Maurice Matisson et Me Boulanger.(Crédit:Ph.Taris)
Maurice-David Matisson, 71 ans, auteur de la première plainte contre Maurice Papon, le 8 décembre 1981, a raconté le drame qu'il a vécu
Bernadette DUBOURG
"Je n'ai pas à prêter serment, j'aurais pu car je vais parler sans crainte et sans haine. Mais avec la rage au coeur, rentrée depuis 55 ans, et un sentiment de pitié qui m'insupporte moi-même devant les circonvolutions intellectuelles et juridiques dans lesquelles l'accusé se complaît ".
Maurice-David Matisson, 71 ans, est droit devant la barre des témoins. Vêtu d'un blazer bleu marine, rehaussé d'une pochette rouge, il s'exprime aisément. Chaque mot a son importance.
"Mon père était un homme simple, il avait le sens des valeurs. Quand il estimait la qualité d'un tissu, il prononçait un mot en yiddish, le seul dont je me souvienne, pour désigner un homme de valeur. Depuis le début du procès, ce mot de mon père me revient souvent en mémoire ".
"En 1981, lorsqu'on m'a remis des documents signés Maurice Papon qui faisaient état des actions contre huit membres de ma famille, j'aurais eu honte de ne pas déposer plainte. Je l'aurais fait tout aussi bien si je n'avais pas été juif. Je n'ai pas porté plainte contre un homme mais contre l'accusé comme je l'aurais fait contre tous ceux qui jouissent de la souffrance des autres. ".
" La défense n'a cessé de déplorer qu'il n'y ait pas de contemporains de ces faits. Et nous, nous n'en sommes pas ? Nous avons été déshumanisés, réduits à des noms sur des listes. Par bonheur, ils ne sont pas tous partis. Nous sommes des survivants. Nous espérons devenir des vivants, cela dépend de vous " s'adresse-t-il directement aux jurés.
" Un témoin de cette époque, j'en suis un " insiste Maurice-David Matisson qui rappelle qu'au début de la guerre, il était à la Pointe des Graves avec les " engagés de moins de 20 ans " et rend d'ailleurs hommage à ses camarades de la section, somaliens, marocains, italiens et autres..., morts à Lesparre.
Il en revient aux faits. Et d'abord à l'histoire de la famille. Ses parents ont émigré de Lettonie avant la première guerre où son père a combattu pour la France et reçu de nombreuses décorations. Après la guerre, les Matisson se sont installés à Bordeaux : " Nous habitions dans le vieux quartier de Mériadeck, je suis né 26 rue Lecoq. J'ai passé ma petite enfance dans ce quartier. Les petits copains (dont Michel Slitinsky) avec lesquels je jouais aux billes étaient catholiques ou juifs, algériens, marocains ou français. On ne se posait pas de questions. La seule chose qui comptait, c'était le respect et l'amitié.
En juillet 1942, la famille Matisson vivait à Paris pour permettre au fils aîné de poursuivre ses études de musique. Le père tenait une teinturerie à Belleville.
La soeur aînée, Antoinette, son mari (tous les deux arrêtés et déportés en juillet 1942) et leurs trois enfants, Claude, 10 ans, Eliane, 8 ans, et Jackie, 4 ans, étaient restés à Bordeaux. Leur grand-mère, Anna Rawdin les avait rejoints, avec trois de ses filles et leurs maris. Jeannette et Mandel Husetowski, Rachel et Jean Fogiel ont également été arrêtés et déportés en juillet 1942. Le petit cousin, Albert Fogiel, 5 ans, a été déporté avec sa grand-mère en octobre 1942. Sa soeur, Esther Fogiel, devrait témoigner aujourd'hui.
" Le 15 juillet 1942, un commissaire de police de Belleville est venu nous dire de partir au plus vite ". Les parents sont partis en zone libre : " Sur la ligne de démarcation, un gendarme qui avait les mêmes décorations que mon père les a placés en résidence surveillée ".
Maurice-David et sa soeur se sont cachés dans le grenier d'un ami où ils ont été rejoints par leurs deux neveux et leur nièce, Claue, Eliane et Jackie, arrêtés en même temps que leurs parents à Bordeaux mais libérés par un gendarme, ami de leur père, et conduits à Paris par un voisin : " Ma soeur et mon beau-frère nous les confiaient. Ils pensaient qu'à Paris, il ne se passait rien ".
" J'avais 16 ans et je croyais avoir vécu le pire... Le pire était devant moi ". En quelques jours, grâce à des " gens qui ont su où était leur devoir ", il a fait traverser la France à sa petite troupe jusqu'à Agen où ils ont retrouvé les parents.
Maurice-David Matisson est alors parti au maquis puis s'est de nouveau engagé. " En novembre 1945, je suis rentré chez moi avec le grade de sergent. Mon récit pourrait s'arrêter là. En 1945, j'avais 20 ans, le certificat d'études et pas de métier. Il fallait que je trouve ma voie. Il fallait reconstruire le pays et se reconstruire soi-même... J'ai commencé mes premières études à 30 ans et il m'a fallu 27 ans pour soutenir ma thèse de psychologie pathologique à l'université de Bordeaux ".
" C'est plus facile de s'oublier dans le travail que de venir à bout de cette blessure intérieure. Douze ans de psychanalyse m'ont permis de prendre de la distance avec mes souffrances, mais pas d'en venir à bout ".
" Ce ne sont pas seulement les victimes qui sont mortes, les descendants aussi.... Le début de la guérison est en route, nous n'y sommes pas encore. Si je souhaite la sanction de l'accusé. ce n'est pas par haine, mais parce que la sanction est humanisante. Une réparation qui va peut-être aussi humaniser l'accusé ".
Copyright Sud Ouest. Pour tout usage lié à la reproduction de nos articles, merci de prendre contact avec Sud Ouest : doc@sudouest.com Tel : 05 56 00 35 84.
Copyright Sud Ouest 2006 - contact@sudouest.com