Les coulisses de l'histoire - 09/01/1998

Tous les jours, six personnes participent à l'enregistrement "pour l'histoire" des audiences du procès

Annie LARRANETA

" Passe sur la 3 et recentre sur la cour... Je reviens sur la défense sur la 2, Me Klarsfeld sur la 3... " Philippe Labrune, réalisateur à Maximum Video (1), dialogue en permanence avec le technicien rivé à son écran tactile. Pas le temps d'avaler une gorgée d'eau. Ils travaillent " pour l'histoire " dans une petite salle étroite du Palais de Justice.
Ils sont six à travailler, réellement au coude à coude, à une oeuvre de mémoire : l'enregistrement des débats du procès de Maurice Papon et la retransmission simultanée dans la salle vidéo. Chacun a un rôle bien défini. Laurent Buschmeyer est second réalisateur et assistant, Nathalie Rousseau enregistre minute par minute le nom de ceux qui prennent la parole et note s'il s'agit d'un interrogatoire, d'une réponse, d'une observation. Pour lui souffler la nature des interventions consignées sur le PV, un magistrat ou un fonctionnaire du greffe (ils sont trois ou quatre à tourner) se tient en permanence à ses côtés.
Il est là aussi pour contrôler le respect du cahier des charges, très strict, ce que regrette parfois le public qui se trouve, lui, dans la salle vidéo et aimerait, de temps en temps, lire sur le visage de certains, l'effet des propos de quelques autres. La règle est inviolable, on ne peut filmer que les personnes qui parlent. Quand les échanges se font vifs, la tension est plus forte, il faut jouer, comme au ping-pong, avec les quatre cameras installées dans la salle d'audience, montées sur des tourelles motorisées et pilotées depuis la régie.

A l'affût

Quatre écrans permettent en permanence au réalisateur de voir quelle est la camera qu'il doit privilégier et l'image qui va être gardée. Il faut une belle vigilance puisqu'il doit souvent anticiper pour ne pas manquer les premières images de ceux qui vont parler. Seuls quelques moments de répit lui sont accordés quand, visiblement, le président Jean-Louis Castagnède va garder quelque temps la parole, quand un témoin vient faire sa déposition... Le reste du temps tout le monde est à l'affût. Luc Ricateau surveille le son devant un immense pupitre, le second réalisateur bondit à une petite sonnerie pour changer les cassettes ou incruste le nom des avocats qui prennent la parole...
Hier, M. Bernard Lataste, président de Chambre, à la retraite, était à son poste. " Un poste privilégié pour une observation attentive des images du procès. Ici, le magistrat est un auditeur de tous les propos exposés ou échangés entre les participants. Il faut dire que le fait de visionner et d'entendre ce procès dans son ensemble, en direct, permet au magistrat de saisir la portée exceptionnelle des drames qui sont évoqués... "

Indépendance

Ce magistrat n'a pas hésité quand le premier président de la Cour d'appel lui a demandé de venir (bénévolement) assurer, avec quelques uns de ses collègues, cet enregistrement historique. " On voit tout, on entend tout sans être ni vu ni entendu, dans une parfaite indépendance. Même si, à certains moments, nous avons certaines réactions, nous gardons toujours notre sérénité tellement ce procès révèle de choses poignantes et épouvantables... "
L'équipe a vite pris son régime de croisière même si le premier jour a été marqué par de nombreuses ruptures d'images. La raison en est que l'on avait négligé la climatisation du vidéo-projecteur qui, sous la chaleur eut, en effet ce jour-là, quelques malaises. Le lendemain Maximum Video ayant obtenu satisfaction, tout rentra dans l'ordre et par mesure de précaution, elle doubla les équipements qui le méritaient.
Les images retenues des quatre cameras (dans le dos et en face de la cour et dans le dos et en face de l'accusé) sont enregistrées sur des cassettes d'une heure. Hier on en était, en début d'audience à la 163me. Chaque soir, Philippe Labrune, accompagné du magistrat, va porter les cassettes (huit cassettes numériques en moyenne, un double de secours en VHS, des cassettes audio pour les scripts et une copie son) au président Castagnède. S'il y a lieu, le magistrat lui rapporte les remarques techniques qu'il a pu faire sur l'enregistrement. Tous ces documents sont mis en lieu sûr dans une salle de la cour d'Appel. A la fin du procès, ils seront envoyés aux Archives Nationales.
Comme le prévoit la loi, les vingt premières années suivant le procès la consultation intégrale ou partielle ne pourra être autorisée que lorsque la demande sera présentée " à des fins historiques ou scientifiques, par le garde des sceaux, ministre de la justice et par le ministre chargé de la culture. A l'expiration de ce délai, la consultation est libre " et " après cinquante ans la reproduction et la diffusion sont libres ".

(1) C'est une filiale du Groupe Sud Ouest


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