Michel Slitinsky, auteur de la première plainte. Son père Abraham a été déporté dans ce convoi du 19 octobre.(Crédit D.R)
Le président a interrogé hier Maurice Papon sur le rôle de Pierre Garat dans la rafle du 19 octobre 1942, suivie de la déportation de 128 juifs
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mercredi 14 janvier. Quarante septième journée d'audience. Avec rigueur et précision, le président Jean-Louis castagnède débute l'interrogatoire de Maurice Papon sur la mise en oeuvre de la rafle, dans la nuit du 19 au 20 octobre 1942, puis l'organisation du (quatrième) convoi du 26 octobre 1942 qui a conduit 128 juifs dont 28 Français vers Drancy puis Auschwitz.
Parmi les victimes, il y avait notamment Anna Rawdin et son petit fils Bernard Fogiel (la grand mère et le petit frère d'Esther Fogiel dont les parents avaient été déportés en juillet 1942), Timée et Samuel Geller (les grands parents de René Panaras) et Abraham Slitinsky, le père de Michel Slitinsky, l'homme qui déclencha l'affaire Papon en 1981.
Comme à son habitude, le président appuie son interrogatoire sur les documents qui figurent au dossier. A commencer par la lettre du chef du KDS de Bordeaux, adressée le 19 octobre à la préfecture, sur « une opération à exécuter le soir-même ». Luther indique notamment que cette mesure vise les juifs étrangers, que les listes seront remises à Pierre Garat (chef du service des questions juives) et que les juifs seront arrêtés par les policiers français.
« Le délai est encore plus resserré qu'en septembre. Il y a dans cette précipitation, le désir (des Allemands) de limiter les fuites et d'assurer l'efficacité de leurs injonctions » observe Maurice Papon qui assure que, dès réception de ce courrier, le préfet Maurice Sabatier a sollicité une démarche auprès des SS pour qu'ils renoncent à cette rafle. Sans succès.
Le lendemain 20 octobre, deux rapports détaillés du commissaire Techoueyres et de Pierre Garat informent que la rafle a débuté à 20 h 45 pour s'achever à 4 heures du matin, que « seulement » 40 juifs (19 hommes et 21 femmes) ont été arrêtés sur les 400 noms figurant sur la liste, et qu'il n'y a eu qu'une seule évasion, celle de Michel Slitinsky, 17 ans, enfui par les toits de l'immeuble lorsque deux inspecteurs de police, MM. Puntous et Denechaud, ont frappé à la porte du domicile, 3 rue de la Chartreuse à Bordeaux. Ils ont épargné la mère, invalide, mais ont arrêté le père Abraham, et la soeur Alice, conduits au petit matin, avec les autres raflés, au camp de Mérignac.
Après la guerre, Michel Slitinsky a déposé plainte contre ces deux policiers. Si la procédure s'est soldée par un non lieu en 1947, elle a cependant permis de recueillir les dépositions de plusieurs inspecteurs de police et de mettre ainsi en évidence le rôle qu'a pu jouer Pierre Garat, subordoné de Maurice Papon, dans l'organisation de cette rafle.
Ces policiers assuraient, en effet, que le 19 octobre à 21 heures, ils avaient été réunis rue du Maréchal Joffre « sans savoir pourquoi ». Ils avaient vu arriver deux « civils de la préfecture » encadrés par des Feldgendarmes, puis le « fonctionnaire de la préfecture », Pierre Garat, « avait pris la parole pour dire que des juifs allaient être arrêtés. Il avait également donné la liste ».
« C'était une opération strictement encadrée par les feldgendarmes » assure Maurice Papon, qui tout l'après-midi, reste assis dans son fauteuil. Puis il précise aussitôt : « En ce qui concerne Garat, on peut lui reprocher d'avoir donné des directives. Ce ne sont d'ailleurs pas des directives, il n'en avait pas la qualité, il n'a fait que transmettre le contenu des injonctions allemandes ».
Le président ne se satisfait guère de ce simple constat. Il veut savoir « qui a demandé à Garat d'aller à cette réunion et de porter cette liste ». « Ce sont les Allemands » répond Maurice Papon. Il se reprend : « Avec l'accord du préfet ». « Celà me parait un peu confus » observe le président. « C'est confus » convient l'accusé d'une petite voix, « Il est contraint et forcé. Je ne veux pas le défendre mais je m'interroge comme vous ». « Je laisse à chacun le soin d'apprécier » ajoute le président, d'autant que Pierre Garat ne mentionne nullement cette réunion dans le rapport à Maurice Papon qu'il rédige le lendemain.
Un second point chiffonne le président. Selon les ordres allemands, cette rafle visait les juifs étrangers. Or, sur les 40 pesonnes arrêtées à Bordeaux, il y a 14 français dont Alice Slitinsky, certes libérée de Mérignac quelques semaines plus tard, mais aussi le petit Bernard Fogiel, 6 ans, arrêté et déporté quelques jours plus tard à Auschwitz avec sa grand mère.
Sur les listes projetées par le président, et jointes aux deux rapports de Pierre Garat et Maurice Papon, les nationalités figurent en regard de chaque nom. Le président est surpris qu'il n'en soit pas fait état dans ces rapports. Maurice Papon reste un moment silencieux : « Je me pose la question, je ne comprends pas ».
Sur les 40 personnes arrêtées à Bordeaux, dix « non juives » sont libérées. Dès le 22 octobre, le convoi du 26 est annoncé sur une note de Garat qui participe à un « examen contradictoire » au camp de Mérignac. Le 24, sept détenus du Fort du Hâ sont transférés à Mérignac. Le jour même, six gendarmes sont « réquisitionnés par le préfet » pour accompagner le convoi où sont déportées 128 personnes dont 28 Français. « Au cours de l'instruction, vous n'avez jamais parlé de démarches que vous auriez exprimées auprès du gouvernement pour attirer son attention sur la présence de ces Français » remarque encore le président. « Je me suis toujours borné à répondre aux questions qui m'étaient posées » répond Maurice Papon, à bout d'arguments, et visiblement épuisé en cette fin d'audience.
Aujourd'hui, ce sont le procureur général et les avocats qui doivent l'interroger sur cette rafle et ce convoi d'octobre 1942.
L'audience reprend à 13 h 30.
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