L'ancien Premier Ministre a estimé jeudi qu'un préfet de police n'était pas responsable des ordres précis donnés par le gouvernement
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 16 octobre. Septième jour d'audience. Pierre Messmer, 81 ans, se présente comme Gouverneur Général de la France d'Outre-mer et ancien premier ministre (de Pompidou). Il est le premier témoin -cité par la défense- à être appelé à la barre à la reprise des débats.
En costume sombre, il se tient très droit, les deux mains appuyées sur la barre des témoins. D'une voix sûre, il précise la nature de son témoignage : " Monsieur le président, je pense que ma citation porte d'une part sur la période pendant laquelle j'ai connu et suivi l'action de Maurice Papon, préfet de police de Paris, alors que j'était ministre des armées; ainsi que sur l'opinion que l'ancien Officier des Forces Françaises Libres peut avoir sur le comportement de l'autorité de fait de Vichy et des fonctionnaires qui lui obéissaient ".
Pierre Messmer qui n'avait jamais rencontré Maurice Papon avant sa nomination comme préfet de police de Paris, en mars 1958, admet simplement que, par la suite, il a eu " l'occasion de rencontrer très fréquemment M. Maurice Papon pour des raisons protocolaires " et assure que " les relations, pendant 7 ans et demi, ont été à peu près sans nuages ".
Pierre Messmer s'étend plus longuement sur le " deuxième point " : " Dès la signature de l'armistice, le gouvernement de Vichy n'avait plus aucune légitimité, il était passé sous le contrôle de l'ennemi. L'ennemi occupait les deux tiers du territoire et dès la fin 42 la totalité du territoire. Ce gouvernement illégal, c'est clair pour moi, ne représentait pas la France et ne peut pas engager la responsabilité de la France, il n'engage que sa responsabilité propre et la responsabilité des fonctionnaires et militaires qui ont accepté de lui obéir ". L'ancien Premier Ministre critique ainsi trés ouvertement les excuses nationales du président Chirac (lire ci-dessous). Il y a un grand silence dans la salle d'audience.
Interrogé plus précisément sur " la ratonnade du 17 octobre 1961 ", Pierre Messmer répond sans détour et dédouane Maurice Papon : " En ce qui concerne les événements entre 1960 et 1967 à Paris, j'étais ministre et par conséquent, j'assume avec le gouvernement tout entier, de De Gaulle au dernier secrétaire d'Etat, l'entière responsabilité des événements ".
" On ne peut pas imputer la responsabilité à un préfet quand le gouvernement lui a donné des ordres précis " précise-t-il. A l'instar de Maurice Papon la veille, il affirme d'ailleurs " que la responsabilité des morts du 17 octobre 1961 incombe à des agents du FLN qui en ont profité pour liquider des dissidents ".
Arno Klarsfeld, le plus prompt à poser des questions, interroge Pierre Messmer sur " le rôle d'un haut fonctionnaire dans un gouvernement illégitime ". " Ma réponse est facile, lui adresse le ministre. J'ai personnellement jugé inacceptable d'obéir aux ordres du gouvernement de Vichy, je ne peux pas avoir aujourd'hui une autre réponse que celle que j'ai eu en 1940 ".
Pierre Messmer conforte sa position en " se ralliant assez volontiers à l'opinion du jury d'honneur qui a considéré que les membres de l'administration préfectorale se trouvaient dans une situation telle que beaucoup d'entre eux auraient du démissionner ".
Me Varaut lui demande alors si, comme le jury d'honneur " qui a reconnu à l'unanimité la qualité de résistant de Maurice Papon ", l'ancien premier ministre peut attester de son engagement patriotique. " Il m'est très difficile de répondre " avoue-t-il.
" Vous me posez une question très difficile " répond encore Pierre Messmer lorsque Me Varaut lui demande s'il approuve aussi la remarque du jury d'honneur qui a estimé que " les poursuites pour crimes contre l'humanité sont injustifiées ".
