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Le témoin du jour: Georges Gheldmann. (Crédit Ph.Taris)

Le témoin rembarre Maurice Papon - 15/12/1997

A Maurice Papon qui venait de souligner la qualité de son témoignage, émouvant, Georges Gheldmann rétorque, glacial : " je récuse vos félicitations dont je n'ai rien à faire ".

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Lundi 15 décembre. Trente troisième journée d'audience. Me Varaut demande à revoir certains documents qui ont également été débattus au procès Dehan et à celui des responsables du KDS, au lendemain de la guerre à Bordeaux.
Maurice Papon, qui a pris soin comme il le fait dès son arrivée dans le box, de vérifier la température du petit radiateur électrique déplacé tout à côté de son fauteuil, lève le doigt et confirme : " Ni dans le procès du KDS, ni dans le procès Dehan et les autres qui ont fait suite, le nom même de Maurice Papon n'a été prononcé. C'est étrange. Cela démontre les efforts laborieux de ressortir quelqu'un qui fut anonyme à l'époque. On essaie de réinventer un passé qui n'a pas existé ".
Le ministère public ne participe pas à ce débat qui occupe tout de même la cour pendant une heure. Lorsque l'avocat général Marc Robert prend la parole, c'est pour interroger à son tour l'accusé - après le président jeudi et vendredi dernier - sur son rôle et sa responsabilité dans l'organisation de la rafle du 16 juillet 1942 puis du convoi du 18 juillet qui a conduit 171 juifs de Bordeaux vers Drancy d'où ils ont été déportés le lendemain vers Auschwitz.

"Opérations françaises"

A la différence du face à face avec le président Jean-Louis Castagnède, où Maurice Papon est respectueux et attentif à ne pas déplaire, l'accusé se montre plus virulent, insolent même, à l'endroit de l'avocat général qui a préparé de nombreuses questions comme le laisse deviner l'épaisseur de la liasse devant lui.
Marc Robert interroge d'abord Maurice Papon sur les rôles respectifs entre les autorités allemandes et françaises. Il énumère ainsi les " multiples initiatives ", de l'établissement des listes à l'escorte du convoi, pour conclure " qu'en terme de préparatifs et d'exécution, ces opérations sont quasi exclusivement françaises ". " Sous la férule allemande, ajoute prestement l'accusé. C'est ce qu'on oublie tout le temps et que je me permets de vous rappeler respectueusement ! ".
"Il y avait un partage entre les autorités allemandes et les autorités française" persiste Marc Robert. " Avec d'un côté, un partage actif, de l'autre, un partage passif. Choisi d'un côté, imposé de l'autre ", nuance Maurice Papon entre deux quinte de toux. Il ajoute d'une voix éraillée : " Je vous réponds de manière tout à fait indépendante. Car dans le convoi de juillet 42, je ne me sens nullement impliqué en dépit des conclusions du magistrat instructeur "
L'avocat général aborde sa seconde série de questions sur " les donneurs d'ordre ". Il revient longuement sur la note de Pierre Garat du 2 juillet 1942, suivie le lendemain d'une note presque identique de Maurice Papon au préfet régional Maurice Sabatier. L'accusé se défend : " Les comptes rendus ne sont ni des actes, ni des initiatives, ce sont des comptes rendus !... On ne fait rien, on informe. Se renseigner, ce n'est pas agir, c'est savoir ". Plus tard, il s'étrangle presque dans une nouvelle quinte de toux : " Ce procès se déroule à partir de papiers trouvés dans les archives mais ne tient jamais compte du fait que l'action clandestine pour être efficace n'est pas traduite dans les papiers ".
Avant même d'aborder une troisième série de questions, l'avocat général suggère une suspension d'audience. Maurice Papon ne quitte même pas le box.

Intense émotion

A la reprise, le président préfère entendre le témoignage de Georges Gheldmann, 66 ans, dont la mère, Berthe, 35 ans, a été raflée à Dax le 16 juillet 1942, transférée au camp de Mérignac, le 17, puis à Drancy le 18 et déportée à Auschwitz le 19 juillet.
" J'avais 10 ans et demi, je suis rentrée chez moi à l'heure du goûter, j'ai trouvé un mot de ma mère pour la rejoindre au commissariat. J'ai repris mon vélo. Elle était là avec d'autres. On a été conduits par les policiers à la prison de Dax et on a été livrés aux Allemands. Le lendemain matin, on m'a libéré, je me suis retrouvé livré à moi-même, et on a amené ma mère... Je marchais à reculons, je voulais encore la voir, je sentais que c'était important. Quand le convoi est parti vers la gare de Dax, je l'ai perdue de vue ". Une immense émotion enveloppe la salle d'audience. Maurice Papon se lève : " Ce témoin est émouvant par sa nature, également par la dignité avec laquelle il s'est exprimé ".
Le 17 juillet, le petit Georges écrit à sa tante que sa mère part en Allemagne : " Je pense que je l'ai appris à la prison de Dax... On parlait de camp de travail ". Berthe Gheldmann était hongroise et, en vertu des dispositions allemandes, n'aurait pas du être déportée. Sur la liste, elle figure cependant comme " polonaise ". " C'est une erreur volontaire, les listes ont été trafiquées pour gonfler les convois " s'indignent les parties civiles.
L'émotion est à son comble lorsque le président fait projeter sur les trois écrans géants le dernier mot que la maman de Georges écrit de Drancy à sa jeune soeur. Et que Georges a découvert il y a simplement trois mois. Elle souhaite notamment que son fils ne reste pas à la préfecture : " Elle a du comprendre que les ordres ne venaient pas des Allemands mais de la préfecture " explique Georges qui n'a revu ni sa mère ni son père, raflé le même jour à Paris. Ses parents ont été déportés à Auschwitz dans le même convoi numéro 7.
Le jeune garçon a été recueilli par un Dacquois, Paul Cougouille qui, quelques jours plus tard, l'a fait passer en zone libre où il a pu rejoindre sa grand mère à Brive la Gaillarde. " Je voudrais récuser les félicitations que M. Papon a adressé à mon témoignage. Je n'en ai rien à faire " lance Georges Gheldmann avant de quitter la salle d'audience.
Ce mardi, l'avocat général continuera à interroger Maurice Papon.
L'audience reprend à 13 h 30.


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