Alain Pepezat, dont le témoignage a retenu toute l'attention de la cour. (Crédit Daniel)
Sur cinq témoins quatre anciens résistants ont témoigné de l'aide et des renseignements fournis à la résistance par Maurice Papon
compte-rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 19 février. Soixante et onzième journée d'audience. Elise Milhat, 80 ans, pharmacienne en retraite, est un " témoin indirect ". Veuve de Jean Milhat, officier de police à Bordeaux sous l'Occupation et membre du réseau Jade Amicol, cette dame rapporte simplement des propos de son mari qui a " toujours douté de l'appartenance de Maurice Papon au réseau Jade Amicol " : " Il ne figurait pas sur la liste des agents établie par Pierre Moniot et n'assistait pas au repas des anciens du réseau, organisé en 1945 à Libourne ".
Les quatre autres témoins soutiennent, en revanche, que Maurice Papon a rendu de réels services à la résistance.
Alain Perpezat, 77 ans, était agent de liaison au réseau Jade Amicol, chargé de collecter des informations militaires, politiques et économiques sur Bordeaux et la région, qu'il transmettait chaque mois à Paris, puis à Londres.
" En 1943, raconte-t-il, je me suis rendu compte que beaucoup de renseignements sur les relations avec Vichy et avec les Allemands, venaient de la préfecture de Bordeaux. Gustave Souillac (un des responsables du réseau à Bordeaux) m'a dit que c'était Maurice Papon qui nous les fournissait ".
Ce vétérinaire en retraite, installé à Langon, qui reçoit des menaces depuis le début du procès, se souvient aussi de ce 4 janvier 1944 lorsqu'il a ramené chez Gustave Souillac à Bordeaux, un aviateur américain, descendu dans le ciel landais : " Devant moi, il a appelé M. Papon pour lui demander une carte d'identité et tout le reste ".
Il rappelle également qu'au cours de son discours au repas des " anciens du réseau " à Libourne, Gustave Souillac a " remercié largement M. Papon ". " S'il s'était fait prendre, assure Alain Perpezat, il se serait retrouvé dans le sous-sol de Dohse (Gestapo) et s'il avait survécu, il serait parti pour l'Allemagne. Le seul fait de loger un aviateur, si vous étiez pris, on n'en parlait plus. Il suffisait d'une fois ".
Contrairement aux affirmations de plusieurs avocats des parties civiles, Alain Perpezat affirme que " beaucoup d'agents n'avaient ni numéro, ni pseudonyme ". De la même manière, il précise que la liste des agents du réseau, établie en 1944, où figure le nom de " Papon " avec la mention " Lyon ", " comporte de nombreuses erreurs dues aux conditions dans lesquelles on travaillait ". Il s'étonne que l'on reproche à Maurice Papon de n'avoir demandé sa carte de combattant volontaire de la résistance qu'en 1953 (il l'a obtenue en 1958 après deux avis défavorables) : " Il y a encore beaucoup de gens qui ne l'ont pas ".
Lui-même hésite encore sur le nombre exact de membres du réseau Jade Amicol : " J'ai cru qu'il y en avait 1700, un officier m'a dit un jour qu'il y en avait 1400, un autre, 1100. On ne le sait pas précisément. Il y a des gens qui ne se sont jamais manifestés ".
Maurice Travers, 79 ans, ancien officier de carrière, membre de la branche lyonnaise de Jade Amicol et adjoint du lieutenant-colonel Claude Arnould, alias colonel Ollivier, chef du réseau, s'insurge tout d'abord contre " l'attitude du juge d'instruction qui a voulu me faire avouer - ce que je n'ai pas fait - que le chef du réseau Jade Amicol avait fait des certificats de complaisance ". Le procureur général Henri Desclaux interrompt le témoin et demande au président de faire acter ces propos. Maurice Papon s'inquiète des conséquences de cette procédure : " Je suis soucieux que l'honnêteté intellectuelle et morale de M. Travers ne soit pas compromises ".
Mais Maurice Travers (cité par le ministère public) ne se démonte pas. Il ajoute même que " le juge avait des idées préconçues ". Puis, revenant à l'objet de son témoignage, il indique la manière dont a été réalisée en 1944 l'attestation de résistance de Maurice Papon : " Moi-même et un camarade avions la responsabilité de dresser ces listes à partir des renseignements que nous avaient fournies les responsables locaux des réseaux. J'ignorais qui était Maurice Papon, je n'avais jamais mis les pieds à Bordeaux ".
Christian Souillac, 72 ans, retraité du commerce extérieur, est le fils de Gustave Souillac, interlocuteur de Maurice Papon à Bordeaux. S'il confirme également l'appartenance de Maurice Papon au réseau Jade Amicol, en se référant notamment au discours de son père, sa déposition se transforme surtout en une ample critique de l'arrêt de renvoi et des divers ouvrages parus sur le réseau : " On a monté l'opinion contre Maurice Papon en racontant n'importe quoi ". Maurice Papon écoute, bien calé dans son fauteuil.
Dernier témoin appelé à la barre, Christian Campet, 77 ans, ancien patron de la police bordelaise, n'a rien perdu de son franc-parler. Il a d'ailleurs une déclaration liminaire à faire : " Je n'ai jamais eu ni entretenu de rapports suivis avec Maurice Papon. Mon père qui n'était pas juif a été arrêté par les services du commissaire Poinsot, livré à la Gestapo, emprisonné au Fort du Hâ et déporté dans un camp de concentration où il avait rendez-vous avec la mort. Enfin, je suis ici pour défendre l'honneur de Gaston Cusin ".
Il évoque d'ailleurs le souvenir d'une rencontre avec Gaston Cusin dont il avait eu confirmation par Londres qu'il était bien envoyé par le Général De Gaulle : " Je l'ai accompagné à la préfecture où il m'a dit avoir un rendez-vous avec un correspondant qu'il voyait depuis longtemps, M. Papon ".
" Je suis certain, ajoute-t-il, que si le représentant du général De Gaulle, ami de Jean Moulin, prenait le risque de ce contact, c'est qu'il avait toutes les garanties sur Maurice Papon ". Christian Campet qui admet juste avoir été l'adjoint d'Aristide, patron d'un autre réseau de résistance, dit simplement : " Les ordres que j'ai reçus, je les ai exécutés à la lettre ". Il n'en dit pas plus.
Comme la semaine dernière, il n'y a pas d'audience Vendredi.
Le procès reprend lundi à 13 h 30.
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