Le témoin suivant est Jean Caille, 80 ans. Durant l'occupation, il était brigadier dans le 8ème arrondissement de Paris, chargé du secrétariat du commissaire. Mais c'est en qualité de commissaire de police, chef de service des renseignements généraux à la préfecture de police de Paris, au moment de la nomination de Maurice Papon en mars 1958, que la défense l'a également cité.
" La préfecture de police a très bien accepté Maurice Papon, les chefs de la résistance rentrés de Londres nous avaient donnés d'excellents renseignements. Au foyer où je déjeunais, j'ai rencontré d'autres résistants qui considéraient que Papon était des leurs ". Il ajoute également : " Si De Gaulle gardait Maurice Papon à la préfecture, il n'y avait aucun doute pour moi qu'il ait eu un rôle dans la résistance ".
Ce monsieur qui affirme être un résistant et s'excuse de mal entendre, donne parfois l'impression de s'égarer un peu dans les dates et les événements. Il est assailli de questions par Arno Klarsfeld, Gérard Boulanger et Michel Zaoui. Il répond parfois maladroitement : " Personne n'était au courant des camps d'extermination, aucun pays ne nous a prévenus ", " pour moi, l'autorité c'était la hiérarchie et l'exécutant, les pauvres policiers et gendarmes ", " si on se posait des questions, on n'avais pas de réponse ". Ses propos provoquent murmures, sourires puis indignation dans la salle d'audience.
La cour suspend une première fois l'audience.
A la reprise, Jean-Luc Enaudi, 46 ans, éducateur au ministère de la justice, vient témoigner, cette fois-ci à la requête des parties civiles, sur la responsabilité de Maurice Papon sur la torture en Algérie lorsqu'il était le préfet de Constantine, puis sur les répressions sanglantes contre les Algériens en France, en 1961 et 1962 lorsqu'il était préfet de police de Paris. " Les hasards du calendrier de votre cour d'assises font que demain (aujourd'hui, vendredi), il y a 36 ans qu'un massacre était commis à Paris et dans la Seine par et sous la responsabilité directe de Maurice Papon ".
Au terme d'une heure et demi de déposition où Jean-Luc Einaudi a fait un résumé exhaustif de son livre-enquête publié en 1991 " la bataille de Paris ", il conclut à la " responsabilité personnelle de Maurice Papon " (Lire ci-contre). " Maurice Papon a tout fait pour que la vérité ne se sache pas, ajoute-t-il. En venant ici, c'est en mémoire de ces victimes algériennes enterrées comme des chiens dans la fosse commune musulmane de Thiais et aussi en mémoire des victimes de Charonne ".
Maurice Papon qui a souvent pris des notes et tendu des feuilles à Me Jean-Marc Varaut, indique au président Castagnède que " les mises au point " seront faites lorsque Roger Chaix (responsable du service de la coordination des affaires algériennes à la préfecture de police) témoignera mardi prochain. Le président demande alors à Jean-Luc Enaudi de revenir ce jour-là.
Après une deuxième suspension d'audience, la cour entend un dernier témoin, Jean Lisbonne, 85 ans, ancien avocat à Paris, qui a été le compagnon de dortoir de Maurice Papon au service militaire en 1932. " Je n'ai pratiquement rien à dire, mes souvenirs remontent à 65 ans. Nos destins ont ensuite totalement divergé. Je l'ai revu à l'occasion de la parution d'un livre chez un éditeur pour lequel je plaidais ".
" Nous n'avions pas les mêmes idées politiques, j'ai toujours été un réactionnaire et lui à tendance socialiste, mais nous parlions très librement des événements qui se déroulaient, nous étions horrifiés de la montée du national-socialisme, nous communions dans cette hostilité et cette crainte. Il ne m'a jamais manifesté des sentiments hitlérophiles ou proche des nazis ".
Il est déjà tard. Me Varaut indique que Maurice Papon est fatigué. Un cinquième témoin, le RP Lelong ne peut être entendu et revient vendredi. L'audience reprend à 13 h 30.
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