La cour a évoqué hier la déportation du docteur Sabatino Schinazi. Son fils, Samuel, a rendu hommage à son père, le docteur des pauvres
Annie Larraneta
«Quand les interventions devaient être faites sans délai et qu'on n'avait pas le temps d'attendre des secours, c'est mon père qui opérait », raconte Samuel Schinazi, fils du Docteur Sabatino Schinazi, arrêté en juin ou juillet 42 à Bordeaux, interné au camp de Mérignac, parti pour Drancy dans le convoi du 25 novembre 43 et mort près de Dachau le 23 février 45.
C'est ainsi que le jeune Samuel, alors âgé de 13 à 14 ans, a aidé un jour son père dans une opération délicate. « Cela devait être en 36, un ouvrier allemand qui travaillait à la raffinerie Saint-Rémi, il s'appelait Schmitt, a eu le bras pris dans une machine et en partie sectionné. Mon père m'a demandé tout de suite de l'aider à couper le bras de cet homme, il lui a fait des sutures et il est parti à l'hôpital. On lui avait donné avant l'opération un verre de rhum ! Je me souviens que cet homme avait un courage extraordinaire... »
La réputation de ce médecin n'était plus à faire. Installé 199 rue Achard, dans le quartier de Bacalan, on venait de Bordeaux Nord, des Chartrons, du Bouscat... pour se faire soigner par celui qui, rappelle son fils, « avait un très bon diagnostic ». Ses pairs ne s'y étaient pas trompés, l'élève, exceptionnel, brillant, avait eu les félicitations du jury de thèse que présidait le Professeur Jeantès.
C'était un généraliste, un médecin accoucheur, il traitait les rhumatismes et ne craignait donc pas de faire quelques interventions. Il est vrai qu'il était arrivé en 1916 à Bordeaux et qu'il avait participé aux soins des blessés de guerre à l'hôpital Pellegrin. Mais il était connu aussi pour sa générosité. « Il était tout dévoué à ses malades, il passait des nuits entières à leur chevet. Il se sacrifiait énormément... et beaucoup de ses patients ne le payaient pas, il les soignait gratuitement. Il leur donnait des médicaments et quand il allait les voir, cela lui arrivait de laisser de l'argent sur la table. », raconte Samuel Schinazi.
A 76 ans, après avoir quitté Bordeaux, il y a près de 50 ans, il évoque le domicile de ses parents et de ses huit frères et soeurs. « Rue Achard il y avait une échoppe où vivaient mes parents et où mon père avait son cabinet médical et au fond de la cour, il y avait une autre maison dans laquelle habitaient tous les enfants. Mon père avait d'autres maisons qu'il avait fait construire sur des plans qu'il dessinait lui-même. »
C'est un de ses immeubles de rapport, transformé aujourd'hui en logements sociaux qui porte le nom de Maison Schinazi, à l'angle de la rue Blanqui et du boulevard Albert Brandenburg. L'opération a été menée par le Centre communal d'action sociale. Mais cette belle bâtisse risque de disparaître dans quelques années car la rue Blanqui, frappée d'alignement, doit être élargie.
Les plus anciens conserveront sans doute la mémoire des lieux quand un médecin venu du Caire, soignait gratuitement quand il le fallait tous ceux qui avaient besoin de ses services, sans considération d'origine ou de religion, comme l'a rappelé Samuel Schinazi qui confie que ce père « est resté un exemple. J'ai rarement rencontré un homme de cette valeur », a-t-il lâché pudiquement hier, avant de témoigner à la barre.
C'est sans doute chez lui que le jeune Samuel, résistant dès 1941, a puisé l'ardeur et le courage pour, dès l'âge de 19 ans, tenter de voler sur la base de Perpignan un Potez 6311 pour aller à Brighton. Les geôles ne l'ont pas arrêté. Ses évasions lui ont permis d'aller plus loin : de voler des armes à la Kommmandantur de Soulac, de saboter des hydravions sur la base d'Hourtin, etc... »
« C'est un héros modeste qui ne reconnaît pas ses états de service », a dit Me Gérard Boulanger devant la cour pour qu'elle prenne bien, avec les jurés, la pleine mesure d'un homme de 76 ans, venu de Paris rendre hommage au bon docteur de Bacalan.
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