Samuel Pisar. L’écrivain était l’un des témoins (Crédit Daniel)
Jacques Monribot (Crédit Daniel)
En fin d'audience, après l'audition de trois témoins dont Samuel Pisar, Maurice Papon a fait une très longue déclaration pour dénoncer « le complot » de ce procès
Compte-rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 3 mars. Soixante dix-huitième journée d'audience. L'avocat international Samuel Pisar, 68 ans, et est l'unique survivant de sa famille. Déporté à 14 ans à Auschwitz, il évoque d'une voix empreinte d'une émotion contenue, « la dernière image qui reste en mémoire de la séparation » d'avec sa mère et sa petite soeur de 8 ans, au matin de l'évacuation de leur ghetto en Pologne : « Au cours de la nuit, ma mère, méthodique et précise, a préparé ma valise comme si je partais en colonie de vacances. Elle se demandait si elle devait me mettre une culotte courte pour aller avec les femmes, les enfants et les vieillards, ou une culotte longue pour aller avec les hommes et les travailleurs. Elle m'a mis un pantalon long. Le matin, je lui ai lancé un dernier regard. Frida, ma petite soeur lui serrait la main et dans l'autre, sa poupée favorite. J'ai lancé à ma mère : Et toi ? Elle ne m'a pas répondu. Elle savait que leur sort était scellé ». Son père, résistant, avait été fusillé par la Gestapo.
Samuel Pisar qui a raconté son calvaire à Auschwitz dans « Le sang de l'espoir », assure qu'il n'y a pas de « comparaison entre les bourreaux nazis et les collaborateurs zélés de Vichy » mais précise que « les actes des uns ont contribué beaucoup à l'entreprise destructrice des autres ».
Samuel Pisar est aujourd'hui président du comité français et gouverneur de l'Institut Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem dont la mission est de « préserver la mémoire de l'holocauste, et honorer et reconnaitre les Justes parmi les Nations », ces hommes et ces femmes qui « ont écouté leur coeur et leur conscience » pour sauver des juifs.
Il veut d'ailleurs rendre hommage à ces « gens simples qui ont sauvé des juifs au péril de leur vie, qui sont l'honneur et la fierté de la France ». 1700 personnes ont déjà été honorées en France de la Médaille du Juste : « Notre tâche est loin d'être terminée ». Il cite ainsi l'exemple de trois hauts fonctionnaires, Edmond Dauphin, Camille Ernst et Paul Corazzi qui ont « montré qu'on pouvait servir l'Etat sans compromission et sans ignominie. Quelle extraordinaire leçon révélée par les actes de ces Justes, quel vaccin extraordinaire pour l'avenir de nos enfants ».
Puis il conclut : « Vous allez prononcer en toute souveraineté la culpabilité ou l'innocence. Je pense que je suis autorisé à vous suggérer de méditer aussi sur le comportement des Justes de France ».
Me Varaut, évoquant Elie Wiesel et Simone Veil, eux aussi rescapés des camps et membres du comité français de Yad Vashem, interroge Samuel Pisar sur ce « qu'on savait et ce qu'on pouvait croire ». « J'essaie d'être mesuré, mais là je dois dire que vous me choquez, réplique Samuel Pisar. C'est une question étrange à poser à un survivant. Simone Weil avait 16 ans, Elie Wiesel, 15 ans, et moi, 14. Nous étions les derniers à savoir. Mais les bureaucrates qui remplissaient les trains, c'était leur devoir de savoir ».
Jacques Monribot, 77 ans, ancien résistant et policier à Bordeaux pendant l'Occupation, confirme avoir fait prévenir Maurice Papon « deux mois avant la Libération » que les Allemands voulaient l'arrêter. Il indique même que ce soir-là, il est allé chercher Maurice Papon et sa femme pour les cacher dans une maison à Camblanes où ils ont passé la nuit. La semaine dernière, Maurice Papon a affirmé qu'à cette époque-là, se sentant menacé, il avait envoyé sa femme et sa fille à Salies de Béarn. Personne n'en fait la remarque à l'accusé.
Le président s'étonne surtout que ce témoin de dernière minute n'ait pas pensé à se manifester plus tôt. « J'ai reçu un coup de fil de Maurice Papon qui m'a demandé si j'étais prêt à venir témoigner » avoue Jacques Monribot qui raconte aussi comment fin 1943, rencontrant le secrétaire général pour la première fois, il lui avait très directement confié son propre engagement dans la résistance, et comment quelques temps plus tard, à la demande de Maurice Papon, il a libéré clandestinement une résitante de l'hôpital Pellegrin.
Le troisième témoin entendu par la cour, Jacques Maillet, 84 ans, était délégué général de la résistance en zone sud, fin 1943 et 1944. Il indique immédiatement « tout ignorer des actions de Maurice Papon à la préfecture de Bordeaux », mais il a bien connu les deux commissaires de la République de Bordeaux, à la Libération, Gaston Cusin et Maurice Bourgès-Maunoury : « Tous les deux étaient scandalisés par les poursuites engagés contre Maurice Papon. Jusqu'à sa mort, Bourgès-Maunoury a pensé que c'était une injustice ».
Jacques Maillet affirme surtout que lui-même, « pourtant bien placé », ignorait « l'existence d'une organisation méthodique et logique pour l'extermination de la race juive ». « Il me semble que se posera pour la cour, la question de savoir si on peut être complice d'un génocide qu'on ne connait pas » conclut-il.
Dans la déposition de Gabriel Delaunay dont le président donne lecture, le deuxième président du comité départemental de Libération indiquait en 1988 que « si la moindre accusation avait été portée contre Maurice Papon dans la déportation des juifs, le CDL s'en serait servi pour empêcher sa nomination ». Le président lit également la déposition du colonel Paul Paillole qui mentionne le nom de Maurice Papon sur une liste des « personnes en contact ou ayant rendu des services aux Allemands ».
En fin d'audience, debout, la voix claire et plusieurs dossiers dans les mains, Maurice Papon fait alors une longue déclaration. Durant près d'une heure, il rappelle ses faits de résistance et le souci de De Gaulle à la Libération d'empêcher « les Américains d'imposer à la France une administration d'occupation, et les communistes de prendre le pouvoir ».
Puis, critiquant une nouvelle fois l'arrêt de renvoi, parlant de « contorsion, d'affabulation, de malhonnéteté et de mauvais roman », il lance : « Qu'importe, il faut condamner la fonction publique et la France. Plus que de la partialité, c'est la participation à un complot que je dénoncerai le moment venu ». « A bout d'arguments, Maurice Papon cherche à dériver le débat sur un autre plan » réplique l'avocat général Marc Robert.
Aujourd'hui, la cour entend les derniers témoins dont le magistrat allemand Rolf Holfort, et le président d'honneur de la Licra, ancien responsable du BCRA, Pierre Bloch.
L'audience reprend à 13 h 30.
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