La résistance sereine de Lucienne Attané - 19/02/1998

A 90 ans, Lucienne Attané se souvient de l'Occupation et des activités résistantes de toute sa famille

Annie LARRANETA

" Sabatier est venu un jour à la maison voir si on ne pouvait pas lui faire une attestation de résistant. Mon mari a refusé de le recevoir en lui faisant savoir qu'il fallait tout de même quelques preuves... "
Marcel Attané qui a été plus tard l'adjoint de Jacques Chaban-Delmas, dirigeait à cette époque à Bordeaux une société de bois et de résineux, rue Esprit des Lois. Il était en relation avec Christian Campet, alors jeune officier de police, qui lui amenait parfois des parachutistes. Un samedi où les bureaux étaient fermés, Lucienne Attané a accepté de les recevoir chez elle, dans une grande maison qu'elle louait au 135, de la rue David-Johnston. Ils y sont restés plusieurs semaines.
Aujourd'hui, à 90 ans, celle qui fut membre du réseau Buckmaster, en liaison avec le délégué militaire régional Triangle et Aristide, délégué militaire du War Office, raconte que, depuis l'Occupation, on peut lui confier un secret. " Je l'oublie aussitôt ! Mes meilleures amies n'ont jamais rien su de nos activités. Et pourtant, dans cette maison où elles venaient prendre le thé le mercredi, il y avait sous le tapis du billard des revolvers que le Canadien distribuait. " Il y avait aussi des armes dans le garage et aux étages, deux parachutés de Londres remplissaient leur mission. Le premier était un Canadien venu se familiariser avec le maniement des armes, le second, un Grec, faisait de l'espionnage.

Un secret bien gardé

Tout avait commencé dans une discussion de salon. " Le commandant Paillère, clandestin comme ses quatre fils, était un jour en visite, au moment d'un bombardement italien. Je m'en plaignais. Il m'a dit comme en plaisantant " vous voulez faire quelque chose ? Vous êtes courageuse ? J'ai répondu oui tout de suite. Il m'a confié une petite mission. Je devais écouter radio Londres matin, midi et soir. Tous les jours quelqu'un du groupe d'Arcachon passait me demander si j'avais entendu trois fois un même message. C'était le signal des parachutages. Quand je ne pouvais pas être à l'écoute, ma fille de 18 ans me relayait (1). Elle a ainsi préparé son bachot, en tricotant, près du poste... "
C'était une affaire de famille. Et tous ont bien gardé le secret y compris la mère de Lucienne qui avait peu de contacts, il est vrai, à l'extérieur. " Nous on continuait à sortir, raconte Lucienne Attané, on allait au théâtre, on avait des amis, ma fille avait ses amies... Personne n'en a rien su. Il ne fallait en parler à personne. Ca me fait rire aujourd'hui quand des gens disent qu'ils ont fait partie de groupes de résistance et qu'ils se réunissaient dans les cafés ! On avait peur parfois. Je me rappelle qu'un jour un officier allemand a glissé et est tombé devant moi, j'ai ri parce que c'était comique mais devant son regard très dur, j'ai eu peur, je me suis excusée et j'ai continué ma route bien au-delà de la maison en tournant rue Labottière... A cette époque, il suffisait de si peu de choses. Si ça c'était su, on aurait pu être fusillés ! "
La peur, Lucienne l'a connue quand un policier français s'est présenté chez elle pour réquisitionner des chambres. " Heureusement, il n'a pas demandé à visiter. Je lui ai dit que ça m'embêterait de recevoir n'importe qui, je n'ai pas dit des Allemands et j'ai prétexté qu'on n'avait qu'un seul escalier, alors qu'on en avait deux, pour refuser. Je croyais qu'il l'avait bien noté et en fait, par Robert Manciet qui était à la mairie, mon mari a pu vérifier qu'il avait marqué en rouge deux chambres libres rue David- Johnston. "

La robe patriotique

Lucienne Attané a toujours gardé ce carton à chapeau où elle dissimulait, deux fois par semaine, sept kilos de viande pour ravitailler, en vélo, quelques parachutés cachés dans la maison de sa soeur à Pessac. " Je me la procurais chez un boucher clandestin qui se trouvait derrière la gare du Midi... A la Libération on a eu deux policiers devant notre porte pendant une huitaine de jours. Certains avaient laissé entendre, parait-il, qu'avec tout ce ravitaillement, je devais faire partie de la Gestapo ! Quand les armes qu'on cachait chez nous ont été livrées à M. et Mme Baudon à Eysines (2), le lendemain ils ont été trahis et arrêtés... Mais la peur, ça ne m'a jamais empêché de dormir "
Pourtant sa fille Ginette, élève du Lycée Mondenard, était aussi dans le coup. " J'avais confiance en elle, elle était muette. Je me rappelle qu'avec son fiancé, elle a porté un poste émetteur... " Et bien d'autres choses. Sur sa bicyclette, elle était vêtue parfois d'une robe en soie bleue imprimée de tout petits " Vive la France ! " La robe volait haut, le message flottait à la barbe des autorités...
Malgré son âge, on peut tout à fait sentir encore le rayonnement de cette femme au regard clair, son assurance tranquille, sa sérénité dans l'action (3). Aujourd'hui, ce qui la fait le plus rire, c'est qu'un de son groupe avait réussi à voler les tampons de la Préfecture et en avait substitué de faux. " Dire que c'est nous qui avions les vrais tampons et qu'à la Préfecture finalement ils délivraient, en quelque sorte, de faux papiers ! "

(1) Elle est devenue artiste lyrique et est connue sous le nom de Ginette Darty. Un nom qu'on a vu souvent à l'affiche du Grand-Théâtre.
(2) Lés époux Baudon étaient des résistants de la première heure. André Baudon a été fusillé à Souge le 29 juillet 1944 et son épouse, Yvonne a pris le dernier train pour l'Allemagne et elle est morte à Ravensbruck.
(3) Lucienne Attané a la Croix de guerre, la médaille du Mérite national, celle des anciens combattants... Elle regrette aujourd'hui de ne pas avoir demandé celle de la Résistance. Cela lui ferait une jolie brochette sur sa robe noire.


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