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Esther Fogiel, partie civile qui a perdu ses parents, sa grand-mère et son petit frère (crédit Philippe Taris)

La souffrance d'Esther - 19/12/1997

Esther Fogiel a perdu ses parents, sa grand-mère et son jeune frère. Elle a témoigné ce vendredi

Bernadette DUBOURG

Esther Fogiel, 63 ans, a été la dernière partie civile à témoigner sur la rafle et le convoi de juillet 1942. Ses parents, Liba et Jean Fogiel, âgés chacun de 35 ans, faisaient partie des 171 juifs transférés le 18 juillet 1942 de Bordeaux vers Drancy. Ils ont été déportés le lendemain à Auschwitz.
Sa grand-mère, Anna Rawdin, 66 ans, et son unique petit frère, Albert Fogiel, 6 ans, ont été arrêtés le 19 octobre suivant et déportés dans le convoi du 26 octobre 1942.
Ce vendredi, elle a témoigné pour ses parents. Lorsque la cour examinera la rafle et le convoi d'octobre, elle reviendra parler de sa grand-mère et de son frère.

Mauvais traitements

" Je suis peut-être la dernière à pouvoir témoigner avec ce nom " dit Esther Fogiel, d'une toute petite voix.
" Ma grand-mère et ses filles avaient fui les pogroms de Lettonie. Mon père avait fui l'antisémitisme en Pologne. Mes parents se sont mariés en 1933 à Bordeaux. Je suis née en 1934 et mon petit frère, Bernard, en 1936. J'ai peu vécu avec eux. Mes parents étaient commerçants, ils travaillaient beaucoup et à l'âge de 6 mois, ils m'ont placée chez une nourrice ". La famille était installée rue de la Chartreuse à Bordeaux.
" En 1939, mon père s'est engagé dans l'armée française. Il a été démobilisé en 40. Avec les lois anti-juives, il ne pouvait plus travailler et a trouvé un emploi de docker jusqu'en juillet 1942 ".
" J'ai un peu le trac " s'excuse Esther Fogiel qui se souvient des " privations alimentaires, de l'étoile jaune " et surtout du " projet de mes parents de partir en zone libre, chacun notre tour, moi la première, puis mon frère et mes parents ".
Elle seule est partie. Elle a été accueillie dans une famille à Valence d'Agen : " Trois jours après, ils ont changé de comportement, ils sont devenus brutaux. J'ignorais la disparition de mes parents mais plus tard, j'ai pensé qu'eux l'avaient su et qu'il étaient dépités de ne plus avoir d'argent ".
" Je suis un peu confuse " s'excuse-t-elle encore, alors que son récit est douloureux, poignant, et qu'elle le raconte avec une étonnante dignité. " J'ai subi des mauvais traitements. J'ai été violée peu après mon arrivée " poursuit-elle. La salle d'audience se tait.
" On m'a caché dans une institution religieuse mais on m'a exclue du groupe des jeunes, on m'appelait " le suppôt du Diable ". Quand je suis revenue dans la famille, les mauvais traitements ont recommencé, ils faisaient ménage à trois... ".

" Abandonnée "

" Je me souviens, j'avais un lien affectif avec une petite chienne. Une nuit, j'ai entendu des gémissements. Le matin, je l'ai découverte, pendue, au dessus de mon lit ". Esther frotte ses yeux de son mouchoir blanc.
En 1945, ces gens ont été arrêtés et incarcérés. Edith a rejoint une tante. Elle ignorait toujours que ses parents, sa grand-mère et son petit frère avaient été déportés. " Je me suis crue abandonnée par mes parents, j'ai fait ma première tentative de suicide, j'ai voulu devenir folle, je perdais volontairement conscience ".
Dans une rue de Bordeaux, elle a reconnu les robes de sa mère sur le dos d'une femme. La cave de l'appartement avait été retournée : " Une voisine m'a dit que ma grand mère avait été questionnée pour qu'elle avoue où elle cachait ses lingots... ".
A la barre de la cour d'assises, elle pense aux siens, " morts dans la détresse et l'absolue solitude ". Puis se tait. Elle croit en avoir terminé mais d'autres souvenirs lui reviennent en mémoire : " Un an après avoir quitté ces gens-là, en 1946, un homme est venu. Il rentrait d'Auschwitz, il avait été déporté avec mon père, il venait voir s'il rester des Fogiel. Il a dit que mon père était décédé le jour de l'ouverture du camp ".
Elle se souvient aussi de son oncle Alfred, le frère de son père : " Il s'est jeté à mes pieds, il a sangloté, il avait également été déporté avec mon père... Il s'est suicidé quelques mois plus tard. Il n'a pas supporté d'avoir survécu ".
Esther Fogiel ne parle plus. Elle pleure. Tout le monde respecte son chagrin et sa souffrance.


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