La parole aux jurés - 06/04/1998

Après six mois de procès, les jurés tentent de retrouver leur vie personnelle et professionnelle

Bernadette DUBOURG

Jeudi matin, après le verdict, alors que Maurice Papon discutait encore avec ses avocats, les jurés se sont retirés pour la dernière fois de la salle d'audience. Ils ont échangé quelques mots entre eux puis ont quitté définitivement le palais de justice de Bordeaux où la grande majorité avait mis les pieds pour la première fois, 6 mois plus tôt.
Cinq jours plus tard, ils ont retrouvé leurs activités et leurs habitudes d'avant octobre 1997. Sans mesurer encore les bouleversements que ce procès aura sur leur vie. " Le président nous a dit qu'il serait difficile de nous en remettre, que nous n'expulserions jamais totalement ce procès. Je pense qu'il n'a pas tort, mais aujourd'hui, il est encore trop tôt pour le dire. Je crois que nous en prendrons conscience dans quelques semaines, quelques mois peut-être " confie ce juré.
Sur le courrier officiel remis par les gendarmes dans le courant du mois d'août, il était indiqué que les jurés étaient convoqués pour une session de la cour d'assises de " deux mois et demi ", exclusivement consacrée au procès Papon. Le 8 octobre, à l'ouverture du procès, 37 jurés (titulaires et suppléants) étaient présents dans la salle d'audience. Ils ont attendu plusieurs heures avant que les 9 jurés titulaires et 9 jurés suppléants soient tirés au sort : " J'étais partagée. J'étais à la fois contente et inquiète d'être là. Je crois que nous étions tous un peu sur les nerfs. Pour ma part, j'étais angoissée à l'idée d'être récusée, même si le président nous en avait longuement parlé. Lorsque j'ai entendu mon nom, je me suis tout simplement dit : " Il faut y aller ".

"Rester neutres"

Très vite, certains jurés se sont découvert des affinités : " Une dame n'habitait pas loin de chez moi. Chaque jour, nous avons fait la route ensemble. On pouvait parler, c'était moins angoissant ". D'autres ont pris l'habitude de se retrouver devant un café avant l'audience. Petit à petit, des habitudes se sont installées : " Nous étions de plus en plus à l'aise, nous étions un peu chez nous ".
Au souvenir de ces six mois de procès, certains avouent avoir été " beaucoup impressionnés " par les témoignages des victimes et des rescapés des camps : " Le président nous avait recommandés de ne rien manifester de nos sentiments pendant les débats, d'être absolument neutres. Mais après ces témoignages, lorsque nous nous retrouvions dans la salle de repos, nous étions très silencieux ".
Parfois, aussi, ils ont eu du mal à réprimer un sourire. Surtout lorsque la salle d'audience éclatait franchement de rire au lapsus d'un tel ou au comportement de tel autre.
Tous ont pris de nombreuses notes. Chacun à sa manière. " J'ai écrit de manière presque automatique ce qui se disait, pour me permettre de libérer mon esprit " dit l'un. " J'écoutais et ensuite j'essayais de faire une synthèse " dit un autre. Ils ont amené ces blocs rouges chez eux : " Je ne les ai pas encore rouverts. Peut-être un jour ".
Ils reconnaissent également avoir été impressionnés par le président : " Il nous a beaucoup aidés. Il était gentil sans exagérer. Quand on avait un problème, on allait le voir, il nous répétait de ne pas stresser, de ne pas nous inquiéter ou nous expliquait les incidents d'audience ". Ces jurés auraient sûrement été prêts à lui manifester un quelconque soutien, si le besoin s'en était fait sentir. " Quand nous nous sommes séparés, jeudi, je l'ai senti ému. Je pense que nous non plus ne l'avons pas laissé indifférent ".

"La vie et les enfants"

Durant six mois, ils ont mis leur vie professionnelle entre parenthèse. Leur vie sociale aussi, comme ce conseiller municipal qui a " séché " les réunions, sauf les commissions lorsque les audiences s'achevaient plus tôt. L'entourage s'est montré plutôt discret et même respectueux de leur " devoir de réserve " : " Des collègues m'en parlaient, mais sans jamais me poser de questions, sans me mettre mal à l'aise ".
Ont-ils eu le sentiment de participer à un procès historique ? " Le mot est peut-être un peu fort. Mais à quelque chose d'important, oui ". " Le plus difficile a peut-être été de nous replacer dans le contexte, de nous faire une idée ". " Nous avons parfois eu l'impression d'avoir affaire à une ombre, quelqu'un qui était là, sans y être, tout en y étant " ose l'un. " Ca m'a apporté beaucoup de choses, c'est une période que je ne connaissais pas " convient un autre.
Un juré, dont c'est la passion, a pris plusieurs photos de ses collègues. D'autres ont promis de se revoir : " Peut-être que nous n'en ferons jamais rien. Peut-être aussi que nous en ressentirons, un jour, le besoin ". " Il faut laisser un peu de distance ".
Tous, pour l'instant, essaient de tourner cette page. Dès vendredi, certains ont même regagné leur travail : " Il y a eu le procès, maintenant il y a la vie et les enfants ".


Retour

Copyright Sud Ouest. Pour tout usage lié à la reproduction de nos articles, merci de prendre contact avec Sud Ouest : doc@sudouest.com Tel : 05 56 00 35 84. 

Accueil | Le procès | Procédures | Les acteurs | Repères | Lexique | Forum

Copyright Sud Ouest 2006 - contact@sudouest.com