Léon Zyguel, rescapé après deux années passées en déportation, a longuement témoigné. (Crédit Daniel)
Léon Zyguel, 70 ans, déporté à Drancy dans le convoi du 26 août 1942 puis à Auschwitz, le 21 septembre, est l'un des rares survivants des camps de la mort. Il a témoigné hier en toute fin d'audience
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 6 janvier. Quarante et unième journée d'audience. Me Arno Klarsfeld est le premier avocat des parties civiles à interroger l'accusé sur le convoi du 26 août 1942 qui a conduit 444 déportés juifs de Bordeaux à Drancy.
Maurice Papon qui reste ostensiblement enfoncé dans son fauteuil, la tête posée sur la main gauche, ne se prive pas de faire remarquer au président Castagnède qu'il ne comprend pas les « observations nombreuses et confuses » de l'avocat. Il refuse même, parfois, d'y répondre : « Ces questions m'ont déjà été posées. Je n'ai aucune observation à faire, nous en avons déjà débattu ».
A d'autres moments, l'accusé ne cache pas son agacement : « Cette question est absurde, indigne et scandaleuse ». Il persifle aussi : « Ce qui ne tient pas, ce sont les erreurs grossières de Me Klarsfeld, on peut construire des postulats, c'est à la portée d'une intelligence moyenne ». Il explose même lorsque l'avocat aborde le regroupement des enfants : « Je le répète, je n'ai pas participé au rassemblement des enfants. Les familles ont été prévenues, certaines les ont ramenés, d'autres les ont dissimulés. Je n'ai pas participé à ce regroupement, j'aurais peut-être dû, j'ai eu tort, c'est à vous de juger ».
Me Klarsfeld interroge Maurice Papon depuis une heure. Me Varaut s'énerve à son tour : « Est-ce qu'il y a une stratégie des parties civiles pour retarder ce débat, avec peut-être le secret espoir que Maurice Papon meure avant d'être jugé.
Avec une plus grande rigueur, Me Michel Zaoui (partie civile pour plusieurs associations de déportés) voudrait savoir à quel moment Maurice Papon qui « n'est au courant de rien, n'a pas participé aux listes et aux arrestations » s'est « sali les mains » comme il l'a exprimé il y a plusieurs jours. « Il y avait plusieurs attitudes, partir dans la France Libre, partir à New York et critiquer le général de Gaulle, ou rester sur le territoire, pour collaborer avec les boches ou se battre sans fusil, sans grenade. Quand on prend cette position de fantassin, sans couverture, on se salit les mains. Ce n'est même pas un double jeu parce qu'on est obligé de mentir, combiner, exprimer tous les défauts pour tromper l'ennemi. ».
« Jusqu'où seriez-vous resté? » persiste l'avocat. « Si j'avais su ce qui s'est finalement passé, j'aurais sans doute déserté même si celà apparait comme une solution de lacheté. Mais nous ne savions pas... ». « Ce n'est pas vrai, vous saviez » rectifie Me Zaoui. Le président incite le public à ne pas réagir.
Après une courte suspension d'audience et avant de redonner la parole aux avocats des parties civiles, le président entend deux témoins. Armand Coplet, 66 ans, a perdu sa grand mère maternelle, une grand tante, deux tantes maternelles et deux cousins, Henriette, 10 ans, et Robert, 5 ans. Tous les six ont été arrêtés à la fin du mois de juillet 1942 près de Langon avant de franchir la ligne de démarcation, et ont été transférés au camp de Mérignac le 5 août.
Madeleine Rubin, 28 ans, la mère du petit Robert, était veuve de guerre. Son mari avait été tué sur le champ de bataille le 3 juin 1940. Le 11 août 1942, elle a écrit du camp de Mérignac au préfet régional de Bordeaux pour obtenir sa libération. Sa démarche a même été appuyée par le préfet de l'Eure, président de l'Office des combattants. « Je n'ai pas eu connaissance de cette lettre » assure Maurice Papon.
Madeleine Rubin n'a jamais eu de réponse. Le 26 août 1942, elle a été déportée avec les cinq autres membres de sa famille à Drancy. « Nous avons tous peur, nous allons être envoyés vers une destination inconnue » a écrit la grand tante. La famille a fait partie du convoi Numéro 35 parti pour Auschwitz le 21 septembre 1942.
Leon Zyguel faisait également parti de ce convoi. Ce monsieur de 70 ans qui avance d'un pas hésitant vers la barre est le témoin le plus important entendu depuis le début du procès. Il est l'un des 23 rescapés des 1028 déportés de ce convoi.
Le 29 juillet 1942, il a été arrêté avec sa soeur et ses deux frères ainés près de Mont de Marsan. Tous les quatre ont été transférés au camp de Mérignac d'où l'un des frères, Marcel, s'est évadé. Hélène qui venait juste de fêter ses 20 ans, Maurice, 16 ans et demi et Léon, 15 ans, ont été transférés le 26 août 1942 à Drancy où ils ont retrouvé leur père, arrêté un an plus tôt à Paris, puis tous les quatre ont déportés à Auschwitz.
« Si je vous parle de la suite, je ne peux pas faire autrement que de vous parler de la mort, le train de la mort, le camp de la mort, les marches de la mort, la mort à tous les instants... pendant trois ans ».
Avec des mots simples, des souvenirs encore cruels, des images douloureuses, Léon Zyguel évoque la mort de sa soeur et de son père, les nombreux camps de travail dans lesquels son frère et lui ont survécu grâce au regard de l'un ou le réconfort de l'autre. Il parle aussi du vent glacial et de la neige en Haute Silésie, des cris, des insultes et des coups, du « regard suppliant des camarades qui seraient morts le soir », des sacs de rutabagas « réservés aux cochons, les prisonniers de guerre russes et les juifs », mais aussi de la solidarité et la résistance à Buchenwald où des déportés ont sauvé 900 enfants, de la libération du camp par les américains et le retour à Paris en mai 1945 où il a retrouvé sa mère et ses frères
« On nous appelle les rescapés ou les survivants, en fait, on devrait nous appeler les revenants. On a vécu chaque seconde avec la mort » répète Léon Zyguel qui n'a jamais trahi le serment qu'il a prété sur la place d'appel de Buchenwald, le 19 avril 1945, en hommage aux 51 000 morts : « Nous, les déportés, avons juré de nous battre pour la Paix, contre la guerre, pour la dignité des individus, pour une vie meilleure de chacun ».
Léon Zyguel est témoin. La drame de sa famille n'est pas reproché à Maurice Papon. Il permet cependant de comprendre le contexte dans lequel il s'est déroulé.
L'audience reprend aujourd'hui à 13 h 30.
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