé sur la période de l'épuration. (Crédit A.F.P.)
La cour a commencé à aborder le dernier volet du procès, l'épuration administrative à Bordeaux
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 26 février. Soixante quinzième journée d'audience. L'avocat général Marc Robert, Mes Boulanger et Touzet, déposent de nouveaux documents, retrouvés ces jours derniers aux archives nationales ou récupérés dans le premier dossier d'instruction.
Furieux de ces dépôts tardifs, à quelques jours de la fin des débats, Me Varaut y voit le signe d'une " débandade " de l'accusation et des parties civiles, devant l'évolution du procès. Maurice Papon ajoute un commentaire " zoologique " en comparant les parties adverses à des " mammifères de la catégorie spéciale des ruminants. Il y a un mécanisme : on ressort des aliments qui devraient être provisionnellement installés dans l'estomac ".
Plus d'une heure après le début de l'audience, le président commence à interroger Maurice Papon sur l'épuration administrative de Bordeaux en 1944, dernier volet des débats devant la cour d'assises.
Le 22 août 1944, Gaston Cusin, commissaire de la république de Bordeaux nommé par De Gaulle, signe un premier arrêté pour suspendre Maurice Papon de ses fonctions de secrétaire général de la préfecture. Le 23 août, il prend un nouvel arrêté pour le nommer Préfet des Landes. " Il voulait que j'ai le titre de préfet pour avoir l'autorité suffisante sur les préfets des trois départements " explique Maurice Papon. Le même jour, Cusin le nomme directeur de son cabinet. Le 23 octobre 1944, le général De Gaulle confirme la nomination de Maurice Papon au grade de préfet 3ème classe et son maintien à Bordeaux.
Le lendemain, le comité départemental de libération de Bordeaux émet un premier avis défavorable à la nomination de Maurice Papon qui " s'il ne semble pas avoir eu de sentiment de collaborateur, est apparu comme étroitement attaché à la politique de Pétain qu'il a défendue avec fidélité ". Le CDL demande d'ailleurs que le dossier de résistant de Maurice Papon lui soit communiqué afin de " juger s'il est digne de la confiance qui lui est accordée ".
" Entre temps, Delaunay a été nommé président et il commence à livrer une action dont je préfère parler en sa présence " assure Maurice Papon, énigmatique, avant d'ajouter : " Sinon, je fais son procès tout de suite ". Gabriel Delaunay est cité comme témoin, lundi, mais il a déjà fait parvenir un certificat médical à la cour.
Des réponses sont fournies par le cabinet de Gaston Cusin pour attester de la résistance de Maurice Papon et de son comportement anti-allemand. Maurice Papon se défend d'avoir rédigé ce document.
Le 13 novembre 1944, Gaston Cusin écrit cette fois-ci au Ministère de l'Intérieur pour expliquer les raisons de la confiance qu'il place en Maurice Papon, rencontré trois mois avant la Libération. Il parle notamment de son " esprit vif, sa culture, sa finesse diplomatique et sa fidélité " et souhaite le maintien de ce " collaborateur le plus sûr, le plus précieux ". Le 6 décembre 1944, la commission d'épuration du ministère propose effectivement son maintien à Bordeaux.
Mais le CDL ne renonce pas. Le 27 février 1945, il transmet un nouvel avis au ministère pour demander que " Papon soit déplacé avec rétroaction de fonction et de traitement ". Le 19 mars, cependant, le président du CDL écrit au ministère pour demander le renvoi du dossier, au motif, qu'il n'a pas été signé par les responsables.
" Ca s'explique d'une manière simple, c'est le fruit d'intrigues " résume Maurice Papon qui assure que du temps de la présidence de Delaunay, les rapports avec Cusin et encore plus avec lui étaient très difficiles : " Les entourloupettes nombreuses ont pris fin quand Delaunay, rassasié de ses appétits par une nomination de préfet, a quitté la présidence du CDL, et a été remplacé par Marcade, un vrai résistant, lui! ". Des rumeurs de désapprobation s'élèvent dans la salle d'audience.
Le président Castagnède remarque que, contrairement aux reproches formulés ouvertement contre Garat, le CDL n'a pas reproché à Maurice Papon son action contre les juifs. " Il faudra poser la question à Jean Morin (il doit témoigner lundi). Je n'ai rien de plus à dire pour aujourd'hui " répond Maurice Papon.
Le président voudrait aussi comprendre la position de Gaston Cusin face à l'épuration. " Il n'était pas particulièrement porté à l'indulgence, mais c'était un humaniste, le contraire d'un partisan étroit et vindicatif " assure Maurice Papon.
L'avocat général Marc Robert évoque cependant une note du BCRA qualifiant Maurice Papon de " fonctionnaire très dévoué au Maréchal Pétain ", et un rapport d'une mission militaire d'août 1944 le présentant comme " l'homme de son patron, Maurice Sabatier qui n'aime ni Vichy, ni les Allemands et ne s'y oppose pas franchement d'autant qu'il ne sait pas encore de quel côté va pencher la balance ".
Marc Robert s'étonne également de l'absence d'épuration et de procès, à la Libération, contre les responsables de la préfecture de Bordeaux, comme Pierre Garat, ancien patron du service des questions juives, nommé sous-préfet de Blaye. " Il y a eu le procès de Vichy, j'ai l'impression d'entendre maintenant le procès de l'épuration de Vichy " s'insurge Maurice Papon. " S'il n'y a pas eu de poursuites contre Maurice Papon, c'est qu'il n'y avait pas matière à poursuites " conclut Me Varaut.
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