Depuis un mois, Maurice Papon est logé dans une grande propriété entre Bordeaux et Libourne. Son hôte, un Béglais d'origine, explique pourquoi il l'a invité
Bernadette DUBOURG
La longue allée de terre, au milieu des champs de maïs, conduit à un portail vert. Sur la grille, ce panneau : " Propriété privée, défense d'entrer sous peine de procès-verbal. " Au fond du parc, derrière des arbres dénudés, on devine un grand corps de bâtiment à un étage. Rapidement, plusieurs policiers en civil arrivent au portail. Pour des raisons de sécurité, ils ne laissent entrer aucun journaliste, même invité par le propriétaire des lieux.
Ce dernier s'en excuse et, au volant de sa luxueuse voiture, roule jusqu'au café le plus proche, dans une commune voisine. Deux jours plus tôt, il a téléphoné pour " rectifier une erreur " : " Je ne loue pas ma maison. M. Papon est mon invité, il est chez moi, et chez moi, je reçois qui je veux. " Le ton était courtois. Mais la parole ferme.
Devant un jus d'orange, ce monsieur d'une cinquantaine d'années, les yeux bleus et les cheveux châtain clair, élégamment vêtu d'une veste pied-de-poule et d'un gilet en velours, poursuit la conversation d'une voix légèrement enrouée : " Nous avons des relations communes. Début novembre, ces gens m'ont demandé si je voulais le loger. J'ai des appartements, mais je ne voulais pas occasionner de gêne au voisinage. Ici, il est chez moi, je n'embête personne. "
Son geste intrigue. " Mon intime conviction, c'est qu'il est anormal que des personnes se soient comportées comme elles l'ont fait. Je supporte mal qu'on jette quelqu'un dans l'arène, ça m'a révolté. Je ne suis pas là pour juger, je n'en ai pas les moyens. Mais la colère et la haine, il faut les proscrire ", se contente-t-il d'expliquer.
Puis, il ajoute : " C'est dans l'intérêt de tout le monde, à commencer par les parties civiles. Qu'il puisse s'exprimer en toute lucidité. Qu'il soit en bonne santé. " Et de préciser aussitôt qu'il n'aime pas les extrémistes et qu'il ne faut pas lui chercher des histoires : " Je suis très gentil, peut-être même le plus doux des hommes, mais si on me cherche, on me trouve. "
Electrotechnicien de formation, cet homme qui reconnaît avoir " fait tous les métiers " reste très discret mystérieux même sur ses actuelles activités professionnelles. " Je suis administrateur de sociétés ", dit-il tout au plus, avant d'ajouter, au fil de la conversation, qu'il a des " intérêts en Espagne ". Pour ajouter au mystère, son portable n'arrête pas de sonner. On comprend qu'il est aisé, riche peut-être. " Je ne manque de rien ", nuance-t-il dans un sourire.
Il avoue ses sympathies politiques à droite, " mais pas à l'extrême droite ", et confesse qu'il est croyant : " J'ai été baptisé à Bègles. " Il parle d'ailleurs beaucoup de sa ville natale, dans la banlieue bordelaise, où il a été élevé avec ses quatre frères par son grand-père, électricien, et sa grand-mère. " A Bègles, j'ai toujours un ponton où je vais pêcher le carrelet avec mon frère. "
Son frère est justement cuisinier chez lui, dans cette grande propriété où il emploie également un homme d'entretien, un jardinier et une femme de ménage. " J'ai l'habitude de recevoir du monde et cela ne change pas mes habitudes ", assure cet homme divorcé dont les deux grands enfants vivent loin.
" Maurice Papon est arrivé avec deux petites valises. Il n'a rien du tout. On s'occupe de lui comme un membre de la famille. " Il admet toutefois que Maurice Papon " participe aux frais " de son séjour et rembourse " les petites choses qu'on achète pour lui ".
Dans cette maison, " M. le Ministre " comme il l'appelle dispose d'une chambre, d'une salle de bains et d'un bureau : " Il lit beaucoup la presse, travaille sur son dossier ou regarde la télévision. " Surtout le football. " Lorsqu'il est assis dans le fauteuil, il faut l'aider à se relever. C'est un vieillard. " Parfois, ils déjeunent ensemble. Le midi, cependant, les repas sont légers. " Le soir, selon comment s'est passée la journée, il est plus ou moins bien. " Maurice Papon parle peu du procès, " sauf des fois, lorsqu'il a besoin que ça sorte ". Matin et soir, il reçoit des soins d'une infirmière et d'un kinésithérapeute.
La semaine, Mes Varaut et Vuillemin viennent étudier le dossier avec lui. " Le week-end, il ne sort pas. Il est trop fatigué et doit éviter d'attraper froid. On chauffe tellement la maison que c'est moi qui me suis enrhumé. "
Deux des enfants de Maurice Papon sont venus lui rendre visite. Il téléphone souvent à sa femme, gravement malade, mais " n'en parle pas. Il est très seul ". A Noël, il devrait passer quelques jours chez lui. Puis revenir pour la suite de son procès. " Je lui ai donné ma parole, il peut rester chez moi aussi longtemps qu'il le veut. Il est mon invité. "
Si l'ensemble des services de sécurité et les autorités judiciaires n'ignorent rien du lieu de résidence de Maurice Papon, son hôte n'en a pas parlé au maire, ni aux voisins, tout juste à sa famille et certains amis. " Ils m'ont tout de suite dit que j'allais avoir des ennuis. "
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