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Samuel Schinazi, l’incident a eu lieu à propos de la déportation de son père à Dachau (Crédit Rodolphe Escher)

Le convoi des enchainés - 28/01/1998

Maurice Papon nie toute responsabilité dans la rafle et le convoi de décembre 1943 qui a déporté 136 juifs à Drancy

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mercredi 28 janvier. Cinquante septième journée d'audience. Maurice Papon voudrait en terminer définitivement avec le précédent convoi du 23 novembre 1943. Debout, quelques feuilles en mains, il relève une « bévue » et une « manoeuvre » dans l'arrêt de renvoi qui « faute de prouver mon implication dans le convoi, me reproche de ne pas avoir fait libérer Sabatino Schninazi avant son départ ».
Me Boulanger veut répondre. Le président Castagnède qui souhaite débuter l'examen des faits suivants, l'en empêche : « J'estime que l'ensemble des questions n'apportera pas davantage de certitudes ». Vexé et furieux, Me Boulanger ferme son dossier, se lève et quitte la salle d'audience, suivi peu à peu par les parties civiles. « Je ne peux pas obliger les parties à rester dans le prétoire si elles estiment que leur place est ailleurs » commente, d'un ton calme, le président Jean-Louis Castagnède qui débute sans plus tarder l'interrogatoire de l'accusé sur la rafle et le convoi de décembre 1943.
Avec toujours autant de méthode et de rigueur, le président s'appuie sur les documents du dossier. Sur les écrans géants de la salle d'audience, on découvre ainsi que le 22 décembre 1943, le directeur du camp de Mérignac informe le service des questions juives de la préfecture que 108 Israélites ont été internés le 21 décembre.

« A titre d'ami »

Parmi ces victimes, il y a Nouna Benaim, 49 ans, et ses deux filles Georgette, 16 ans, et Paulette, 13 ans, dont le mari et père, Saadia Benaim, 60 ans, a été déporté dans le convoi du 26 août 1942. Il y a aussi David, 11 ans, Léon, 8 ans, Jacqueline, 5 ans et Michel, 1 ans, les enfants de Simon Drai, 62 ans, lui aussi déporté dans le convoi d'août 42. Il y avait également Victor Haddad, 45 ans, et ses deux filles, Monique, 3 ans, et Jeanine, 1 ans, ainsi que Daniel Schinazi, 20 ans, un autre fils du Dr Sabatino Schinazi, déporté un mois plus tôt. Ces onze personnes sont concernées par les plaintes des parties civiles.
Ce même 22 décembre 1943, le préfet régional Maurice Sabatier reproche, par courrier, au chef de la SEC (police des questions juvies) de ne pas avoir été avisé de cette opération et demande des explications sur son déroulement. Le 27 décembre, Lucien Dehan lui répond que « l'opération a été décidée par les Allemands et que la SEC n'est intervenue que pour vérifier les noms des Juifs arrêtés ». En marge du document, Maurice Sabatier a écrit à la main : « M. Papon, prière m'en parler d'urgence ». Dans un autre coin, une autre main a ajouté : « M. Dehan a dit verbalement au service des Juifs qu'il avait aidé Mayer et les SS à « titre d'ami ».
Le 11 janvier 1944, Maurice Sabatier écrit de nouveau à Dehan pour lui rappeler notamment que le préfet régional doit être informé de toutes les opérations auxquelles participent des services français.
Dans le même temps, Maurice Papon demande des explications à la Sipo, la police allemande. Il écrit deux lettres les 23 décembre et 8 janvier mais l'unique réponse ne lui parvient que le 31 janvier 1944. En quatre lignes brèves, Nahrich indique que les arrestations ont eu lieu sur ordre de la police de sureté et surtout qu'il « n'est pas en mesure de faire d'autres commentaires ».
Le 25 décembre 1943, Maurice Sabatier avise les autorités de Vichy qu'il n'a été informé ni par les Allemands ni par le délégué régional de la SEC de cette opération. Le 12 janvier 1944, dans un rapport plus détaillé, Maurice Papon se plaint à son tour auprès du gouvernement de Vichy de ne pas avoir été informé et de n'avoir toujours pas de réponse de la Sipo.

Trois wagons

Maurice Papon indique également que 136 Israélites (dont 79 Français et Nord-Africains) ont été transférés le 30 décembre 1943 du camp de Mérignac au camp de Drancy. Ce chiffre ressort d'une note des renseignements généraux adressée le 31 décembre 1943 à la police de Vichy et à l'Intendant de police de Bordeaux où il est même précisé que le convoi était composé de 53 hommes, 57 femmes et 26 enfants. Comme en novembre, quarante gardiens de la paix français ont été mobilisés pour surveiller le convoi jusqu'à Drancy. Selon le rapport du chef d'escorte, les déportés ont été répartis dans trois wagons, les hommes étaient enchainés et le voyage a duré 20 heures. A l'arrivée en gare d'Austerlitz, un détenu, Daniel Schinazi, 20 ans, s'est évadé.
Tous ces courriers s'échangent alors qu'une autre rafle a été organisée à Bordeaux dans la nuit du 10 janvier 1944 et qu'un autre convoi a quitté la gare de Bordeaux le 12 janvier avec plus de 300 juifs. Ce sont les prochains faits que la cour examinera.
Pour l'heure, le président Castagnède s'étonne qu'après la mise en garde du préfet régional, en novembre 1943, l'Intendant de police ait récidivé un mois plus tard. « Je suis à court d'explications » admet l'accusé, tout en reconnaissant que « Maurice Sabatier était autoritaire et l'intendant Duchon, discipliné ». Plus tard, il assure : « Le fossé se creuse de plus en plus entre l'administration et l'Intendant de police. Je n'ai plus de rapports, même parallèles, avec l'Intendant de police », sous-entendant également qu'en cette fin 1943, ses « relations ne sont plus tout à fait les mêmes avec Maurice Sabatier ».
Après la suspension d'audience, alors que Me Boulanger et les parties civiles reviennent dans la salle d'audience, Le président veut compendre comment neuf personnes ont été relâchées du camp de Mérignac, comme l'indique le préfet dans son rapport du 11 janvier 1944, sans que la préfecture ne soit intervenue. « Qui les libère, sinon les Allemands eux-mêmes ? » interroge le président. Maurice Papon n'y croit pas, mais n'a guère d'autre réponse à formuler. « Ce ne sera pas le seul mystère de ce dossier ou à défaut de mystère, d'incertitude » constate-t-il.
le président s'étonne encore que la préfecture « accepte de ne plus être au courant de rien ». « L'administration, avec l'évolution des choses, se délitait un peu. Le zèle des fonctionnaires allait diminuant avec le temps. La fonction publique, imprégnée des évènements de la guerre, faisait de moins en moins consciencieusement son métier », risque Maurice Papon, qui conclut : « En ce qui me concerne personnellement, je me demande toujours par quelle magie je suis impliqué dans cette opération de décembre ! ».
Aujourd'hui, le procureur général procédera au contre-interrogatoire de l'accusé.
L'audience reprend à 13 h 30.


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