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Michel Slitinsky revient en deuxième journée de déposition. (Crédit AFP)

Le jour de Michel Slitinsky - 21/01/1998

Michel Slitinsky est venu à la barre. Sa déposition se poursuit jeudi. Chronologiquement c'est le témoin numéro un du procès Papon.

Compte-rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Mercredi 21 janvier. Cinquante deuxième journée d'audience. André Gonzales, 76 ans, le beau-frère de Michel Slitinsky revient à la barre pour poursuivre sa déposition interrompue vendredi, après la chute de deux élèments d'un projecteur sur le procureur général.
Vendredi, il avait déjà raconté l'arrestation, dans la nuit du 19 au 20 octobre 1942, d'Abraham Slitinsky et de sa fille Alice. Le père a été déporté dans le convoi du 26 octobre 1942. Alice a été libérée du camp de Mérignac le 5 décembre.
Cinquante cinq ans après, André Gonzales, veuf depuis 1968, reste persuadé que « Maurice Papon, à aucun moment, n'est intervenu dans cette libération ».
La preuve du contraire apparait cependant sur les écrans lorsque le président fait projeter plusieurs documents. Une note manuscrite du 22 octobre 1942 indique que plusieurs personnes sont « conservées au camp » dont « Alice Slitinsky pour libération ». Le 10 novembre, Maurice Papon écrit à la mère d'Alice pour l'informer que les autorités allemandes sont d'accord pour libérer sa fille. Le 11 novembre, Maurice Papon écrit également à Doberschutz pour lui demander confirmation de la libération de la jeune femme.

« Chainon manquant »

Et puis, Me Vuillemin verse un « chainon manquant » au dossier, une lettre en allemand du même lieutenant Doberschutz, datée du 2 décembre et adressée au service des questions juives de la préfecture dans laquelle il indique que plusieurs personnes dont « la juive Alice Slitinsky » sont à libérer de Mérignac. Cette lettre fait d'ailleurs référence au courrier de Maurice Papon du 11 novembre.
« Quand on détient une pièce importante, on la verse au dossier » remarque, sèchement, le président Castagnède.
Lorsque Maurice Papon adresse un courrier au directeur du camp de Mérignac, le 7 décembre 1992, pour l'informer de la libération de trois personnes, elles ont déjà été élargies. « Garat avait du téléphoner, ce document s'apparente à une confirmation » remarque Maurice Papon qui ne veut pas « s'enorgueillir de tout celà. J'ai essayé de faire mon métier, le plus simplement possible ».
Me Touzet persiste cependant à penser qu'Alice Slitinsky, qui était française et n'aurait même pas du être arrêtée, a été libérée à l'initiative des autorités allemandes et que le service des questions juives n'y est pour rien. « C'est une étrange analyse, on la truffe de suppositions, d'hypothèses. Je ne pense pas que ce soit une analyse rigoureuse » commente l'accusé qui ajoute : « L'essentiel est qu'elle ait été sauvée ».
Le ton de Maurice Papon est moins assuré lorsque le président revient sur le « sauvetage de Juifs » qu'il prétend avoir réalisé à l'occasion de cette rafle d'octobre 1942. « En ce qui concerne le convoi d'octobre, les délais ont manqué pour mobiliser les fonctionnaires extérieurs à la préfecture, convient Maurice Papon. Par contre, nous avons pu prévenir Mme Eychenne (secrétaire de Pierre Garat) pour qu'elle puisse diligenter les renseignements directement ou indirectement ». La veille, Michel Bergès s'est étonné que Sabine Eychenne, décédée en 1991, n'ait jamais été interrogée.
En cours d'instruction, Maurice Papon a également donné les noms de quatre autres personnes qui auraient averti ces familles. Mme Marie-Josephe Moquay, qui s'est déplacée pour rien vendredi et mardi, n'est pas revenue aujourd'hui. Au juge d'instruction, elle a cependant indiqué qu'elle avait quitté la préfecture en mars 1942, avant l'arrivée de Maurice Papon. Selon le président, les explications de Mme Chassagne (qui doit témoigner plus tard) « mènent sur une voie de garage » et les affirmations d'une autre personne sont inexactes. En octobre 1942, le père Dieuzaide, responsable du réseau Jade-Amicole, avait aussi quitté Bordeaux.
Maurice Papon admet qu'il s'est trompé et « invoque le droit de me reprendre ». Mais il n'admet pas que l'avocat général Marc Robert parle de « repentir ». Après la suspension d'audience, l'accusé insiste sur « la mémoire aléatoire des octogénaires qui doit également concerner les témoins » et reproche à l'accusation de « se replier sur des anecdotes périphériques dont le seul but est de me discréditer ».

Questions à l'accusé

Pendant la suspension d'audience, Michel Slitinsky, a disposé un grand nombre de documents sur le bureau des avocats, à portée de main de la barre où il doit déposer dans quelques instants. Il attend ce moment depuis 16 ans.
Veste rose sur chemise jaune au col ouvert, crinière blanche, les deux mains sur la barre, cette partie civile emblématique évoque d'abord l'arrestation de son père et de sa soeur, 3 rue de la Chartreuse à Bordeaux : « Il était deux heures du matin. On a frappé aux contrevents. Mon père est descendu et a dit : « Nous sommes pris comme des rats ». Deux policiers lui ont dit de préparer une valise avec deux paires de chaussures. Je suis descendu avec ma soeur. J'ai pris un fer à repasser, je me suis jeté sur les policiers et j'ai enlevé les plombs du compteur. Ma soeur s'est cachée dans le grenier où les policiers l'ont retrouvée ». Ils n'ont cependant pas Michel, 17 ans, caché dans un petit placard sous l'escalier puis réfugié sur le toit jusqu'au départ du fourgon, deux heures plus tard. La mère, malade, a été épargnée.
Le lendemain, Michel Slitinsky s'est caché chez son futur beau-frère puis chez des amis à Bordeaux et en Charente avant de rejoindre le maquis dans le Puy de Dôme. Il raconte longuement sa résistance et sa guerre, puis son retour à Bordeaux et la plainte contre les deux policiers qui avaient arrêté sa famille en octobre 1942 et qu'Alice a croisés dans la rue, un matin de 1944, en allant acheter le journal. La plainte qu'ils ont déposée s'est soldée par un non lieu.
Depuis la Libération et malgré ses occupations professionnelles comme inspecteur du travail, cadre commercial puis directeur d'une entreprise de transport à Bordeaux, Michel Slitinsky n'a cessé de chercher et éplucher des milliers d'archives, d'abord par hasard puis avec entêtement : « Mon souci à l'époque, n'était pas de déposer plainte, mais de reconstituer la vie de la communauté sous l'Occupation ». Jusqu'à la découverte, en 1981, de l'organigramme de la préfecture de Bordeaux, et du nom de Maurice Papon, alors ministre du budget de Raymond Barre. Michel Slitinsky ne prononce même pas le nom de Michel Bergès qui lui a justement remis plusieurs de ces documents.
Michel Slitinsky qui a encore beaucoup de choses à dire et même des questions à poser à l'accusé, fait lui-même remarquer au président qu'il se fait tard et propose de poursuivre le lendemain. Il revient effectivement aujourd'hui.
L'audience reprend à 13 h 30.


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